Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

symbole (suite)

Si divers puisse-t-il être, le symbole inclut donc toujours une certaine correspondance. Pure équivalence lorsqu’il s’agit de deux membres de symboles mathématiques réunis sous le signe =, cette correspondance est, au contraire, subtile et variable lorsqu’elle joue entre les « étages » de l’homme — organique, psychique, spirituel — ou du monde végétal, animal, humain. Mais elle peut être aussi latérale, puisque « les parfums, les couleurs et les sons se répondent » (Baudelaire). Le secret du poète est de reconnaître ces « correspondances ». Shelley, note F. Thompson, possédait une perception intuitive des analogies sous-jacentes, des secrets passages existant entre la matière et l’âme, des gammes chromatiques que nous devinons vaguement et dont se sert le Tout-Puissant pour moduler en toutes les clefs de la création.

Mais on sait aujourd’hui que l’art est justement d’évoquer ces rapports en les transposant dans un autre symbolisme, re-créateur : l’analogie qui peut exister entre son et sens dans les mots ou le rythme des vers (Paul Valéry), comme entre formes ou couleurs et réactions spirituelles (Maurice Denis). Tout l’art non figuratif est déjà postulé par Rimbaud : « Nous arracherons la peinture à ses vieilles habitudes de copie... On ne reproduira plus les objets, on imposera des sentiments grâce à des lignes, des couleurs et des schèmes pris au monde extérieur simplifié et dompté : une véritable magie ! »

De fait, la religion use de ces moyens symboliques. Tout rite cherche à provoquer, par gestes et paroles, la démarche spirituelle correspondante. Mais, plus généralement, tout, dans le monde, se révèle porteur d’une signification complémentaire des apparences : le soleil et les astres, la lune et les eaux, la terre et ses pierres, la végétation et l’agriculture, l’espace et le temps (cf. le Traité d’histoire des religions de Mircea Éliade). Le christianisme, loin de renier ces pressentiments païens, prend la nature — à la suite de saint Paul (Romains, i, 20) — comme révélation symbolique de Dieu. Plus encore évidemment, la Bible joue des « correspondances » entre les histoires qu’elle relate (= sens littéral) et leur portée triplement symbolique : du Christ à venir, de la vie chrétienne et des fins dernières (= sens typologique, tropologique, anagogique). « Comprends-le : en tout l’Écriture sainte est sacrement », proclame le plus littéraliste des Pères, saint Jérôme.


L’efficacité propre au symbole

Si l’efficacité est par excellence le fait du sacrement* chrétien, on peut voir que tout symbole y tend. Car cette « ré-union », ce discernement des « correspondances » entre des réalités apparemment séparées, distinctes, ne saurait donc apparaître directement aux sens ou à l’intelligence. Le symbole ne se découvre que dans et par une action elle-même symbolique : au cours d’un rite religieux ou par la transposition en sons, en rythmes et en couleurs de l’expérience poétique proprement ineffable, d’où résulte le poème, la symphonie ou la fresque. La connaissance ne se fait que comme une prise de conscience réflexive de ce dont l’action symbolique a témoigné. C. Lévi-Strauss a montré, sur un cas de chamanisme, qu’en jouant de cet engrenage de l’incantation poétique (ou rituelle), un mythe pur peut avoir un effet bénéfique sur un processus physiologique comme l’accouchement. Bien plus, la science actuelle des réflexes semble établir qu’il « existe une étroite concomitance entre les gestes du corps, les centres nerveux et les représentations symboliques », si bien que Gilbert Durand a centré son analyse des « Structures anthropologiques de l’imaginaire » sur ce symbolisme en acte qu’il appelle « trajet anthropologique », c’est-à-dire « l’incessant échange qui existe au niveau de l’imaginaire entre les pulsions subjectives et assimilatrices et les intimations objectives du milieu cosmique et social ».


Le symbolisme facteur d’unité

C’est paradoxal, puisque, contrairement au signe purement conventionnel ou au signal purement pratique, dont le sens est bien déterminé, le symbole inclut souvent plusieurs sens : on le dit ambivalent, mais il serait en réalité plurivalent. Pourtant, on remarque de plus en plus la cohérence et l’universalité des systèmes symboliques. Surtout rappelons-nous qu’avant de donner une connaissance précise le symbole est plus fondamentalement action, et action unifiante.

Par le rite, il devient possible de prier corps et âme réunis. Bien plus, par ce qu’il a d’extérieur et de sensible, le symbole est moyen essentiel de communication entre les hommes, que cette communion résulte du symbolisme liturgique ou du symbolisme artistique (au concert, au théâtre, etc.). Or, en tout cela, l’homme découvre sa résonance avec le cosmos entier, et donc l’harmonie qui règne dans l’accord musical entre les diverses « partitions » (le microcosme et le macrocosme), suivant l’incessant « échange » dont parlait plus haut G. Durand, échange qui serait le mystère fondamental du christianisme même, s’il est vrai que l’incarnation du Fils de Dieu établit un symbolisme total (Magnum sacramentum — Admirabile commercium) entre Dieu même et l’homme, primitivement créé « à son image et ressemblance » (Genèse, i, 26). Ainsi le symbole reçoit-il son ultime accomplissement. Car « un symbole révèle toujours, quel qu’en soit le contexte, l’unité fondamentale de plusieurs zones du réel. [...] À la limite, un objet qui devient un symbole tend à coïncider avec le Tout. [...] Mais cette « unification » n’équivaut pas à une confusion ; le symbolisme permet le passage, la circulation d’un niveau à l’autre, en intégrant tous ces niveaux, mais sans les fusionner » (Traité d’histoire des religions).

Sans doute, depuis Descartes au moins et le triomphe des « idées-claires », l’Occident a vu s’atrophier le sens des symboles : de théologiques, ils sont devenus moralisateurs, puis sociologiques, si même ils ne se sont pas perdus ou n’ont pas été déviés en des symbolisme » névrotiques.

C. J.-N.

➙ Mystère / Mythe et mythologie / Psychanalyse / Roman (art) / Sacrement / Symbolisme.