Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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syndicalisme (suite)

Mais nombre de syndiqués se contentent de l’achat de quelques timbres. Dès lors, sur quelle base évaluer les effectifs ? Considérera-t-on comme syndiqué quiconque possède une carte, même s’il n’a acheté qu’un timbre au lieu de douze ? Exigera-t-on douze timbres ? Ou bien acceptera-t-on de se contenter d’une moyenne qui pourrait se situer vers sept ou huit timbres ? Selon qu’on adopte telle ou telle réponse, les évaluations numériques pourront varier du simple au double.


Les conceptions diverses du syndicalisme

Il ne semble pas établi qu’en France ni dans les autres pays le syndicalisme, en ses débuts, se soit prononcé pour une transformation radicale de la société. Son existence était trop précaire pour qu’il affichât de telles ambitions, même s’il les avait nourries ; mais sans doute ne les nourrissait-il pas.

• Dans ces conditions, on pourrait soutenir que la première attitude du syndicalisme est réformiste, et elle le demeure dans divers pays, au moins pour la grande majorité des syndiqués. Ce que veut ce syndicalisme réformiste, c’est seulement, à l’intérieur du régime capitaliste (dont il ne conteste pas le principe, mais seulement les modalités), agir pour que la condition des travailleurs soit sans cesse améliorée, par une augmentation de salaires, par une réduction du temps de travail et par un réseau de mesures protectrices (lois ou conventions) apportant quelque sécurité.

C’est à ce syndicalisme que vont en France, avant la Première Guerre mondiale, les sympathies des syndicats du livre et souvent des syndicats de mineurs. Auguste Keufer (1851-1924), secrétaire général de la Fédération des travailleurs français du livre, défend ces conceptions non sans vigueur ni habileté dans les congrès de la C. G. T., où l’atmosphère ne lui est guère favorable. C’est également ce syndicalisme réformiste que pratiquent les dirigeants des trade-unions britanniques ou de l’American Fédération of Labor (AFL), qui, à leurs débuts du moins, reposent sur un syndicalisme de métier en mesure de faire jouer au profit des salaires ouvriers la loi de l’offre et de la demande, par une raréfaction volontaire de la main-d’œuvre qualifiée.

Un second type de syndicalisme est caractérisé par l’alliance avec le parti socialiste — en Allemagne, dans les pays Scandinaves, en Suisse, en Belgique par exemple. Les dirigeants des syndicats adhèrent dans leur ensemble à la vision socialiste de la société. Entre le parti et les syndicats s’opère alors une division du travail : les syndicats mènent les luttes ouvrières et conseillent le parti en matière de législation sociale ; ils le soutiennent dans les élections. Le parti se fait le porte-parole des syndicats dans les Assemblées législatives. Souvent, la pratique syndicale pèse sur le parti dans un sens réformiste et l’amène à se détacher des vues théoriques qu’on entretenait initialement.

• Plus ambitieuse est la conception syndicaliste révolutionnaire qui domine la C. G. T. française d’avant 1914 et qui influence aussi les syndicats italiens et espagnols, voire, aux États-Unis, les Industrial Workers of the World (IWW). Pour les partisans de cette conception, le syndicalisme est le seul mouvement qui puisse réaliser la révolution nécessaire. La transformation sociale ne peut venir ni du bulletin de vote, ni de l’insurrection ; elle surgira dans et par la grève générale. Son résultat sera la remise de la direction des usines aux syndicats, « la mine aux mineurs ». L’indépendance est le maître mot du syndicalisme, qui doit se garder libre, farouchement, vis-à-vis du patronat, de l’État, de tout État même prolétarien et des partis politiques, même et surtout du parti socialiste. Jamais et nulle part ces conceptions n’ont été exprimées avec autant de force que dans la « charte d’Amiens », votée par le congrès de la C. G. T. réuni en 1906, quelques mois après le congrès d’unité socialiste de 1905. L’action directe est alors le principe premier de l’action syndicale. Ce syndicalisme tend à apporter une conception globale de la société.

• À l’opposé du syndicalisme réformiste et du syndicalisme révolutionnaire, Lénine élabore une conception de l’action syndicale fondée sur un tout autre raisonnement et auquel l’avenir donnera — après octobre 1917 — une très grande importance. Pour lui, le syndicalisme, s’il prétend se déterminer lui-même, ne peut pas échapper au déviationnisme : déviation trade-unioniste, il croit qu’il peut faire l’économie de la révolution et sombre alors dans le réformisme ; déviation anarcho-syndicaliste, il croit qu’il peut faire seul la révolution et il n’y parvient pas. Le syndicat doit donc être dirigé par le parti communiste avant-garde du prolétariat. Il ne peut être que l’école primaire du communisme. Des non-communistes peuvent et doivent être admis dans les syndicats, où peu à peu se formera leur conscience politique. En régime capitaliste, le syndicalisme portera les revendications des masses à l’égard du pouvoir ; il sera facteur d’agitation revendicative. En régime socialiste, il aidera le pouvoir, sans se confondre avec lui, à discipliner les réactions ouvrières ; il sera également facteur de progrès ; tout en permettant de réagir contre certaines déformations bureaucratiques, il n’a pas à gérer les usines.

• À partir de 1880, en France et dans différents pays se constitue un syndicalisme chrétien. Parfois, comme en Allemagne, il est issu de scissions qui affectent les syndicats socialistes ; parfois, comme en France, il est dû à l’initiative de jeunes prêtres qui vont de l’avant avec une audace qui inquiète alors la hiérarchie catholique. À partir de 1891, l’encyclique Rerum novarum apporte un cadre doctrinal au syndicalisme chrétien. Celui-ci répudie le matérialisme, la lutte de classes, la violence et essaye de mettre en place une société où l’organisation professionnelle jouerait un rôle important en harmonisant les rapports entre employeurs et salariés. Mais les progrès du syndicalisme chrétien sont lents, parfois limités à certains milieux proches des classes moyennés, comme celle des employés, ou aux professions où la main-d’œuvre féminine est importante, comme le textile. En France, il faut attendre 1919 pour que se constitue une Confédération française des travailleurs chrétiens (C. F. T. C). Ainsi se trouve ruiné le monopole confédéral dont bénéficiait la C. G. T. depuis 1895. Jusqu’à notre époque, il n’a jamais été rétabli. Dans l’histoire ouvrière de la France, le pluralisme l’emporte sur l’unité.