Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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symbolisme (suite)

En Allemagne, la pénétration du symbolisme belge a été rapide : Verhaeren et Maeterlinck ont été très vite traduits et étudiés. Mais le rôle déterminant a été celui de Stefan George. Celui-ci traduit Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Rimbaud et aussi Dante Gabriel Rossetti, Swinburne, Dowson, Willem Kloos, Albert Verwey, D’Annunzio, Wacław Rolicz-Lieder. Il fonde en 1892 la revue Blätter für die Kunst (Feuilles pour l’art), qui acquiert une réputation internationale. Il publie en 1892 Algabal, un grand poème où interfèrent les influences décadentes et les exigences mallarméennes. Cependant, il ne tarde pas à s’éloigner de cette première inspiration et, malgré des initiatives comme la revue internationale Pan, on ne peut parler d’un groupe symboliste allemand. Peut-être parce que le romantisme de l’Allemagne, sa philosophie, son esthétique musicale (et particulièrement le wagnérisme) sont trop étroitement mêlés aux sources et au destin du symbolisme, celui-ci reste présent sans jouir d’une existence autonome. Ses tendances se heurteront d’ailleurs à celles de l’expressionnisme et, bientôt, de l’avant-garde.

L’influence de Verlaine a été plus forte en Autriche. Elle s’est conjugée à celle de Baudelaire, de Huysmans, de Villiers de L’Isle-Adam, introduits par Hermann Bahr (1863-1934), et s’est notamment exercée sur les poètes « fin de siècle » de la Jung-Wien, qui se retrouvaient en elle, tels Leopold von Andrian-Werburg (1875-1951). Felix Dörmann (Felix Biedermann) [1870-1928], auteur de recueils aux titres caractéristiques de Neurotica (1889) et de Sensationen (1892). Les deux grands poètes autrichiens du début de ce siècle sont également tributaires du symbolisme dans leurs débuts. Hugo von Hofmannsthal* collabore aux Blätter für die Kunst et commence par professer un « idéalisme magique » qui se réfère à Novalis, mais qui n’ignore ni Swinburne, ni Baudelaire, ni Mallarmé. Rainer Maria Rilke* n’est pas éloigné dans ses premiers recueils des Chansons de Maeterlinck, et la quête obstinée de l’invisible qui oriente son œuvre entière nous incite à voir en lui, comme en Claudel, en Valéry ou en Milosz, un de ces hommes qui ont approfondi le message symboliste.

Prague fait alors partie de l’Empire austro-hongrois et, quelle que soit la force grandissante du mouvement national et culturel tchèque, est sensible aux impulsions venues de Vienne ou d’Allemagne. Julius Zeyer (1841-1901), qui a voyagé à travers l’Europe et s’est notamment lié avec Odilon Redon et Huysmans, ramène dans son pays des images d’esthètes décadents. La Moderní Revue, fondée en 1894, répand cet esprit de décadence, qui atteindra son apogée aux environs de 1900 et tendra à l’esthétisme.

Comme l’Allemagne, l’Angleterre pouvait sembler préparée au symbolisme. Le préraphaélisme* avait créé avant 1870 l’atmosphère vaporeuse du rêve et des figures idéales. D’autre part, George Moore (1852-1933) avait, en 1891, fait connaître Rimbaud et Verlaine (Two Unknow Poets), et Arthur Symons (1865-1945) avait publié en 1899 The Symbolist Movement (le Mouvement symboliste en littérature), où, de l’œuvre de Mallarmé et de celle de Villiers de L’Isle-Adam à la première d’Ubu roi, les aspects divers de la littérature nouvelle étaient présentés au public anglais.

Cependant, la protestation des artistes contre la société victorienne avait pris des formes voisines de certaines manifestations décadentes. Le satanisme de Swinburne*, proche de celui de Baudelaire et de Poe (Laus Veneris, 1866), se prolonge dans les raffinements morbides d’Oscar Wilde* et les gravures d’Aubrey Vincent Beardsley (1872-1898), fondateur de la revue The Yellow Book (1894-95). Quand, à partir de 1891, de jeunes poètes comme Richard Le Gallienne, Arthur Symons, W. B. Yeats*, Ernest Downson, Lionel Johnson se réunissent chaque semaine à Londres au Rhymer’s Club, c’est plus dans un esprit décadent et « fin de siècle » que par référence à l’exemple de Mallarmé et du symbolisme. Cependant, la curiosité de Yeats pour l’ésotérisme et la théosophie le rapproche de la recherche symboliste de l’unité ; il fréquentera d’ailleurs des cercles ésotériques dans les deux séjours qu’il fera à Paris en 1892 et en 1896.

Plus que le poète irlandais, c’est T. S. Eliot*, d’origine américaine, mais Anglais d’adoption, qui incarne l’héritage anglo-saxon de la décadence et du symbolisme. Ses premiers vers, Prufrock (1917) et Poems (1919), rappellent Corbière et Laforgue. The Waste Land (la Terre vaine, 1922), dont les assises sont la légende du Graal, les livres d’Adonis, Attis, Osiris, la mythologie hindoue, constitue une synthèse des ambitions et des démarches du symbolisme. Les dates de ces œuvres montrent combien durable a pu être la trace de l’école de 1886-1895 dans la littérature européenne.

Vielé-Griffin et Stuart Merrill (qui y séjourna de 1885 à 1889 et en 1890) auraient pu être les introducteurs du symbolisme aux États-Unis. Il n’en fut rien. C’est essentiellement par le canal de la critique anglaise qu’après 1890 Baudelaire, Verlaine, Mallarmé sont introduits outre-Atlantique. Si, dans les dernières années du siècle, Richard Hovey (1864-1900) traduit des poèmes de Verlaine, de Mallarmé, de Maeterlinck et le théâtre de ce dernier, c’est l’influence de Verlaine qui est prépondérante jusqu’aux environs de 1910 ; elle se manifeste en particulier sur les poètes canadiens de langue anglaise.

À partir de 1912, l’imagisme s’organise autour de poètes comme F. S. Flint et Ezra Pound*. Ceux-ci ne cachent pas tout ce qu’ils doivent au symbolisme. Quand John Gould Fletcher (1886-1950) écrit The Vowels, il pense à Rimbaud ; James Gibbons Huneker (1860-1921) est fortement influencé par Huysmans dans Painted Veils (1929) ; et F. S. Flint dira de lui-même, d’Ezra Pound et de Thomas Ernest Hulme (1883-1917) : « Nous avons subi une très grande influence du moderne symbolisme français. » Mais l’imagisme est bien différent du symbolisme. L’image est pour ces poètes « ce qui présente un complexe intellectuel et émotionnel dans une fraction de temps ». Énonçant quelques préceptes dans la revue Poetry de mars 1913, Ezra Pound déclare qu’il faut traiter « directement » le sujet, bannir tout mot inutile, composer une séquence comme une phrase musicale, sur le battement du métronome. On est plus près de l’avant-garde des années 1910-1920 et même de l’expressionnisme que du symbole et de la musique du vers. Esthétique de transition, l’imagisme est nettement tourné vers la poésie du xxe s.