Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

symbolisme (suite)

Dans le monde linguistique espagnol commence vers 1890 le mouvement du modernisme, qu’on a parfois assimilé au symbolisme. Il est vrai que des rapprochements s’imposent. Le modernisme est cosmopolite, non seulement parce qu’il est le fait d’écrivains venus de pays différents (Rubén Darío* est originaire du Nicaragua, Manuel Gutiérrez Nájera [1859-1895] du Mexique, José Asunción Silva [1865-1896] de Colombie, etc.), mais aussi parce qu’il est ouvert aux influences étrangères. Darío parle de son « gallicisme mental » ; d’autres se réfèrent à Verlaine, à Rimbaud, à Laforgue. Le modernisme est sensible aux suggestions de la musique, celle de Wagner, celle de Debussy, à la magie de la peinture de Gustave Moreau. C’est un art artistocratique, qui s’oppose aux « barbares ». Mais il est également proche du Parnasse par le sens de la Beauté, et, si ses représentants ont conscience de la nécessité d’une rénovation du langage poétique, ils ont recours à la tradition populaire autant qu’à la recherche savante. Avec le début du xxe s., le modernisme se détachera de l’esthétisme pour s’ouvrir aux problèmes politiques, particulièrement dans les pays de l’Amérique latine.

Au Portugal, un mouvement de renouveau littéraire se développe à partir de 1890 sous des formes diverses : Parnasse, réalisme, symbolisme. Eugénio de Castro (1869-1944) fit divers séjours en France et fréquenta Mallarmé, René Ghil et les cercles symbolistes ; mais, s’il est lui-même préoccupé des problèmes d’expression poétique, Laforgue et Verlaine parlent plus directement à la sensibilité de ses contemporains et s’incorporent plus aisément à la littérature nationale. Décadence et symbolisme continueront d’innerver les tendances qui, au xxe s., seront en relation avec les avant-gardes européennes : Fernando Pessoa (1888-1935) alliera dans un nationalisme culturel valeurs symbolistes et thèmes futuristes.

Voudrait-on suivre au-delà des langues européennes le destin du symbolisme, on relèverait qu’en 1905 paraît au Japon une anthologie des symbolistes français qui a incité les poètes japonais à imaginer des structures prosodiques nouvelles, ou que les poètes occidentalistes chinois lui doivent beaucoup. Pour la première fois peut-être, un mouvement esthétique atteint à une telle extension et prend ainsi la dimension du monde moderne : né des aspirations de l’Europe du xixe s., le symbolisme mène à l’universalisme intellectuel et esthétique du xxe s.

M. D.

 R. Taupin, l’Influence du symbolisme français sur la poésie américaine de 1910 à 1920 (Champion, 1929). / A. J. Former, le Mouvement esthétique et « décadent » en Angleterre, 1873-1900 (Champion, 1931). / G. Michaud, Message poétique du symbolisme (Nizet, 1947 ; 3 vol.). / A. G. Lehmann, The Symbolist Aesthetic in France, 1885-1895 (Oxford, 1950). / K. Cornell, The Symbolist Movement (Hamden, Connect., 1951 ; nouv. éd., 1970). / C. David, Stephan George, son œuvre poétique (I. A. C., Lyon, 1953). / C. Feidelson, Symbolism and American Literature (Chicago, 1953). / G. Donchin, The Influence of French Symbolism on Russian Poetry (La Haye, 1958). / N. Richard, À l’aube du symbolisme (Nizet, 1961). / A. Balakian, The Symbolist Movement : a Critical Appraisal (Westminster, Maryland, 1968). / P. Delsemme, Teodor de Wyzewa et le cosmopolitisme littéraire en France à l’époque du symbolisme (P. U. F., 1969 ; 2 vol.). / A. Karatson, le Symbolisme en Hongrie, l’influence des poétiques françaises sur la poésie hongroise dans le premier quart du xxe siècle (P. U. F., 1969). / A. Mercier, les Sources ésotériques et occultes de la poésie symboliste, 1870-1914, t. I : le Symbolisme français (Nizet, 1969). / G. Marie, le Théâtre symboliste (Nizet, 1973).


