Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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symbolisme (suite)

Le symbolisme français est indissolublement lié au symbolisme belge. C’est autour de la revue la Jeune Belgique, fondée en 1881, que s’était manifesté un esprit nouveau dans la littérature belge d’expression française : on y défend le naturalisme, l’art pour l’art, la décadence. Une rupture amorcée en 1886 par la création de la revue la Wallonie par Albert Mockel (1866-1945) est consacrée en 1887 après la publication du Parnasse de la Jeune Belgique : partisans de l’art pour l’art et symbolistes se séparent.

Georges Rodenbach (1855-1898) a attaché son nom à un climat de mélancolie décadente, dont toutes les composantes sont réunies dans son roman Bruges-la-Morte (1892). Charles Van Lerberghe (1861-1907) est peut-être le plus purement symboliste. Sa Chanson d’Ève (1904) est, avant la Jeune Parque, le poème musical de l’éveil d’une conscience vierge à la vie et au monde. Mais les personnalités les plus marquantes sont celles de Maurice Maeterlinck et d’Émile Verhaeren. L’œuvre strictement poétique de M. Maeterlinck* est brève : elle se réduit à deux courts recueils, Serres chaudes et Quinze Chansons (1900), le premier lourd d’une angoisse fiévreuse, l’autre déployant l’imagerie symboliste dans une savante fluidité. E. Verhaeren*, au contraire, est un poète ample et abondant, qui, parti d’une inspiration romantique et parnassienne (les Flamandes, 1883 ; les Moines, 1886), en arrive, après une crise physique et morale que jalonnent les hallucinations des Soirs, des Débâcles (1888) et des Flambeaux noirs (1890), à un lyrisme puissant de la vie moderne (les Villes tentaculaires, 1895 ; les Forces tumultueuses, 1902 ; la Multiple Splendeur, 1906 ; les Rythmes souverains, 1910). Avec lui, le symbolisme belge, à la différence de ce qui s’est passé en France, s’est orienté vers le monde contemporain et ses problèmes, s’ouvrant, au lieu de les rejeter, à certaines conceptions de l’art social.


Un roman impressionniste

Le manifeste de Moréas préconisait un « roman symbolique » fondé sur une vision subjective du réel. D’autre part, les publications de Teodor de Wyzewa (1863-1917) et le Roman russe (1886) d’Eugène Melchior de Vogué (1848-1910) font connaître les littératures étrangères « du Nord ». Mais les premières tentatives romanesques des symbolistes se réduisent souvent à une simple technique impressionniste habillée du pire jargon symboliste. Tel est le cas des nouvelles de Moréas et Paul Adam réunies sous le titre le Thé chez Miranda en 1886. Même Dujardin, qui, dans Les lauriers sont coupés (1888), prétend adapter au roman les procédés de composition de Wagner, se dégage mal d’un impressionnisme psychologique dans lequel on a vu la source du monologue intérieur. Barrès*, dans Sous l’œil des barbares (1888), Un homme libre (1889), le Jardin de Bérénice (1891), trace bien cette « aventure intérieure dans un décor plus suggéré que décrit » dont parlait Moréas, mais l’aventure, si elle a des attaches symbolistes, est déjà purement barrésienne. En fin de compte, c’est peut-être dans la Sixtine (1890) de Remy de Gourmont qu’on trouve la formule la plus achevée du roman symboliste.


Un théâtre pour l’esprit

Le théâtre a fasciné les symbolistes. Ceux-ci ont rêvé après Wagner d’un théâtre total ; ils ont pensé que le drame devait s’adresser à l’esprit plus qu’au regard et qu’il pouvait le faire sans déconcerter le spectateur s’il présentait plusieurs niveaux de signification. Ils ont eu leurs scènes avec le théâtre d’Art, fondé en 1890 par le jeune Paul Fort, et le théâtre de l’Œuvre, fondé en 1893 par Lugné-Poe.

Axel, publié en 1890, après la mort de Villiers de L’Isle-Adam, et représenté en 1894, apparut comme l’œuvre exemplaire. Parmi les titres les plus caractéristiques, on retiendra la Fille aux mains coupées (1893) de Pierre Quillard, mystère aux personnages sans nom qui se déroule hors du temps et de l’espace, et la Légende d’Antonia (1891-1893) d’Édouard Dujardin. Plus que dans ses poèmes, Saint-Pol Roux (1861-1940) réalise la plénitude des thèmes symbolistes dans la Dame à la faulx (1899). Mais le dramaturge du symbolisme reste Maurice Maeterlinck, avec ses pièces haletantes et angoissées qui suggèrent le mystère et le tragique de la vie à travers un univers de symboles ; ainsi la Princesse Maleine (1889), l’Intruse (1890), les Aveugles (1890), Pelléas et Mélisande (1892). Cependant, en 1890, un jeune inconnu avait publié son premier drame à cent exemplaires : Claudel donnait d’emblée, avec Tête d’or, sa puissance mythique au symbolisme.


Métamorphoses et traditions nationales

À partir de 1895, le symbolisme est abandonné, quand il n’est pas vigoureusement battu en brèche, par une nouvelle génération plus sensible aux valeurs de la vie et de la nature qu’à celles du rêve et de l’idéal : c’est le temps des nourritures terrestres.

On ne peut dire, pourtant, que le symbolisme est mort. Il se métamorphose plutôt dans quelques-unes des grandes œuvres du xxe s. Le Valéry de la Jeune Parque (1917) et de Charmes (1922) n’est plus symboliste, ni le Claudel des Cinq Grandes Odes (1904-1910) ; mais l’un a conservé de ses convictions de 1890 le sens de l’autonomie de la poésie et de la perfection technique, et l’autre renouvelle par sa foi catholique l’« explication orphique du monde » que Mallarmé assignait pour but à la poésie. Milosz, Victor Segalen suivent dans leur aventure spirituelle et esthétique une voie ouverte dans les grandes recherches de 1885-1890.

La vie du symbolisme se poursuit également en Europe et dans le monde entier. Il était voué dès ses origines au cosmopolitisme. Moréas n’était-il pas grec, Stuart Merrill et Vielé-Griffin américains, Teodor de Wyzewa polonais ? D’autre part, l’Allemand Stefan George* est un familier de la rue de Rome, comme les Britanniques Arthur Symons et George Moore. Le Hollandais Ary Prins (1860-1922) est un ami de Huysmans. Le Hongrois Endre Ady et d’autres encore viennent séjourner quelque temps à Paris. Des revues à vocation internationale circulent à travers l’Europe. Dès 1885, la revue hollandaise De Nieuwe Gids (le Nouveau Guide) publie les jeunes écrivains français. En 1890, Kasimir Leino (1866-1919), rentrant de Paris, fait connaître Verlaine, Mallarmé, Moréas en Finlande. La poésie symboliste française et belge se répand rapidement et suscite dans de nombreux pays des orientations littéraires nouvelles. Cette diffusion prend naturellement des formes diverses selon les nationalités et aussi les personnalités. D’une façon générale, elle est fondée sur une conception élargie du symbolisme, qui englobe Baudelaire et s’appuie plutôt sur Verlaine que sur Mallarmé. D’autre part, elle s’adapte en rejoignant les traditions nationales ou populaires, ou en se confondant avec d’autres tendances.