Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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symbolisme (suite)

Dans les pays slaves, la fortune du symbolisme a été presque immédiate. Le mouvement de la « Jeune Pologne » est à la fois national et artistique. Il prend racine dans la tradition populaire et patriotique, mais se tourne aussi vers l’Europe occidentale et surtout vers la France, images de liberté politique et intellectuelle. Stanisław Wyspiański*, qui meurt en 1907 à trente-huit ans, est l’âme du mouvement ; peintre, illustrateur, poète, dramaturge, traducteur, animateur politique, il représente bien dans ses activités multiples les tendances diverses du mouvement, où se joignent, du point de vue littéraire et artistique, la tradition du romantisme visionnaire et les idées nouvelles. Son catholicisme entraîne Wyspianski vers le Moyen Âge et les cathédrales gothiques, son romantisme vers un mysticisme politique et social. Mais il n’ignore pas Maeterlinck, dont procède sa pièce les Noces (Wesele), donnée en 1901 à Cracovie, et il répand en Pologne la théorie du drame wagnérien. Son aîné d’un an. Stanisław Przybyszewski (1868-1927) écrit la première partie de son œuvre en allemand. En 1898, il s’installe à Cracovie et se convertit à sa langue natale. Son satanisme, son illuminisme fascinent ses disciples, qui s’appellent « fils de Satan ». Przybyszewski a lu Barbey d’Aurevilly, Huysmans, Verlaine, Laforgue et il admire les dessins de Félicien Rops. La revue Życie (la Vie), dont il prend la direction, est ouverte aux grandes orientations européennes de la décadence, du symbolisme et de l’occultisme. Auprès de ces deux poètes, Jan Kasprowicz (1860-1926) allie l’image de Baudelaire à un rêve médiéval, Georges Tetmajer est décadent à la manière de Jean Lorrain, Bołeslaw Leśmian (1878-1937) [qu’on a parfois rapproché de Jarry], plus soucieux d’alchimie verbale, corrode par l’humour la fascination du fantastique. Mentionnons enfin le rôle de la revue Chimera, où parurent de nombreuses traductions, notamment celle d’Axel en 1901. Sensible aux influences allemandes autant qu’aux influences françaises, ancré dans une tradition qui remonte au début du siècle, le mouvement de la Jeune Pologne représente une étape originale dans le développement du symbolisme.

Dans la Russie impériale de 1890, le recours à l’Occident est également la manifestation d’un esprit progressiste. Lorsqu’en 1892 Semen Afanassievitch Venguerov (1855-1929) présente la nouvelle poésie dans Vestnik Ievropy (le Messager de l’Europe), un groupe symboliste existe déjà en Russie. Valeri Iakovlevitch Brioussov (1873-1924) fait figure de chef de file. Il publie en 1894-95 les trois cahiers intitulés les Symbolistes russes. En 1895, ses Chefs-d’œuvre s’inspirent de Baudelaire, de Verlaine, de Rimbaud, de Vielé-Griffin, d’Henri de Régnier ; en 1897, Me meum esse développe le thème que le monde est la représentation que s’en fait le poète démiurge. K. D. Balmont*, Dans l’immensité (1895), est plus préoccupé de problèmes techniques et de structure du vers, et Dmitri S. Merejkovski, dans Symboles (1892), de messianisme et de mysticisme. L’unité du groupe ne fut pas durable. Brioussov se sépare de la revue Novyi Pout (Nouvelle Voie), où le groupe s’exprimait, pour fonder Vessy (la Balance), qui aura René Ghil comme collaborateur régulier. À partir de 1904, il évolue vers une poésie néo-classique et s’oppose à l’exaltation mystique de Merejkovski et de ses disciples.

Une seconde génération est celle des poètes qui ont vingt ans en 1900, comme Aleksandr Aleksandrovitch Blok* et Andreï Belyï* ; leur maître est Vladimir Solovev, mort en 1900, idéaliste et mystique, pour qui la poésie était expérience spirituelle. Ils ont moins de liens avec la France que les collaborateurs de Novyi Pout et sont plus ouverts aux influences germaniques ainsi qu’aux sources nationales ; les préoccupations esthétiques les retiennent moins que la philosophie et la mystique.

La vie féconde et tourmentée du symbolisme russe se heurte à partir de 1910 au futurisme, à l’acméisme, à toutes les formes de l’avant-garde, qu’il a contribué à créer, mais qui se détachent de lui en se tournant résolument vers l’avenir et en mettant au premier plan les problèmes d’écriture.

Dans d’autres pays de l’Europe centrale, le rayonnement du symbolisme est plus tardif. En 1892. Alexandru Macedonski (1854-1920) publie en Roumanie un manifeste qui se réclame du symbolisme et de l’instrumentisme de René Ghil, mais c’est après 1905 seulement que les idées symbolistes se répandent dans le pays avec la revue Viaţa nouă (Vie nouvelle). En Bulgarie, les références symbolistes sont postérieures à 1900 et se prolongent jusqu’après la guerre, notamment avec la revue Hyperion ; elles concernent d’ailleurs plus Verlaine, A. Samain et M. Rollinat que Mallarmé. Et, si un courant décadent, volontiers blasphématoire, apparaît dans la poésie hongroise à la fin du siècle (Tristia de Géza Szilágyi [1875-1958], 1896), il faut attendre le troisième recueil d’Endre Ady*, Poèmes neufs (1906), et la fondation de la revue Nyugat (Occident) en 1908 pour que se manifeste un élan poétique nouveau qui se réclame de Baudelaire et de Verlaine aussi bien que de l’exemple des peintres impressionnistes. Sang et or d’Ady (1907) et ses recueils suivants sont chargés de visions hallucinées et prophétiques. Dezsö Kosztolányi* s’inscrit dans la lignée de Baudelaire. Mihály Babits (1883-1941) est plus esthète et de goût aristocratique. Ce courant symboliste reste vivace de nombreuses années et ne sera balayé que par les bouleversements politiques de l’après-guerre.

Dans les pays méditerranéens de langues latines et en Amérique du Sud, la fortune du symbolisme prit des formes diverses.

En Italie, G. D’Annunzio*, né en 1863, donc contemporain de la génération symboliste française, développe dès les années 80 tous les grands thèmes de la décadence, égotiste comme Barrés et esthète comme Montesquiou. Mais il est peu sensible aux appels purement symbolistes. Il en va de même des crépusculaires comme Guido Gozzano (1883-1916), Sergio Corazzini (1886-1907), Ferdinando Martini (1841-1928), qui, héritiers de la poésie élégiaque de Giovanni Pascoli*, sont proches de Laforgue ou de Jammes par le sens de la banalité de la vie quotidienne et l’attendrissement devant le réel. Leur période d’activité s’étend de 1900 à 1915. À partir de 1910, d’autres mouvements s’affirment, qui, comme le futurisme, sont résolument tournés vers l’avenir, mais qui, paradoxalement, ont peut-être plus d’attaches avec le symbolisme. Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), par sa revue Poesia, a beaucoup contribué à la diffusion des idées symbolistes. Ardengo Soffici (1879-1964) publie en 1911 une étude sur Rimbaud. Un poète comme Dino Campana*, issu du groupe fragmentiste, a pu être comparé à Rimbaud. Arturo Onofri (1885-1928), enfin, est celui qui participe le plus intensément de l’aventure symboliste dans sa quête de l’essentiel et son expérience de la vie universelle.