Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Swift (Jonathan) (suite)

Swift dit et redit sans cesse, et sans équivoque, sa haine de l’Homme. Trop peut-être pour que de cet excès même ne naisse quelque doute et qu’on ne nuance cette haine, se souvenant qu’il écrit à Pope en 1725 : « Je hais et je déteste cet animal nommé Homme, bien que j’aime de tout cœur Jean, Pierre, Thomas et autres. » La vision extrême des Yahoos sonne sans doute comme un avertissement. Non comme une fin. Elle ne peut faire oublier le personnage principal du roman, l’individu Lemuel Gulliver, débrouillard, plein de bon sens, fondamentalement droit et bon, sain jusqu’à la moelle, d’une curiosité universelle, pratique, mais ouvert à tout et ne dédaignant aucune leçon. Comme son héros, Swift s’insurge contre « [...] un monde de difformités et de maladies du corps et de l’esprit toutes engendrées par l’orgueil [...] ». Mais ne pourrait-on pas admettre que tout ce pessimisme et cette misanthropie ne reflètent finalement qu’un amour trop lucide de l’humanité et un espoir toujours renouvelé que celle-ci s’amende ?

D. S.-F.

 J. M. Murry, Jonathan Swift, a Critical Biography (Londres, 1954 ; nouv. éd., New York, 1967). / I. Ehrenpreis, Swift, the Man, his Works and the Age (Cambridge, Mass., 1962-1967 ; 2 vol.). / P. Frederix, Swift, le véritable Gulliver (Hachette, 1964). / E. Tuveson (sous la dir. de), Swift, a Collection of Critical Essays (Englewood Cliffs, N. J., 1964). / B. Vickers (sous la dir. de), The World of J. Swift. Essays for the Tercentenary (Oxford, 1968). / D. Donoghue, Jonathan Swift, a Critical Introduction (Londres, 1969). / W. A. Speck, Swift (Londres, 1969). / J. R. Clark, Form and Frenzy in Swift’s « Tale of a Tub » (Londres, 1970).

Dates et œuvres principales

1667

Naît à Dublin (30 nov.).

1682

Entre au Trinity College aux frais de son oncle.

1686

Reçu bachelier.

1689

La révolution le fait se réfugier chez sa mère, en Angleterre ; devient secrétaire de sir William Temple à Moor Park, près de Farnham ; y rencontre Stella (Esther Johnson).

1692

Ode to the Athenian Society.

1695

Ordonné prêtre à Kilroot, près de Belfast.

1696

Retour à Moor Park ; s’intéresse à la politique.

1698

Accompagne sir William Temple à Londres.

1699

Mort de Temple ; secrétaire de lord Berkeley en Irlande.

1700

Chanoine de Saint-Patrick à Dublin.

1701

Docteur en théologie ; A Discourse on the Contests and Dissensions between the Nobles and Commons in Athens and Rome...

1702

En relation avec les whigs.

1704

A Tale of a Tub (écrit entre 1696 et 1699) ; The Battle of the Books (écrit vers 1697-98) ; The Mechanical Operation of the Spirit.

1707

Mission politique à Londres ; fait la connaissance de Vanessa (Esther Vanhomrigh).

1708

The Predictions for the Year 1708... by Isaac Bickerstaff, Esq. ; An Argument against abolishing Christianity in England ; The Sentiments of a Church of England Man...

1709

A Project for the Advancement of Religion... ; Hints towards an Essay on Conversation (publié en 1763).

1710

Revient à Londres en mission politique ; rédacteur (jusqu’en décembre 1711) à l’Examiner, hebdomadaire tory ; A Méditation on a Broomstick ; premières lettres du Journal to Stella (poursuivi jusqu’en 1713 et publié en 1784).

1711

The Conduct of the Allies.

1712

A Proposal for Correcting, improving and ascertaining the English Tongue.

1713

Doyen de Saint-Patrick ; fonde le Scriblerus Club avec John Arbuthnot, Thomas Parnell, John Gay et Alexander Pope.

1714

Retour en Irlande ; The Public Spirit of the Whigs.

