Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Syrie (suite)

La réapparition du fonds sémitique

Mais la Syrie est aussi la berceau de nombre de ces cultes orientaux qui séduisent l’Empire romain avant que ne triomphe l’évangile prêché en Palestine au ier s. Sous les noms grecs ou romains, le reste du monde méditerranéen adopte les divinités du syncrétisme araméen : dieux de l’Orage (Hadad, Baal, Zeus ou Jupiter, de Damas, d’Alep, de Hiérapolis), dieux solaires (celui de Baalbek et celui d’Émèse, qu’adorait l’empereur Élagabal), déesses mères (Atargatis de Hiérapolis, Astarté). Le renouveau culturel se manifeste sous des formes plus durables. L’araméen, après avoir été la langue de la bureaucratie achéménide, avait reculé devant le grec, sauf dans les campagnes. Il reprend toute son importance lors du déclin des Séleucides, en particulier chez les Juifs, les Nabatéens (dont il est la langue de culture) et les Palmyréniens. À l’époque chrétienne, c’est le syriaque (dialecte araméen d’Édesse en haute Mésopotamie) qui sert à la liturgie et à cet extraordinaire essor de la littérature nationale, qui est venue attiser la grande controverse christologique (ve-vie s.).

Depuis ses premières civilisations, la Syrie avait été à la fois un lieu de passage et une juxtaposition de petites unités isolées. Le progrès technique et culturel, l’enrichissement et les invasions avaient été les conséquences normales de ce paradoxe géographique. Ce commun destin des populations du couloir syrien conduit à additionner leurs apports culturels respectifs. Et, dans ce cas, quelle autre région du monde présente autant de richesses que le couloir syrien, où sont nés la religion israélite, l’alphabet, la grande navigation, le christianisme ?

G. L.


La Syrie byzantine (395-638)

En 395, à la mort de l’empereur Théodose Ier le Grand, l’Empire romain est séparé en deux parties ; la Syrie devient alors une province de l’Empire romain d’Orient (ou Empire byzantin), qui a Constantinople pour capitale. Sous Justinien (527-565), la Syrie comprend sept provinces plus la Palestine et le limes désertique de l’Arabie Pétrée. La métropole est Antioche*, important marché au débouché des voies d’Asie, siège de l’administration centrale et centre culturel des élites hellénisées universitaires et ecclésiastiques. Une série d’autres villes, datant de l’Antiquité, constituent un réseau urbain très dense (Alexandrette, Laodicée [Lattaquié], Béryte [Beyrouth], Tyr, Acre, Apamée-sur-l’Oronte, Epiphania [Ḥamā], Émèse [Homs], Héliopolis [Baalbek], Césarée, Jérusalem, Samosate, etc.). Elles sont reliées entre elles par un ensemble de voies romaines et de pistes caravanières, semé de relais à travers le désert (Sergiopolis [Ruṣāfa], Hiérapolis [Manbidj], Bostra).

La campagne syrienne est fertile dans les plaines côtières et les vallées irriguées ; malgré un système foncier latifundiaire hérité du bas-Empire et la lourde fiscalité byzantine, elle exporte du blé et surtout de l’huile d’olive renommée, des vins et des fruits secs.

La société présente une grande complexité ethnique. Dans les campagnes, les sédentaires sémites parlent araméen ou, dans le Nord, un dialecte voisin, le syriaque, et les éleveurs nomades des déserts, les Bédouins, utilisent des dialectes arabes ; dans les villes, le petit peuple est également sémite ; les commerçants syriens ou juifs emploient l’araméen dans le commerce ; les élites citadines et l’Église officielle s’expriment en grec ; enfin, dans l’administration et l’armée, on se sert du latin. À cet ensemble ethno-linguistique on peut ajouter des minorités arméniennes et coptes ainsi que des garnisons de mercenaires celtes ou goths. Les populations sémites, syriennes, juives ou arabes, voire coptes sont dominées par la classe dirigeante romano-byzantine ou hellénisée, qui constitue un élément allogène.

Malgré l’essai de retour au paganisme de Julien l’Apostat (361-363), le peuple aussi bien que les classes possédantes de Syrie-Palestine sont presque totalement christianisés, et, depuis Théodose, le christianisme est religion d’État. Le judaïsme connaît un grand essor, en particulier à Antioche.

La Syrie-Palestine constitue un important domaine de la chrétienté de l’époque avec les patriarcats d’Antioche (qui comprend dix-sept métropoles) et de Jérusalem. Le monachisme*, élément de culture, y est très important, sous forme conventuelle ou érémitique. Mais des doctrines hétérodoxes troublent le christianisme oriental. Après l’arianisme*, le nestorianisme connaît un grand développement en Syrie. Il est rejeté au troisième concile œcuménique d’Éphèse (431), et ses adeptes se réfugient en Perse où ils collaborent avec les Sassanides contre Byzance, ralliant les hérétiques persécutés dans les provinces byzantines ; aussi le nestorianisme a-t-il une grande importance politique. Enfin, le monophysisme*, doctrine antinestorienne, prend une extension particulière en Syrie. « Le monophysisme servit d’expression au particularisme politique de l’Égypte et de la Syrie ; il fut le signe de ralliement du séparatisme copte et syrien aux prises avec la domination byzantine » (G. Ostrogorsky) ; il fera préférer à ces provinces des envahisseurs plus tolérants, perses, puis arabes.

Adversaires et partisans du monophysisme s’affrontent dans ce qu’il est convenu d’appeler la « querelle christologique », qui donne naissance à une abondante littérature polémique en grec et surtout en syriaque. Le syriaque, qui a été développé par Éphrem d’Édesse (v. 306-373), devient la langue liturgique de l’Église nationale et le symbole de son particularisme politique. Condamnée par les conciles et réduite à la clandestinité, l’Église monophysite est réorganisée par Jacques Baradaï (en grec, Zanzalos, † 578) ; d’où son nom d’Église jacobite.

Après la campagne de Théodose II (408-450) contre les Perses en 421-22, la Syrie vit en paix jusqu’au vie s., où incursions des Bédouins, séismes, épidémies, révoltes des populations et graves attaques sassanides se succèdent.