Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Syrie (suite)

L’œuvre de Justinien* (527-565)

Malgré la paix signée avec les Perses en 532, qui permet à Justinien de reconquérir l’Occident, l’empereur sassanide Khosrô Ier prend Antioche en 540, déportant une partie de la population à Ctésiphon, sa capitale, et détruit les villes de l’Euphrate, notamment Nisibis (Nusaybin), centre de Bédouins arabes, Martyropolis (Silvan) et Amida (Diyarbakir) — villes, qui sous Anastase Ier (491-518) étaient déjà tombées aux mains des Perses. Justinien réorganise la ligne de défense, qui ne dépasse plus Émèse. L’originalité de son œuvre consiste en l’aménagement du désert laissé vide entre les deux empires. Les tribus arabes rhassānides (ou ghassānides) nomadisant entre le Sinaï et l’Euphrate sont fédérées à l’Empire, payées et christianisées ; Sergiopolis (Ruṣāfa) devient leur centre religieux et administratif, ainsi que Bostra (Buṣrā) en Arabie Pétrée. Le roi rhassānide al-Ḥārith (en grec, Arétas, 529-569) reçoit le titre de patrice en 530. La confédération est renouvelée avec son fils al-Mundhir (Alamoundaros, 569-582) et ne sera abrogée que sous Justin II (565-578) à cause de l’indiscipline des Rhassānides, devenus peu sûrs pour l’Empire. L’évangélisation monophysite de ceux-ci par Jacques Baradaï n’est pas étrangère à ces troubles.

À la fin du vie s. et au début du viie, la guerre avec les Sassanides* s’intensifie, ce qui détourne vers le nord les voies commerciales ; Antioche décline. Sous le règne de l’usurpateur Phokas (602-610) et au début de celui d’Héraclius (v. Héraclides), la Syrie est conquise par les Perses : Antioche tombe en 611 et Jérusalem* en 614 ; la Croix est emmenée à Ctésiphon ; toute la province de l’Euphrate au Sinaï est annexée à l’Empire sassanide.


L’œuvre d’Héraclius (610-641)

Une profonde réforme militaire a lieu dans ce qui reste de l’Empire : la constitution des « thèmes », ou provinces militaires avec conscription obligatoire, qui fait de l’armée byzantine une armée nationale. À partir de 622, Héraclius commence la reconquête sur les Perses par une offensive en Mésopotamie qui menace Ctésiphon ; il reprend Jérusalem en 630, y ramenant la Croix. Toute la Syrie-Palestine redevient byzantine, mais la reconquête intensifie la lutte contre l’hérésie monophysite et les Juifs qui s’étaient alliés aux Perses. C’est dans ce contexte social troublé que va avoir lieu l’invasion arabe. Byzance, comme Rome auparavant, n’a jamais pu s’implanter profondément en Syrie, qui est restée, ainsi que l’Égypte, une région allogène dans l’Empire.


La Syrie musulmane arabe (636-1516)


La conquête arabe (630-659)

Dès 629-30, les incursions arabes se répètent et la solidarité sémite joue contre Byzance, qui a mécontenté les Arabes rhassānides chrétiens fédérés ; ceux-ci s’allient aux Arabes musulmans du Hedjaz sous la conduite du Prophète de l’islām.

Sous le premier calife Abū Bakr (632-634), l’union des Arabes de la péninsule inclut les marches de Syrie-Palestine, où les raids armés sur les voies caravanières se répètent, car celles-ci sont vitales pour l’Arabie. Mais c’est sous le second calife, ‘Umar (634-644), que la conquête proprement dite a lieu. Celle-ci est principalement le fait des généraux Khālid ibn al-Walī « l’Épée de Dieu » († 642), ‘Amr ibn al-‘Āṣ († v. 663) et Mu‘āwiyya (v. 603-680) ainsi que le résultat de deux victoires décisives sur les Byzantins : celle d’Adjnādayn (634), près de la mer Morte, qui livre la Palestine, et celle du Yarmouk d’août 636, qui balaye le pouvoir byzantin en Syrie.

L’armée impériale byzantine battue, la plupart des villes se rendent sans résistance jusqu’à Antioche comprise. Jérusalem, cependant, résiste jusqu’en 638 avec son patriarche Sophronius, qui finit par négocier la reddition. Tandis qu’Abū ‘Ubayda parachève la conquête syrienne, la victoire de Qādisiyya (637) sur les Sassanides, relativement affaiblis par leur lutte récente avec Byzance, ouvre la Mésopotamie. ‘Amr, dès 639, puis Mu‘āwiyya se tournent vers l’Égypte (Alexandrie tombe en 642). De plus, Mu‘āwiyya dote l’armée arabe d’une flotte de guerre construite par les artisans syro-égyptiens pour contrer la puissance maritime de Byzance, battue en 655 sur les côtes de Lycie.

Dans l’ensemble, les populations coptes et syriaques, juives et arabes chrétiennes font bon accueil aux musulmans tolérants. Ces communautés deviennent des dhimmīs, gens du Livre protégés, qui se gèrent eux-mêmes et payent un impôt différent de celui des musulmans.

En 659, l’offensive contre Byzance s’arrête, et la paix est signée avec l’empereur Constant II par Mu‘āwiyya, qui est occupé par sa rivalité avec le calife ‘Alī. La frontière se stabilise sur le Taurus et sur le haut Euphrate.


La Syrie centre du califat omeyyade (661-750)

Le siècle de la dynastie omeyyade fait de la Syrie le centre du nouvel Empire arabe avec Damas* la capitale califale (v. Omeyyades).

Dans une première phase, Mu‘āwiyya, premier calife de la dynastie (661-680) après l’exclusion par les armes des ‘Alides et diverses luttes contre les khāridjites, accomplit une œuvre de centralisation de l’Empire autour de sa nouvelle capitale Damas, vieille ville syriaco-byzantine, siège du pouvoir central où une cour fastueuse ayant hérité son cérémonial oriental de Byzance et de la Perse se développe, donnant essor à l’artisanat urbain.

Dans une seconde phase, ‘Abd al-Malik, cinquième calife omeyyade (685-705), entreprend de grandes réformes, axées sur trois points : « Unifier, islamiser, arabiser » (Claude Cahen).

Ces réformes touchent l’administration fiscale (où on emploie désormais l’arabe), la monnaie (où le bimétallisme d’État, dinar d’or [4,25 g] et dirhem d’argent [2,97 g], remplace le denier d’or byzantin et la drachme d’argent sassanide) et les ateliers d’État (papyrus, soie, armes). La société, aussi, est islamisée : la classe des mawālī, convertis, prend de l’importance et forme une clientèle de l’aristocratie arabe.

Dans le domaine économique, un essor particulier est donné à la Syrie, qui se trouve au débouché de l’immense arrière-pays oriental unifié du califat. D’autre part, la marine construite par Mu‘āwiyya permet aux Arabes d’avoir la maîtrise militaire et commerciale en Méditerranée, où la conquête du Maghreb et de l’Espagne ouvre des voies d’échange.