Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Syrie (suite)

Le retard de l’organisation politique, qui persiste à l’époque où de grands États se sont formés en Égypte et en Mésopotamie, suscite la convoitise de ces puissances, désireuses de se procurer à bon compte le bois et les produits agricoles du couloir syrien. Après la tentative de Narmer (fondateur de la Ire dynastie égyptienne, v. 3200) pour dominer le sud-ouest de la Palestine, les pharaons se contentent d’expéditions punitives sur les confins palestiniens. Peut-être dominent-ils politiquement la cité de Byblos, par le port de laquelle passe l’essentiel du commerce entre l’Égypte et l’Asie ; en tout cas, les pharaons font déposer régulièrement leurs ex-voto (xxixe-xxiiie s.) dans le temple de la Dame de Byblos, assimilée à Isis et à Hathor.

Si les objets fabriqués sur les bords du Nil se retrouvent jusque dans l’Amouq (au nord de la plaine d’Antioche), les sceaux mésopotamiens sont diffusés ou imités jusqu’au Néguev. Mais, alors que l’influence culturelle de l’Égypte est encore insignifiante dans le couloir syrien, celle de la Mésopotamie marque profondément la Syrie septentrionale.

Avant et après les expéditions guerrières des rois d’Akkad* (xxive et xxiiie s.) vers la Forêt du Cèdre (l’Amanus) et la Mer d’En-Haut (Méditerranée), la ville d’Ebla (que l’on a retrouvée à tell Mardikh, à 70 km au sud d’Alep), centre d’un royaume important sur une grande route commerciale, est imprégnée de la culture de la basse Mésopotamie : son palais emploie les cunéiformes et l’akkadien, et ses artistes réalisent une adaptation de la tradition artistique de Sumer*, qui serait une des sources de l’art « syro-hittite », qui s’épanouit en Syrie et en Anatolie au IIe millénaire. En effet, le couloir syrien ne s’en tient plus à un rôle passif, et ses marchands apportent à partir du milieu du IIIe millénaire ses produits dans l’Anatolie centrale, avec laquelle s’opèrent de fructueux échanges culturels.


L’invasion amorrite (xxive-xixe s. av. J.-C.)

Déjà au milieu du IIIe millénaire, une migration généralement pacifique, venue de l’Anatolie orientale, avait traversé le couloir syrien du nord au sud et y avait répandu la poterie caractéristique de Khirbet Kerak (l’ancienne Beth Yerah, au sud du lac de Tibériade). Au contraire, les Amorrites (nom moderne tiré d’Amourrou, « Ouest » en akkadien, qui servait à les désigner) détruisent la civilisation urbaine dans le couloir syrien, à l’exception du Nord-Est. Ces Sémites, pasteurs sortis du désert syro-arabe, se répandent ensuite à partir de la Syrie dans le delta du Nil (xxiiie-xxiie s.) et en Mésopotamie (à partir du xxie s.). Bien que les plus nombreux, les Amorrites ne sont pas les seuls à parcourir le couloir syrien : l’infiltration des Hourrites, venus des montagnes situées à l’est et au nord de la haute Mésopotamie, doit commencer à cette époque, et un troisième élément, sans doute originaire d’Anatolie, apporte de nouvelles techniques de métallurgie.


Citadins et guerriers du bronze moyen (xxe-xvie s. av. J.-C.)

Au milieu de groupes qui restent attachés à la vie pastorale, la civilisation urbaine reparaît progressivement, en commençant par le nord de la Syrie. C’est alors que naît une civilisation qui ne se modifiera guère avant le xiie s. av. J.-C. et que les archéologues nomment conventionnellement cananéenne (d’après la Bible, qui attribue au peuple de Canaan la possession de la Palestine, avant l’arrivée des Israélites, et d’une bonne partie de la Syrie centrale). Elle est caractérisée par le style de ses poteries et de ses bronzes, par sa religion naturiste, où le fonds sémitique est remodelé sous l’influence du cadre géographique syrien, et par la prédominance des dialectes sémitiques de type cananéen (parlers amorrites du couloir syrien). Jusqu’à présent, les premières traces s’en rencontrent dans le mobilier des tombes d’Ougarit* et de Qatna et surtout dans les dépôts d’offrandes des temples de Byblos, qui contiennent des bronzes de fabrication locale : parures (fibules, torques, spirales), armes, figurines (dieux ou orants, animaux). Byblos et Ougarit entament bientôt avec la Crète* minoenne et Chypre* des échanges commerciaux, qui indiquent sans doute la naissance d’une marine sur le littoral syrien.

Sur le continent, les grands États du reste de l’Orient s’efforcent de dominer le couloir syrien, dont ils convoitent les richesses et dont ils redoutent les nomades pillards. Avant de succomber sous le poids de l’invasion des Amorrites, la IIIe dynastie d’Our* aurait dominé un temps la cité de Byblos. La politique des pharaons, pourtant plus suivie, n’est guère mieux connue. Alors que les faibles rois de la Ire période intermédiaire ont réussi à expulser les Asiatiques du Delta, les pharaons du Moyen* Empire (v. 2052 - v. 1170) semblent se préoccuper surtout de fortifier la frontière orientale du Delta et ne mènent que de rares campagnes dans le couloir syrien ; aussi discute-t-on encore sur la nature exacte de la prédominance que les rois de la XIIe dynastie paraissent exercer sur un certain nombre de villes depuis Megiddo jusqu’à Qatna et à Ougarit.

Avant même que se soit manifesté le déclin qui met fin au Moyen Empire en Égypte, les cités du couloir syrien passent du régime tribal à la royauté, et, bientôt, dans le Nord, les souverains des grandes villes imposent leur prépondérance aux roitelets des petites agglomérations. Le plus important de ces royaumes amorrites est le Yamhad (ou Iamhad, capitale Alep), dont la domination s’étend un moment, au xviiie s., à des villes de Mésopotamie.

Les États du couloir syrien connaissent un essor culturel remarquable avec la constitution d’une koinê (mot grec signifiant « forme commune »), collection de traits empruntés aux différents pays du Proche-Orient et de la Méditerranée orientale. Ainsi, à Byblos, les princes locaux laissent des inscriptions en égyptien hiéroglyphique et de splendides mobiliers funéraires où se reconnaissent les influences de la Mésopotamie et de la vallée du Nil ; leurs sujets échangent des recettes de métallurgie avec les artisans de Chypre et de la Crète. Dans le Nord-Est, où les scribes des palais emploient l’akkadien et l’écriture cunéiforme, la glyptique « syro-hittite » se développe à partir de thèmes syriens et cappadociens.