Le mouvement symboliste dans les arts plastiques


Les sources du symbolisme artistique

Dans le domaine artistique aussi bien que dans le domaine poétique, le symbolisme peut être considéré comme un approfondissement du romantisme* ou, plus exactement, dès l’instant que, de ce dernier mouvement, on balaie les aspects superficiels qui en ont le plus souvent occulté la raison profonde, comme un retour à ses principes fondamentaux. La tentative de cerner ce qu’il y a justement d’incernable dans les états d’âme, de porter sur la scène l’indicible et même l’invisible, plus généralement de donner le pas au fantasme sur le réel et au rêve sur la banalité, enfin de consacrer l’idée aux dépens de la matière, c’est ce qui déjà apparaissait dans le préromantisme anglais avec Henry Fuseli et William Blake*, comme dans le romantisme allemand de Caspar David Friedrich, de Philipp Otto Runge et de Carl Gustav Carus. La nostalgie d’un âge d’or d’avant le péché de la connaissance, qui prend corps dans la peinture avec les nazaréens, ces Allemands réfugiés à Rome au début du xixe s. afin d’y découvrir le remède à la concupiscence dans le culte d’un art religieux intemporel, se poursuit à partir de 1848 du fait des préraphaélites* anglais, lesquels pensent trouver dans le quattrocento le remède souverain contre le rationalisme esthétique, pour déboucher de façon assez caricaturale dans le bric-à-brac des Salons Rose-Croix de la fin du siècle, patronnés par Joséphin Péladan (1859-1918). Mais, si l’on y prend garde, les plus grands peintres du symbolisme, Gustave Moreau*, Arnold Böcklin* et Paul Gauguin*, sont tout entiers à cette nostalgie. Et, de différentes manières, en Belgique Antoine Joseph Wiertz (1806-1865), en France Théodore Chassériau*, Charles Méryon (1821-1868) et Rodolphe Bresdin (1825-1885) assurent la transmission, du romantisme au symbolisme, d’une vision fantastique des êtres et des lieux qui nous en dévoile comme la face cachée.


Le mythe préféré à l’histoire

Le passage du premier au second de ces mouvements s’accomplit par un déni de plus en plus marqué de l’histoire au profit du mythe. Non pas que les références historiques soient absentes en totalité de l’aire symboliste ou présymboliste, mais visiblement elles y jouissent d’une considération infiniment moindre qu’aux yeux des peintres académiques ou même des romantiques de la veine héroïque de Gros* et de Delacroix*. C’est sur ce point, d’ailleurs, que le symbolisme s’inscrira dans la contestation par rapport aux Salons officiels, où la peinture d’histoire jouit de la plus haute considération, en même temps qu’il se refuse à rejoindre Delacroix dans le culte de l’énergie. À l’histoire des événements réels, il préfère de beaucoup la légende, surtout lorsqu’elle prend racine dans une tradition longtemps dédaignée par la culture issue de la Renaissance (ainsi le « Celtic Revival » en Grande-Bretagne) ou dans la littérature la plus prestigieuse (Dante et Shakespeare par exemple chez les préraphaélites). C’est que la légende autorise une approche du mythe que le respect de la « couleur locale » ou de la vérité des faits risque d’entraver, car il ne s’agit à aucun moment de s’en tenir, comme le fit la peinture des âges classiques dans la majorité des cas, à une pure et simple illustration de la mythologie, d’ailleurs prétexte chez les plus grands à développements de la seule plastique. Le symbolisme se distingue au contraire par une attention portée à l’essence des mythes, longtemps dissimulée sous le vernis de la tradition humaniste. En cela, il participe d’un mouvement de l’intelligence et de la sensibilité auquel appartient également la psychanalyse, qui, dans la lointaine geste d’Œdipe, redécouvre les origines de notre plus actuel comportement.