Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Talmud (suite)

La Mishna

Toute la matière ainsi examinée était une réglementation de tous les aspects de la vie juive, établie progressivement par les générations antérieures de docteurs et de scribes ; on la présentait soit sous la forme de règles de conduite (Halakhot [sing. Halakha]), soumises à une incessante répétition (Mishna), soit sous forme de déductions découlant de minutieuses recherches (Midrash) dans la graphie du texte sacré, dont la composition et l’orthographe étaient méticuleusement examinées. L’instrument qui servait à cette recherche était constitué par les sept règles (Middot) de l’herméneutique, édictées par Hillel et développées, plus tard, par Rabbi Ismaël ainsi que par Rabbi Eliezer ben Yosse ha-Galili.

On partait de l’idée qu’aucun mot, qu’aucune lettre de la Torah n’étaient superflus et que les versets s’expliquaient les uns par les autres ou par le contexte. Lorsque cette recherche aboutissait à l’établissement d’une loi juridique, sociale ou rituélique, le Midrash était dit « halachique ». Lorsqu’il débouchait sur un enseignement éthique ou édifiant, ou bien sur une méditation relative à l’histoire, c’était un Midrash-Haggada. Il semble que la méthode du Midrash ait été plus ancienne que celle de la répétition (Mishna) des règles à suivre (Halakhot) employée par les tannaïm, ou spécialistes de la Mishna (leur nom vient du verbe araméen qui traduit la racine hébraïque à laquelle se rattache le mot Mishna). La méthode de la Mishna offrait l’avantage d’une formulation immédiatement contraignante, fondée sur l’autorité des maîtres qui l’utilisaient.

Qu’il s’agisse de Midrash ou de Mishna, l’enseignement était toujours oral. Mais la matière devint si abondante, et les bouleversements politiques si importants qu’il fallut songer à une mise par écrit ; cela d’autant plus que l’absence de textes écrits pouvait mener à des incertitudes. Les collègues et les disciples de Rabban Johanan ben Zakkaï semblent y avoir songé ; ils réunirent toutes les traditions, les trièrent, les harmonisèrent, les classèrent et commencèrent, peut-être, à les mettre par écrit. Peut-être y eut-il déjà un premier recueil, composé par Rabbi Akiba (v. 50-132) et offrant un certain classement. Il fut suivi par l’ouvrage de son disciple, Rabbi Me’ir (v. 110-175) ; l’un et l’autre concernaient la Halakha.

Le même travail fut fait, pour le Midrash-Haggada, par Rabbi Ismaël (première moitié du iie s.), auteur de la Mekhilta, commentant l’Exode. Rabbi Akiba s’était occupé, lui aussi, de Midrash-Haggada ; ses disciples, Juda bar Ilai (v. 100 - v. 180 ?) et Siméon bar Yohay (v. 100 - v. 160), rédigèrent le Sifra sur le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. On attribue également à Siméon bar Yohay une Mekhilta sur l’Exode.

Parallèlement à ces travaux d’exégèse ayant pour but de dégager la Halakha et la Haggada du texte sacré, on s’occupa de bien établir ce texte lui-même, en fixant le « canon » des livres bibliques et en déterminant, jalousement, la teneur matérielle de leur texte. C’est ainsi que Rabbi Aquila († 135) fut chargé d’une nouvelle traduction grecque des textes bibliques. Après l’échec de la révolte de Bar-Kokheba en 135 et malgré les décrets d’Hadrien qui la prohibaient, l’étude de la Torah se poursuivit ; elle se répandit partout où les Juifs allaient se trouver dispersés, le principal centre étant la Babylonie.

En Palestine, le règne d’Antonin le Pieux (138-161) apporta un peu de répit. Les pharisiens reprirent leur activité en Galilée, où les ravages de la guerre avaient été moins graves. Un nouveau Sanhédrin, présidé par Rabbi Siméon ben Gamaliel, s’ouvrit à Oucha (Usha). L’empereur reconnut Siméon comme « nassi ». Il fut remplacé par son fils Juda (135-217), dit Hanassi (« le nassi ») ou Hakadosh (« le Saint ») et appelé aussi, plus simplement, « Rabbi ». Les Juifs connaissaient, alors, une certaine tranquillité ; craignant qu’elle ne durât point, Juda n’eut de cesse que de composer un ouvrage capable de faire autorité s’il y avait de nouveaux troubles et si, une fois encore, l’étude était rendue aléatoire. Il rédigea donc la Mishna, à la fois code et condensé de toute la Loi orale. Tout en imposant la règle à suivre, elle indiquait, lorsqu’il y en avait, les divergences d’opinion sur un point donné. Écrite en hébreu, la Mishna était divisée en six sedarim (ordres). Chacun était divisé en massekhtot (traités), elles-mêmes subdivisées en chapitres et paragraphes.

Avec ses 63 traités, couvrant toutes les éventualités de la vie sous tous ses aspects, individuels et collectifs, la Mishna de Rabbi Juda fut, très vite, le code des juges, le guide des communautés et le manuel des étudiants, en Palestine et en Babylonie ; dans ce pays, elle fut enseignée, dans l’école fondée à Soura, par un disciple babylonien de Rabbi Juda, Abba Arikha (175-247), à qui se réputation valut le nom de Rav (ou Rab, le Maître). Il eut, pour concurrent, son condisciple Samuel (180-250), qui enseignait à Nehardea et s’était fait du droit civil une spécialité.

Les maîtres de cette génération, connus sous le nom d’amoraïm (interprètes, porte-parole), exposaient la Mishna, l’expliquaient, recherchaient l’origine scripturaire des Halakhot, en étudiaient le sens et s’attachaient à résoudre, dans le sens de la Halakha, les problèmes nouveaux que posait le déroulement de l’existence. Il fallait aussi résoudre les divergences qui pouvaient s’apercevoir entre le libellé de la Mishna et la formulation, ou même parfois les solutions, fournie par d’autres recueils de lois.

En effet, l’auteur de la Mishna n’avait pas inclus, dans son ouvrage, toute la matière contenue dans les essais de ses prédécesseurs ; il avait même rejeté, délibérément, certains matériaux. Toute cette masse d’enseignements, connue dès la propagation de la Mishna, fut, plus tard, rassemblée en un recueil nommé Tosefta (ve ou vie s.). Cette matière, encore à l’état brut, fut comparée, par les amoraïm, à celle de la Mishna. Il existait encore d’autres collections d’enseignements, auxquels les amoraïm qui les examinaient, dans leurs recherches sur la Mishna, donnaient le nom de Beraitot (enseignements extérieurs à la Mishna) ; parmi leurs auteurs, on cite souvent Rabbi Hoshaya (Oshaya), Rabbi Hiya et Bar Kappara. L’ensemble des travaux des amoraïm, soit en Palestine, soit en Babylonie, s’exerça entre le début du iiie s. et la fin du ve. Cet ensemble est appelé Gemara (enseignement, achèvement).