Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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surréalisme (suite)

Après la guerre, le groupe surréaliste se reforme en France, complètement renouvelé, rajeuni. Breton en est toujours le centre référentiel. Le groupe se manifeste par des expositions à Paris (1947 et 1959), à Prague (1948), à New York (1960) ainsi que par des revues : Néon (1948-49), Médium (1952-1959), le Surréalisme même (1956-1959), Bief (1959-60), la Brèche (1961-1965), l’Archibras (1967-1969). S’il conserve son autonomie, il continue à intervenir, en son propre nom, dans les problèmes importants de l’heure (Hongrie, Viêt-nam, Algérie). André Breton meurt le 28 septembre 1966. Les surréalistes, par l’intermédiaire de l’Archibras, sous la direction de Jean Chuster, poursuivent une activité qui, privée de son animateur essentiel, finit par s’arrêter en tant que telle, mais l’« esprit » surréaliste, qui, durant cinquante années, avait animé l’avant-garde de l’activité artistique, était suffisamment diffusé pour n’avoir plus besoin d’un centre institué pour le maintenir.

Le surréalisme et le langage

L’art de vivre cultivé par les surréalistes n’a pas complètement supplanté l’art d’écrire, qui prend une tout autre signification. Il n’est point d’art poétique donné a priori, mais une réalité du langage à reconquérir en laissant les mots parler ce qu’ils disent, oubliant les surcharges apportées par les littératures antérieures. Il faut les laisser faire, les laisser agir, autonomes, leur laisser faire l’amour entre eux, pour reprendre une expression de Breton. D’eux mêmes, ils s’attirent ou se repoussent, composant des images, révélant une réalité qui n’est pas nécessairement dite : « Je m’étais mis à choyer immodérément les mots pour l’espace qu’ils admettent autour d’eux, pour leurs tangences avec d’autres mots innombrables que je ne prononçais pas. » L’image ainsi formée est, selon Pierre Reverdy, « une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte. » L’exemple le plus étonnant est donné par Lautréamont : « Beau comme [...] la rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection. » C’est ainsi qu’Aragon a pu dire : « Le vice appelé surréalisme est l’emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image. » L’image ainsi utilisée provoque l’étrange, le merveilleux, l’insolite, le stupéfiant (la Jolie Menuiserie du sommeil, Breton).


Ambiance ou doctrine ?

À ses débuts, le surréalisme fut une réunion d’hommes jeunes, en révolte contre la société et le monde établis, qui avaient un seul but : connaître le monde et le transformer. Petit à petit, sous la férule d’André Breton, un mouvement se forma, mais il se tint toujours à l’écart des systèmes (philosophiques), des écoles (littéraires). Si, de nos jours, il trouve une place dans les manuels à l’usage des écoles, il résiste encore à l’intégration qui transformerait ce « mouvement », cette « activité » en état. Plus qu’un art littéraire ou plastique ou cinématographique, le surréalisme fut un art de vivre dont la littérature, la peinture et le cinéma furent des moyens pour y parvenir.

Pratiquement, tous les esprits avancés de l’époque, les peintres comme les poètes, ont, de près ou de loin, été influencés par le surréalisme. Certains sympathisants du groupe, comme Jacques Rigaut, par exemple, n’ont même jamais rien créé. Mais ils ont mérité au plus haut point le titre de surréaliste par leur comportement exemplaire ; ce sont ceux-là que les surréalistes ont le plus chéris, ceux qui avaient décidé de faire de leur propre vie une œuvre d’art et qui poussèrent jusqu’au bout l’expérience de la vie, jusque dans la mort, refusant de la subir, la décidant point par point, étape par étape (Jacques Vaché, René Crevel, Arthur Cravan).

Pourtant, les surréalistes eurent une « doctrine », consignée dès 1924 dans le Manifeste du surréalisme, où Breton traça les grandes lignes d’un réseau alors à peine structuré et qui demeure encore valable.

En premier lieu, le surréalisme se porte contre la civilisation occidentale, qui a donné suffisamment de preuves de sa barbarie (la Première Guerre mondiale fut l’élément catalyseur) : civilisation fondée sur la violence, la domination de l’homme par l’homme. Pour les surréalistes, cette situation est non seulement le produit du monde capitaliste, mais celui d’un esprit qui, depuis Descartes, s’applique à ranger les objets dans des catégories, les plaçant par ordre de grandeur tout en leur attribuant une valeur morale parfaitement arbitraire. L’homme fait lui-même partie de ces objets classés. Il est manipulé par les autres, par les idéologies, contraint par les devoirs d’un soi-disant intérêt général. Il oublie de vivre ce qu’il est. L’improbable, l’impalpable, le rêve, le possible, qui échappent à ces classifications, sont réprimés : « Sous couvert de civilisation, sous prétexte de progrès, on est parvenu à bannir de l’esprit tout ce qui se peut taxer à tort ou à raison de superstition, de chimère ; à proscrire tout mode de recherche de la vérité qui n’est pas conforme à l’usage » (Breton). La logique est mise en cause : « Cette intraitable manie qui consiste à ramener l’inconnu au connu, au classable, berce les cerveaux. Le désir d’analyse l’emporte sur les sentiments. » Le « sentiment » ou, plutôt, la sensation, la réceptivité, la disponibilité sont valorisés. Breton déclare solennellement : « Je veux qu’on se taise quand on cesse de ressentir. » La folie de l’abstraction menace l’homme. Celui-ci est à « reconquérir » (René Char). La vérité, comme le dit Rimbaud, ne peut être possédée que « dans une âme et dans un corps » et non dans de savantes élucubrations arbitraires, coupées de tout lien avec le réel vécu. Tout comme Rimbaud, Breton voit le mal dans la morale chrétienne. « Rien ne me réconciliera avec la civilisation chrétienne. Du christianisme, je repousse toute la dogmatique masochiste appuyée sur l’idée délirante du « péché originel » non moins que la conception du salut dans un autre monde avec les calculs sordides qu’elle entraîne dans celui-ci. »