Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sumériens (suite)

À s’en tenir à cette notion géographique, le fait sumérien serait facile à cerner ; mais la réalité paraît plus complexe. Deux problèmes viennent se greffer sur cette définition. Un premier glissement s’est opéré lorsque l’on est passé de la notion géographique à celle de « civilisation sumérienne », car les fouilles ont montré que les manifestations majeures de celle-ci débordaient largement le cadre géographique ainsi défini, puisqu’on les retrouve en Mésopotamie dans la vallée de la Diyālā, sur le Tigre à Ninive* et à Assour, sur le moyen Euphrate à Mari* et même, quoique à un moindre degré, à tell Khuera, entre le Balīkh et le Khābūr. Ainsi, la notion de civilisation sumérienne en vient à rendre compte d’un moment très précis du développement de l’Orient, encore que l’accord ne se soit pas réalisé entre les divers spécialistes sur l’époque exacte de son apparition.

Le deuxième glissement s’est fait dans le sens d’une valeur ethnique, puisque l’habitude a été prise de parler de Sumériens pour désigner les habitants de Sumer au moment où fleurit cette civilisation, alors même que les indigènes ne se sont jamais désignés eux-mêmes à l’aide de ce vocable. Cette diversification de l’emploi du terme masque la difficulté que l’on éprouve à définir la composition ethnique de la partie méridionale du pays des Deux-Fleuves : s’il apparaît de plus en plus que des groupes sémitiques sont installés dans cette région sans doute bien avant le IIIe millénaire, rien ne permet, dans le matériel archéologique, de préciser le moment de l’arrivée des « Sumériens » et donc de définir en quoi ils se distinguent de leurs prédécesseurs ou des groupes avec lesquels ils cohabitent. Les divers indices sur lesquels les spécialistes ont cherché à s’appuyer sont assez peu probants, et l’on pourrait être tenté de refuser l’hypothèse d’une origine allogène, normalement admise, pour proposer au contraire celle d’un développement interne qui aurait conduit, vers la fin de l’époque d’Obeïd et, en tout cas, à l’époque d’Ourouk, à l’affirmation d’une originalité remarquable par rapport aux traits spécifiques des groupes sémitiques. La langue de ces populations, de type agglutinant, ne rend celles-ci comparables à aucun autre peuple connu de cet espace géographique ; constatation qui, à elle seule, ne permettrait pas de conclure à l’impossibilité d’un développement purement interne si certaines particularités de cette langue ne conduisaient les sumérologues à penser que les Sumériens sont venus d’ailleurs. Ce débat est de grande importance, autant pour l’archéologue que pour l’historien, car comment attribuer à chacune des communautés résidant en Sumer ce qui lui revient, comment définir si un site hors du pays proprement sumérien fait partie de la même civilisation si l’on n’est pas capable de préciser ce que recouvre le terme ? Peut-être alors, provisoirement, est-il plus sage de s’en tenir à une définition assez large, faisant appel à une étape du développement de la Mésopotamie et non à la spécificité d’une ethnie opposée au groupe sémitique.


L’exploration archéologique

Le monde sumérien a fait une entrée tardive dans la redécouverte des civilisations de la Mésopotamie antique, car la recherche s’était d’abord intéressée aux tells du pays assyrien, richement dotés de bas-reliefs. Il revint à Ernest de Sarzec (1832-1901), vice-consul de France à Bassora, de découvrir sur le site de Tello quelques formes majeures de cette civilisation, que d’autres avaient pressentie pour des raisons linguistiques, et d’en comprendre la signification ; il explora le site à partir de 1877, et les comptes rendus qu’il donna de ses trouvailles provoquèrent immédiatement l’intérêt des spécialistes. De grandes fouilles ont, depuis lors, illustré les phases importantes de l’histoire sumérienne. Pour l’époque archaïque (fin du IVe millénaire et début du IIIe), c’est le site d’Ourouk*, exploré depuis 1912 par l’école allemande, qui a fourni l’essentiel de la documentation, en permettant de saisir les premières étapes de Sumer. L’époque des premières dynasties est illustrée essentiellement par Tello, qui, après les travaux de Sarzec, a été fouillé jusqu’en 1933, par Our* la prestigieuse et Obeïd (H. R. Hall [1919] et Léonard Woolley [1922-1934]), par Éridou (fouilles anglaises et irakiennes épisodiques) et, depuis peu, par al-Hiba, qui se révèle comme un site faisant partie du domaine de Lagash ; hors du pays sumérien, on trouve Nippour, grand centre religieux fouillé par les Américains de 1889 à 1900 et après 1948, ainsi que les centres de la vallée de la Diyālā (tell Asmar, Khafadje, tell Agrab), étudiés par l’Institut oriental de Chicago de 1932 à 1938, et enfin Kish (Henri de Genouillac, 1912 ; E. Mackay, S. H. Langdon, C. Watelin, 1923-1933). L’époque de la Renaissance sumérienne (fin du IIIe millénaire) est illustrée principalement par Our et par Tello.


Aspects de l’art

La période sumérienne fait figure de moment privilégié dans l’ensemble de la production mésopotamienne. C’est elle qui, dans un premier temps, met en œuvre une architecture d’abord religieuse, puis civile, dont les racines plongent en plein Néolithique (temples d’Éridou de la phase d’Obeïd). Mais le fait nouveau et riche d’avenir est que les nouveaux bâtiments s’organisent maintenant dans un cadre urbain ; ce dernier est nettement visible à Ourouk, qui offre la meilleure, voire la seule image de ce moment privilégié (phases d’Ourouk V-IV-III) et marque la rupture définitive avec le Néolithique. Les temples d’alors, tout à fait nouveaux, s’organisent, semble-t-il, par paires et perpendiculairement l’un par rapport à l’autre dans l’ensemble d’un quartier religieux qui frappe par l’ampleur de ses dimensions (à lui seul, le temple Calcaire, appelé ainsi en raison du matériau utilisé dans son soubassement, qui, dans ce pays de limon, avait été nécessairement importé, mesurait environ 30 m sur 80 m), mais aussi par l’emploi d’épaisses colonnes de terre revêtues de mosaïques polychromes réalisées à l’aide de cônes de terre cuite ou de pierre.