Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Syrie (suite)

Déjà en 1955, lors des pressions du pacte de Bagdad, l’idée de fédérer la Syrie à l’Égypte était venue aux dirigeants. Le 31 janvier 1958, une délégation syrienne présidée par le président Quwwatlī se rend au Caire. La République arabe unie (R. A. U.) est proclamée le 1er février et confirmée entre les deux pays par référendum. Le 6 mars, le gouvernement central est mis sur pied au Caire : Nasser est président ; deux des quatre vice-présidents sont syriens, Akram Ḥawrānī (Baath) et Ṣabrī al-Asalī (nationaliste) ; il y a neuf ministres, dont un Syrien, et un Conseil exécutif dans chaque pays. Les partis politiques sont supprimés en Syrie et remplacés par le parti unique de l’Union nationale.

Mais une mauvaise récolte et l’opposition de la bourgeoisie à la nationalisation des banques, au contrôle des changes et aux taxes douanières amènent des difficultés économiques. D’autre part, la R. A. U. est isolée sur le plan international ; elle entretient de mauvaises relations avec l’Iraq de Kassem, soutenu par l’U. R. S. S., et échoue en intervenant dans la crise libanaise de 1958. Sur le plan intérieur, le colonel Sarrādj, ministre de l’Intérieur, institue en Syrie un véritable régime de terreur policière, car l’intégration des deux « provinces » provoque de plus en plus d’opposition. Malgré la démission de Sarrādj et la promesse égyptienne de libéralisation, les troupes de Qaṭanā investissent Damas et dénoncent l’Union le 28 septembre 1961. Nasser accepte le fait accompli ; la Syrie retrouve son siège à la Ligue Arabe, mais la rancœur est grande de part et d’autre.

La réaction contre l’hégémonie égyptienne a plusieurs conséquences. D’abord, elle porte au pouvoir Nāẓim al-Qudsī comme président de la République et Māruf Dawalibī comme Premier ministre, qui s’empressent de dénationaliser les banques ; la bourgeoisie d’affaires retrouve son pouvoir. D’autre part, elle provoque une scission au sein du Baath, dont les fondateurs, Aflak et Bīṭār, s’exilent ; Hawrānī, leader du parti socialiste, prend la tête du mouvement et mène une activité anti-égyptienne au gouvernement. Enfin, elle amène l’alliance syro-irakienne de mars 1962, entre Qudsī et Kassem, pour briser l’isolement diplomatique de la Syrie.

Le 28 mars 1962, le colonel ‘Abd al-Karīm al-Naḥlāwī fait un coup d’État militaire dont le dessein n’est pas clair ; trois tendances s’affrontent dans le pays : les pro-égyptiens, les pro-irakiens et les nationalistes indépendants. Les agents égyptiens provoquent des troubles à Alep, à Homs et à Damas. Finalement, le général Zahr al-Dīn apaise les choses, et Nāẓim al-Qudsī reprend ses fonctions. Ces secousses dénotent le malaise de la Syrie, qui accuse l’Égypte de menées subversives à la session de la Ligue arabe d’août 1962. De nouveau, troubles et dissensions éclatent entre Frères musulmans et socialistes, entre conservateurs et progressistes. Le 8 février 1963, le Baath, qui a pris le pouvoir en Iraq, dénonce l’alliance avec la Syrie, qui se retrouve de nouveau isolée.

Le 8 mars 1963, le colonel al-Ḥarīrī fait un coup d’État et confie le gouvernement au Baath, seul parti puissant. Cependant, celui-ci ne peut s’imposer qu’avec l’aide de l’Iraq et l’appui de Nasser. Le président du Conseil Ṣalāḥ al-Bīṭār et le Conseil de la révolution, présidé par Atāsī, renouent avec l’Iraq et forment un gouvernement moitié Baath-parti socialiste, moitié nassérien. Le Baath, minoritaire en Syrie et en Iraq, ne gouverne qu’avec le soutien de Nasser, qui est ainsi indirectement confirmé dans son leadership du monde arabe. Mais Nasser voudrait généraliser l’Union socialiste arabe en dissolvant les partis politiques en Syrie et en Iraq ; avec ces deux pays, il négocie les bases d’une future fédération arabe en avril 1963.

