Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tacite (suite)

À l’autre extrémité de l’ouvrage, Néron* (54-68) prêtait à une peinture bien différente, digne empereur d’une Rome maintenant toute avilie puisqu’il ne fut jamais qu’un grand gosse de vingt-cinq ans, avec des éclairs de génie, mais surtout des fantaisies désordonnées, sanglantes quand on lui résistait. Le récit, à l’image du prince, devient comme ataxique : crimes, scandales se succèdent plutôt qu’ils ne s’enchaînent ; Néron tue sa mère, tue ses précepteurs, tue son demi-frère, tue sa femme. Tel est le terme du régime fondé par le divin Auguste et auquel Rome semble condamnée. Vers la fin de l’œuvre (mais les deux derniers livres manquent eux aussi), on croit entrevoir que Tacite avait imaginé de dresser des portraits d’opposants, Helvidius Priscus, Thrasea, Soranus, voués au poignard ou au poison, témoins politiquement inefficaces d’un fond de courage imprescriptible, donc indomptable, qui est en l’homme, génies courroucés des temps de ténèbres. On a supposé qu’en approchant de son terme Tacite, s’absolvant peut-être dans une certaine mesure de ses faiblesses au temps de Domitien, osait se reconnaître un peu dans ces héros ; et Néron, par moments, aurait été dessiné comme une préfiguration caricaturale d’Hadrien, lui aussi Grec de cœur, homme de mœurs faciles et qui, au début de son règne, ne put pas éviter quelques violences.


Le dernier des Romains

Il est un peu effrayant d’apprendre qu’une fois ses Annales terminées Tacite avait dessein de s’en prendre au règne d’Auguste, suite, logique d’ailleurs, de cette régression qui le portait à chercher toujours plus haut la cause, la faute initiale, la défaillance fatale à laquelle attribuer les contradictions d’un système où il croyait étouffer. Et à cette même date, par une singulière ironie, l’Empire se trouvait justement au seuil d’une de ces périodes — le siècle des Antonins — qui devaient dans le souvenir des hommes rester comme une des plus heureuses de son histoire, une sorte d’âge d’or ; l’artisan en serait cet Hadrien que Tacite avait tant redouté. Mais le paradoxe n’est qu’apparent : le génie d’Hadrien fut, dirions-nous aujourd’hui, de désacraliser la politique, d’en faire un travail d’administration, de bon sens et d’efficacité, un travail de spécialiste, comme tant d’autres travaux qui sollicitent l’activité humaine et dont, en conséquence, il n’est nullement scandaleux qu’il soit réservé à quelques-uns. Dans certaines situations, il semble que ce parti soit tenable. Mais c’est ce que Tacite n’aurait jamais pu admettre, héritier d’une tradition selon laquelle la politique est une dimension essentielle de l’homme et peut-être sa dimension la plus haute, celle dont rien ni personne ne doit risquer de le déposséder. En ce sens, il était bien, comme on l’a dit, le dernier des Romains.

J. P.

 P. Fabia et P. Wuilleumier, Tacite, l’homme et l’œuvre (Boivin, 1949). / E. Paratore, Tacito (Milan, 1951 ; 2e éd., Rome, 1962). / R. Syme, Tacitus (Oxford, 1958 ; 2 vol.). / A. Michel, Tacite et le destin de l’Empire (Arthaud, 1966). / J.-L. Laugier, Tacite (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1969).

Tadjikistan ou Tadjikie

En russe Tadjikskaïa S. S. R., république de l’U. R. S. S., en Asie centrale ; 143 100 km2 ; 2 900 000 hab. Capit. Douchanbe (en russe Diouchanbe).


Le Tadjikistan est un véritable État montagnard : la moitié de son territoire s’étend au-dessus de 3 000 m. Les vallées très encaissées du Piandj (nom du haut Amou-Daria) et de ses affluents, en grande partie agricoles, portent sur les versants inférieurs des cultures de piémont, coton et fruits. La république englobe une partie de la vallée de la Fergana, dans le bassin de laquelle elle forme une poche, avec un barrage-réservoir sur le Syr-Daria, des cultures irriguées, une centrale électrique et la ville de Leninabad (103 000 hab.), la seconde du Tadjikistan.

Des hauts plateaux et pics du Pamir descend le glacier Fedtchenko, qui a 79 km de long ; les hauts pâturages sont désertiques (la montagne est très sèche) ; dans les vallées encaissées de plusieurs kilomètres, on observe de fortes oppositions entre l’adret, relativement chaud et humide, et l’ubac.

C’est dans ces hautes terres du Pamir qu’a été découpée la région autonome du Gorno-(Haut-) Badakhchan, pays perdu à la frontière de l’Afghānistān, où le décor est celui de la haute montagne himalayenne : terres grises, végétation clairsemée et pauvre, dénivellations énormes (plus de 5 000 m), éboulis gigantesques, lacs de haute montagne. En dehors de l’avion existe une seule liaison possible, une mauvaise route, le trakt. Encore faut-il distinguer la partie occidentale, la moins élevée, encore agricole (céréales et vergers), où des chemins se croisent autour de la ville de Khorog (on y exploite de l’or, du sel, de la tourbe), et la partie orientale, uniquement occupée par des tribus pamiriennes (caravaniers, éleveurs de yacks) et où la seule agglomération sédentaire est Mourgab.

Le reste de la république est en plein développement. Population sédentaire, les Tadjiks sont volontiers jardiniers, cultivent le coton, le blé et l’orge, qui remontent jusqu’à 3 000 m, pratiquent l’irrigation sur 80 p. 100 du territoire cultivé. Ils ont été aidés par les Russes. République autonome rattachée à l’Ouzbékistan, le Tadjikistan est devenu république fédérée dès 1929. Des kolkhozes de coton (couvrant le tiers de la superficie cultivée) ont été fondés ; d’autres cultures sont apparues : tabac, oléagineux, fruits et vigne. On a essayé la canne à sucre. Des richesses énergétiques (centrales hydro-électriques sur les affluents du Piandj et mines de charbon ; quelques puits de pétrole), des matières premières minérales (plomb et zinc) constituent d’autres richesses, inégalement exploitées.

Russes et Tadjiks ont fait de la capitale, Douchanbe (anc. Stalinabad), une grande ville (6 000 hab. en 1926, mais 83 000 dès 1939, 227 000 en 1959, 374 000 en 1970). L’industrie est fondée sur les ressources de la république : combinat de coton (comme à Leninabad), soie, conserveries de fruits et de légumes, industries du cuir. La ville s’enorgueillit d’une université depuis 1948, d’une académie des sciences depuis 1951.