Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sumériens (suite)

Écriture n’est peut-être pas le mot exact pour ces comptes, qui comprennent seulement des chiffres et des pictogrammes (dessins figurant un objet ou un être et dont certains ont également des valeurs symboliques : le dessin de la montagne peut signifier, par association d’idées, étranger, ennemi, esclave). Il s’agit vraiment d’écriture lorsqu’un peu avant 3000 on essaie d’écrire en sumérien des noms propres, des termes abstraits et des phrases, où les substantifs ont une forme grammaticale avec préfixe et suffixe. Pour cela, on a l’idée d’utiliser des pictogrammes avec leur valeur phonétique, suivant le principe du rébus. On a dès lors une écriture composée d’idéogrammes (pictogrammes avec leurs sens visibles ou suggérés), de phonogrammes (pictogrammes dont on lit le nom pour n’en retenir que le son ; ainsi, pour écrire la vieti en sumérien —, on dessine la flèche, qui se dit également ti dans cette langue) et de déterminatifs (pictogrammes indiquant une catégorie d’êtres ou d’objets, que l’on place devant les substantifs ; ainsi de l’étoile devant les noms de dieux). Dans ces conditions, les signes, pourtant très nombreux, ont chacun, plusieurs valeurs. De plus, le dessin originel du pictogramme cesse vite d’être bien reconnaissable : sous l’influence du matériel utilisé (le roseau taillé en biseau pour tracer des signes sur l’argile fraîche de la tablette), il se schématise et se déforme pour donner, au cours du IIIe millénaire, le signe cunéiforme (« en forme de coin »). On comprend que, dès avant 3000, le scribe se constitue des listes de mots, qui deviennent, à l’époque suivante, de véritables lexiques.

L’enrichissement de la communauté se traduit par la construction d’une agglomération urbaine autour du temple, qui loge maintenant, outre la divinité et les prêtres, l’administration des biens du dieu. Dans ces conditions nouvelles, l’édifice sacré prend de vastes proportions et reçoit une décoration soignée. Les fidèles y placent des ex-voto et des orants, reliefs et statues d’un art généralement médiocre (la Dame d’Ourouk est une exception), qui se caractérise par une curieuse sorte de représentation humaine, avec une tête ronde, un nez puissant et aquilin, une nuque peu marquée. Dans cette figure qui se maintient inchangée jusqu’à la fin du IIIe millénaire, on a vu longtemps le type racial des Sumériens (si tant est qu’il se soit conservé au contact des autres populations de la basse Mésopotamie), mais on pense maintenant qu’il s’agit d’une représentation conventionnelle qui exclut toute idée de ressemblance précise, individuelle ou collective. Dans ces images de personnages importants, on a beaucoup de mal à distinguer le chef de la cité, que les spécialistes croient voir dans le terme de EN, Seigneur, qui apparaît dans les textes de la fin du IVe millénaire et qui sera employé plus tard pour les dieux aussi bien que pour les souverains temporels. Aucun palais n’a été retrouvé, aucun texte ne célèbre les exploits guerriers ou les constructions du Seigneur de la ville, et l’on suppose que celui-ci loge dans le temple, que son prestige est limité par la prééminence du dieu et que son pouvoir, à la fois religieux et militaire, est contrôlé par les Anciens dont parlent les textes.


Les cités rivales (xxviie-xxive s.)

Au début du IIIe millénaire, en basse Mésopotamie, le nombre des habitats diminue et la population se concentre encore davantage dans les villes. Par les fouilles, qui sont loin d’avoir épuisé le terrain, nous en connaissons déjà une douzaine de première importance : au nord, Kish (à l’est de Babylone) ; au centre, Nippour, la ville sainte d’Enlil, qui fut un temps le Seigneur des dieux, Adab (ou Arab), Oumma, Shourouppak (act. Fara), patrie du Noé mésopotamien ; tout à fait au sud, Ourouk*, la cité du héros Gilgamesh et des grands temples du IVe millénaire, Our*, Éridou, Girsou (act. Tello) et Ouroukouga (act. tell al-Hiba), forment la cité-État de Lagash.

Cet entassement des villes sur une partie seulement de la basse Mésopotamie réduit chacune d’elles à un petit territoire (de 1 000 à 3 000 km2). Mais les progrès de l’irrigation font vivre une population toujours plus abondante et soutiennent l’expansion de l’économie, dont témoignent l’invention du bronze et le haut niveau de la production artistique révélé par les trésors des tombes royales d’Our (xxvie s.).

Le dynamisme qui se manifeste dans l’économie et l’art de Sumer à partir du xxviie s. apparaît également dans l’expression écrite. L’écriture est maintenant connue dans toutes les villes du Bas Pays, et ses emplois s’étendent. La technique de la comptabilité progresse, attestant l’existence de ce que l’on a pu nommer une bureaucratie. Et surtout on trouve les premières inscriptions royales, très courtes, mentionnant les travaux effectués pour les dieux, les offrandes placées dans les temples et les victoires sur les rois des autres cités.

La comptabilité des biens royaux, maintenant très importants, les textes émanant des souverains et les œuvres d’art les représentant nous révèlent une véritable mutation de la royauté par rapport aux institutions du IVe millénaire. Le chef de la cité-État, que l’on appelle maintenant, suivant les villes, En (Seigneur), ENSI (Vicaire du dieu), LUGAL (Homme grand — que l’on traduit par roi), tend à abandonner le temple pour un bâtiment nouveau, le palais, où il installe les scribes qui gèrent ses possessions. Il se consacre avant tout à sa fonction militaire et se heurte parfois aux chefs du clergé, qui ont pris une certaine indépendance. Mais, dans la mesure où il administre à son profit les terres des temples et où la guerre devient chronique, le souverain temporel, chef de l’armée de la cité-État, jouit d’un prestige plus marqué qu’à l’époque précédente. Dans des cas exceptionnels, il obtient des honneurs funéraires, qui ne se rencontrent en Mésopotamie qu’à cette période : à Mari*, à Kish et surtout à Our (xxvie s.), des rois sont enterrés dans des caveaux maçonnés, avec des trésors extraordinaires, et des serviteurs doivent les accompagner dans la mort par dizaines.