Au sein du Baath syrien, la tendance nationale des fondateurs Aflak et Bīṭār se heurte à la tendance régionale d’Amīn al-Ḥāfiẓ, qui a remplacé Atāsī à la tête du Conseil de la révolution. Au quatrième congrès du Baath en novembre 1963, Ḥāfiẓ l’emporte et est appelé au gouvernement. Il intensifie les nationalisations (80 p. 100 du capital industriel en janvier 1965), ce qui provoque des grèves des professions libérales, brisées par l’armée ; il poursuit la réforme agraire entreprise pendant la R. A. U. (propriété limitée à 200 ha, 50 ha pour les terres irriguées), s’attirant l’hostilité des propriétaires fonciers, et promulgue une Constitution provisoire (avr. 1964).

L’isolement intérieur et l’opposition extérieure amènent, dans cette lutte entre les deux factions du Baath, les régionalistes modérés de Ḥāfiẓ à s’allier avec les nationaux de Bīṭār, qui reprend le pouvoir en décembre 1965.

Cependant, les régionalistes, ou néo-baasistes, ne se tiennent pas pour battus et prennent le pouvoir par le putsch du général Ṣalāḥ Djadīd le 23 février 1966. Ḥāfiẓ, Bīṭār et Aflak sont arrêtés. Atāsī redevient le chef de l’État, avec Zuwwayyin comme président du Conseil ; deux communistes sont au gouvernement ; le Baath est intégré à l’État et rompt définitivement avec ses chefs historiques. L’exode des capitaux s’aggrave sans être compensé par la confiscation des biens des émigrés. Une crise éclate entre la Syrie et l’Iraq à propos des droits de transit du pipe-line de l’I. P. C. Le régime est soutenu par le parti communiste syrien et l’on assiste à un rapprochement avec l’U. R. S. S. (accords économiques de juin 1966 pour le barrage sur l’Euphrate et la prospection pétrolière). La tension israélo-arabe fait sortir la Syrie de son isolement ; un accord militaire syro-égyptien est signé en novembre 1966. Les incidents de frontière se répètent, allant même jusqu’à des combats aériens (7 avr. 1967), et aboutissent à la guerre de juin 1967. Le 9 juin, le cessez-le-feu israélo-égyptien est accepté par la Syrie. Mais Israël se retourne vers le Golan et, malgré la résistance des forces syriennes, l’occupe avec la ville de Qunayṭra. L’U. R. S. S. reconstitue le potentiel militaire de la Syrie, qui, fermement opposée à Israël, quitte le 29 août 1967 le sommet arabe de Khartoum, où prévalait la position modérée égypto-jordanienne pour une évacuation des territoires occupés par Israël en échange d’une garantie de ses frontières. Le refus syrien amène finalement la décision de ne pas négocier. Cependant, la défaite de 1967 avive les luttes, au sein des néo-baasistes, entre marxisants et islamisants. Le secrétaire général adjoint Ṣalāḥ Djadīd, de gauche, s’oppose au ministre de la Défense, le général Ḥāfiẓ al-Asad, plus modéré. Mais le 28 février 1969, malgré l’aide de l’armée, Asad ne réussit pas à prendre le pouvoir. Un congrès extraordinaire du Baath maintient au gouvernement l’équipe de Djadīd. En septembre 1970, lors des affrontements jordano-palestiniens, Djadīd veut engager l’armée syrienne au côté des fedayin ; Asad, redoutant que cette politique n’entraîne une intervention israélo-américaine, prend le pouvoir le 13 novembre 1970. Faisant amender la Constitution provisoire, il se fait élire chef de l’État au suffrage universel le 12 mars 1971. Sa politique d’ouverture envers les partis de gauche se concrétise par la proposition d’un « Front progressiste d’unité nationale », base du nouveau gouvernement de mars 1972, qui comprend quinze ministres baasistes et quinze des autres formations de gauche. Une nette libération s’amorce dans l’économie. Sur le plan diplomatique, les relations se resserrent encore avec l’U. R. S. S., l’accord de Benghazi avec l’Égypte et la Libye du 17 avril 1971 en vue de la création d’une « République arabe unifiée » est un pas de plus vers l’unité, et enfin un rapprochement avec le Koweït, l’Arabie Saoudite et même la Jordanie démontre la volonté de conciliation et de modération du nouveau gouvernement.