Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Sumériens (suite)

Mais, en général, l’ambition du chef de la cité-État est plus mesquine. Avec son infanterie lourde de piquiers et ses chars (tirés par des onagres ou des ânes), celui-ci mène des campagnes dévastatrices (encore qu’elles n’entravent pas l’essor économique du Bas Pays) dans le dessein d’imposer sa souveraineté aux chefs des villes voisines ; souveraineté essentiellement honorifique, que le vainqueur va faire consacrer par le dieu Enlil à Nippour, cité sainte qui n’a pas de dynastie locale. Ces guerres concernent essentiellement le Pays (basse Mésopotamie), mais, à l’occasion, elles s’étendent aux pays voisins, à travers lesquels passe le commerce des cités du Bas Pays : la vallée moyenne de l’Euphrate, dominée par la ville de Mari ; la vallée de la Diyālā ; la Susiane et l’Élam* montagneux, domaines des belliqueux Élamites. Il n’en résulte que des dominations géographiquement limitées et instables, qui nous sont connues par deux types de sources, malheureusement contradictoires. D’une part, les inscriptions royales, dues au hasard des fouilles, révèlent les noms de rois victorieux et plus particulièrement, grâce aux trouvailles de Tello, l’histoire de la puissante dynastie de Lagash (v. 2525-2375). D’autre part, la « liste royale », élaborée entre le xxie et le xviiie s., énumère avant le Déluge (mais sans doute s’agit-il de littérature mythique) des rois ayant régné chacun des dizaines de milliers d’années et après le Déluge, jusqu’à l’empire d’Akkad, quatorze dynasties de souverains ayant exercé la « royauté » sur l’ensemble du pays : on y trouve, à côté de personnages proprement historiques portant des noms sumériens ou sémitiques, des dieux et des héros ayant régné chacun des centaines ou des milliers d’années. Mais bon nombre de rois victorieux attestés par les inscriptions contemporaines, et en particulier ceux de Lagash, ne figurent pas dans la « liste royale », et l’archéologie interdit de placer aucun des souverains historiques de la « liste » au-delà du xxviiie s.

Pour résoudre ces difficultés, on suppose que les auteurs de ce document ont présenté comme successives des dynasties qui devaient être contemporaines et ont choisi de façon partiale les lignées et les villes qu’ils entendaient ainsi honorer. En combinant les deux types de sources et les renseignements fournis par l’archéologie sur l’importance et l’activité des sites, on remarque la prédominance d’un très petit nombre de villes pour la période des luttes historiques entre cités : Lagash, dont les fouilles de Tello ont fourni tant de vestiges au Louvre ; Kish, à qui la « liste » attribue quatre dynasties de « royauté », dont les souverains sont souvent dotés de noms sémitiques ; Ourouk, avec trois dynasties, dont la première comporte le fameux Gilgamesh ; Our, créditée de deux dynasties, qui ont toutes chances de se situer dans l’histoire, puisque l’on a retrouvé à Obeïd le temple du deuxième souverain de la première (xxve s.).

On peut apprécier de façon très diverse cet apogée de culture sumérienne. L’art de l’époque en montre bien les aspects contrastés : l’habileté technique et le sens esthétique délicat des artistes qui ont orné de gracieuses figures animales les pièces d’orfèvrerie et les meubles des tombes royales d’Our, en même temps la lourdeur et même la grossièreté de la représentation humaine dans le même ensemble artistique. À bien des égards inférieure à la civilisation contemporaine de l’ancien Empire égyptien, celle de Sumer connaît, du fait de sa position centrale, une diffusion bien plus étendue, qui est particulièrement sensible en haute Mésopotamie. Si Mari est la seule à emprunter l’écriture cunéiforme, les techniques et les conventions artistiques de Sumer sont adoptées avec plus ou moins de fidélité à l’égard du modèle par bien d’autres cités, sur la basse Diyālā, dans les bassins du Khābūr (tell Brak, Chagar Bazar) et du Balīkh (tell Khuera), et surtout à Assour, sur le Tigre moyen. Mais l’avance prise par le Bas Pays va aussi y attirer les populations moins évoluées.


Les empires mésopotamiens et le recul du sumérien (xxive-xxie s.)

Jusque-là, le mélange Sémites-Sumériens, où la proportion des premiers devait croître sans cesse avec l’arrivée de nouveaux groupes provenant du désert syro-arabe ou de la haute Mésopotamie, restait dominé, dans le cadre de la cité-État de basse Mésopotamie, par les éléments des deux ethnies qui avaient accédé depuis très longtemps à la civilisation urbaine et à la totalité de la culture sumérienne. Mais tout change avec la construction d’un empire mésopotamien. Cette formule politique apparaît au xxive s. Elle aurait été inaugurée par un vicaire d’Oumma, puis d’Ourouk, qui porte un nom sumérien, Lougal-zaggesi (v. 2375-2350), mais nous ne savons rien sur les méthodes qui lui auraient permis de dominer du golfe persique à la Méditerranée. Cet empire éphémère cède la place à celui de la dynastie sémitique de la ville d’Akkad (v. 2350-2225), fondée par le roi Sargon (un nom de règne sémitique : « Roi légitime »), qui s’appuie sur les populations du nord de la basse Mésopotamie, que l’on appelle désormais le pays d’Akkad.

Les Akkadiens, des Sémites entrés au pays des Deux Fleuves moins anciennement que ceux du sud de la basse Mésopotamie, accèdent maintenant à la culture par une voie nouvelle, l’akkadien, qui devient langue officielle et va s’écrire au moyen du système cunéiforme avec des idéogrammes (que l’on lira dans la langue sémitique) et les compléments phonétiques correspondant à ce dialecte ; le pays d’Akkad adopte l’essentiel du rituel traditionnel de la basse Mésopotamie dans la langue de Sumer, mais se donne un panthéon nouveau, qui juxtapose ou fusionne les divinités sémitiques et sumériennes. La culture mésopotamienne de langue akkadienne est appelée à son tour à une vaste diffusion, et son adoption explique que la langue sumérienne disparaisse rapidement des villes du nord du Bas Pays.