1722

Affaire Wood.

1723

Mort de Vanessa.

1724

The Drapier’s Letters.

1726

Entrevues avec Walpole (Londres) ; Travels into Several Remote Nations of the World by Lemuel Gulliver, first a Surgeon, and then a Captain of Several Ships ; Cadenus and Vanessa (écrit en 1712).

1728

Mort de Stella ; A Short View of the State of Ireland (premier des vingt-trois tracts irlandais).

1729

A Modest Proposal...

1737

Gravement malade, commence à perdre la raison.

1738

Complete Collection of Genteel and Ingenious Conversation (commencé vers 1731).

1742

Déclaré officiellement incapable ; apathie.

1745

Mort à Dublin. Directions to Servants.

1758

The History of the Four Last Years of the Queen.

1765

Thoughts on Religion.

Swinburne (Algernon Charles)

Poète et critique anglais (Londres 1837 - id. 1909).


Il vient d’une famille aristocratique, pieuse, classique. À treize ans, il écrit The Unhappy Revenge, une tragédie puisée aux sombres sources du théâtre élisabéthain et jacobéen. Pour des raisons obscures, il quitte Eton en 1857. À Oxford, il ne reste que trois ans. Noté esprit dangereux, il préfère partir de sa propre initiative (1860). Déjà se forme son image de marque : républicain, athée, nihiliste, tenant de l’« art pour l’art ». Si l’on y ajoute une vie dissolue, voici, après Byron, un poète bien propre à défrayer la chronique, à incarner le personnage de l’antéchrist aux yeux des bien-pensants victoriens.

Sa poésie, en effet, ne rappelle en rien l’art rassurant d’un Tennyson. Enfant spirituel de Shelley et de celui sur qui il donne une critique importante, William Blake (1868), comme eux, Swinburne se place d’emblée dans le camp de la liberté. Dès 1857, il fréquente les préraphaélites D. G. Rossetti, W. Morris et E. Burne-Jones. D’ailleurs, Robert Williams Buchanan (1841-1901), lançant contre ceux-ci dans la Contemporary Review son célèbre « The Fleshly School of Poetry » (1871), s’attirera de lui ce très beau morceau de polémique littéraire, Under the Microscope (1872). Swinburne admire des révolutionnaires — G. Mazzini et W. S. Landor — T. Gautier, Baudelaire — à qui il rend l’hommage élégiaque d’un de ses plus beaux poèmes, « Ave Atque Vale » (1867) dans Poems and Ballads, second séries (1878) — et le marquis de Sade.

Deux courants se partagent donc son œuvre poétique : un courant politique, vers lequel l’entraîne l’exemple de son idole, Victor Hugo (Study of Victor Hugo, 1886), et, d’abord, le courant esthétique, qui lui vaut les attaques de ce qu’il appelle, dans Notes on Poems and Reviews (1866) « ce phénix certifié, la “vertu” des journalistes professionnels ». Swinburne dit : « L’art pour l’art d’abord et tout le reste viendra ensuite » (William Blake). Pour lui — et si l’on excepte « The Triumph of Time » (1862), rappelant ses amours, classiques et déçues, avec Jane Faulkner —, cela revêt cette espèce de narcissisme pervers si prisé par les « décadents » anglais. « Thalassius » (1880) chante certes Beauté, Amour. Mais empreints de masochisme et de sadisme, d’ambiguïté et de cruauté. En témoignent encore The Queen Mother, Rosamond (1860) et Chastelard (1865), qui forment une trilogie érudite avec Bothwell (1874) et Marie Stuart (1881). Également « A Ballad of Life », « A Ballad of Death », « Dolores », « Anactoria », quelques-unes des pièces de Poems and Ballads, qui fit scandale à sa parution en 1866. Il y plane cette philosophie sadienne d’un pessimisme cosmique, baignant déjà, mais d’une façon plus subtile, Atalanta in Calydon (1865) sur le modèle des tragédies grecques — comme Erectheus (1876), d’ailleurs bien accueilli par la critique.