Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sumatra (suite)

Aux xiiie et xive s., les conditions changent sensiblement avec, d’une part, l’essor de Java* (« empire » concurrent de Majapahit, dont le centre est au Java oriental), et avec, d’autre part, l’apparition de l’islām, qui, dès la fin du xiiie s. (Marco Polo* en est témoin), s’installe dans les petits comptoirs marchands du nord de l’île : Perlak, Pasai et Samudra, dont l’essor sera tel qu’il donnera son nom à l’île entière. Avant de disparaître peu à peu devant l’islām, la culture indianisée s’épanouit une dernière fois à l’intérieur de l’île, en pays minangkabau (actuelle province de Sumatra-Ouest), où le roi Ādityavarman introduit au xive s. certaines conceptions religieuses (bouddhisme tantrique) qu’il a probablement ramenées d’un séjour à Java. De nouveaux venus interviennent encore : les Chinois, qui émigrent de plus en plus, constituent à Palembang une petite communauté assez forte pour prendre le pouvoir au début du xve s.

Le xve s. voit le triomphe de l’islām en péninsule malaise (v. Malaysia) avec la formation du grand emporium de Malacca (Malaka) ; de nombreux Sumatranais passent alors le détroit, et c’est une même culture qui s’établit de part et d’autre, avec la même langue, le malais ; la même religion, l’islām, et la même littérature, notée en caractères arabes. Lorsque Malacca tombe aux mains des Portugais (1511), le commerce des marchands musulmans change de rive, et beaucoup d’entre eux préfèrent, désormais, se retrouver à Aceh, à la pointe la plus septentrionale de l’île, dans un port favorable qui devient bientôt le centre d’un très puissant sultanat.

Héritier des anciens comptoirs de Pasai et de Samudra, proche des États musulmans de l’Inde, Aceh est plus qu’un carrefour maritime ; c’est aussi le centre d’une autorité politique puissante, qui s’étend sur la côte occidentale de Sumatra jusqu’à Tiku, Pasaman et Padang, d’où proviennent le poivre et l’or, et qui parvient à réduire en vassalité plusieurs des États musulmans de la péninsule (Johore [Johor], Pahang, Kedah). Le xviie s. est sans conteste l’un des plus grands qu’ait connus Sumatra. Sous le règne du grand sultan Iskandar Muda (le « nouvel Alexandre ») [1607-1636], Aceh est le centre d’une intense réflexion philosophique, d’une grande production littéraire et d’une culture de cour raffinée.

Au cours de la seconde moitié du xviie s., le déclin commence. De nouveaux acteurs sont entrés en scène : les Hollandais. Les premiers d’entre eux (les frères Cornelis et Frederik Van Houtman) ont fait escale à Aceh dès 1599, mais ils ont situé leur centre d’action à Java (fondation, en 1619, de Batavia [auj. Jakarta]), et ce n’est qu’après 1650 qu’ils commencent à s’intéresser à Sumatra, notamment à la côte du pays minangkabau, d’où ils espèrent tirer de l’or (1663, traité de Painan, qui leur donne la disposition de la mine de Salida). Au xviiie s., la Compagnie hollandaise des Indes orientales se contente encore d’entretenir quelques factoreries, mais, à partir du xixe s., le gouvernement de Batavia entreprend une réelle politique de colonisation.

Profitant de querelles intestines (guerre dite « des Padri », 1822-1837), les Hollandais s’installent en pays minangkabau (1825) et, parallèlement, à Palembang et à Jambi. La résistance d’Aceh est beaucoup plus vive, et la meurtrière « guerre d’Aceh » durera trente-cinq ans (1873-1908). Avec la découverte du pétrole (1886) et la mise en valeur de la région de Medan (nombreuses plantations de tabac, d’hévéas et de palmiers à huile), Sumatra prend une valeur économique de tout premier plan.

Ce rôle majeur n’a fait que se confirmer depuis l’indépendance. Une grande partie des Indonésiens les plus éminents sont originaires de Sumatra (notamment du pays minangkabau), et le pétrole sumatranais constituait en 1970 près de la moitié des exportations du pays.

D. L.


La population

Sumatra est encore peu peuplée, en dépit de progrès démographiques récents considérables. Elle n’avait que 8 millions d’habitants (18 hab. au km2) en 1930 et 15 millions en 1961. Ce faible peuplement, plus marqué encore au début de ce siècle quand s’achève la conquête hollandaise, est difficilement explicable, car Sumatra avait été atteinte très tôt par la grande civilisation indienne (dès le viie s. dans la région de Jambi), qui avait provoqué la naissance et le rayonnement pendant près de six siècles de la thalassocratie de Śrīvijaya (Palembang). Ce faible peuplement est, par ailleurs, inégal : Sumatra-Nord (Sumatera Utara) a 94 habitants au kilomètre carré, Sumatra-Ouest (Sumatera Barat) 42, cependant que la province de Jambi n’en a que 16 et la province de Riau 13. Or, les parties peuplées sont, pour une part, des régions montagneuses, ce qui est tout à fait exceptionnel en Asie du Sud-Est et reste inexpliqué. Par contre, la grande plaine orientale est misérablement peuplée et l’était plus encore au début de ce siècle (4 hab. au km2 en 1930), alors qu’elle avait été la première touchée par la civilisation indienne : il y a là une énigme.

Les populations de Sumatra sont variées. On ne compte pas moins de quinze langues différentes. Cette variété ethno-linguistique se reflète dans les divisions administratives, qui peuvent servir de base à une étude régionale.


Les régions

À l’extrême nord, l’Aceh a 2 millions d’habitants, soit 34 au kilomètre carré. La population dominante est le groupe atjeh (ou atjihais). Ces Deutéro-Malais n’ont pas d’unité ethnique ; ils sont divisés en nombreuses tribus, mais parlent une même langue, qui s’écrit avec un alphabet arabe. Les Atjehs sont musulmans. Leur pays est presque entièrement montagneux ; il est également massif ; le Médian Graben, à peine esquissé, est d’ailleurs négligé par les voies de communication (qui empruntent la plaine orientale), et le soubassement de terrains non volcaniques est ici particulièrement élevé (3 381 m au mont Leuser). Le volcanisme récent est discret. Le climat est le plus sec de Sumatra, au moins en plaine (1 500 mm à Banda Aceh [anc. Kutaraja], la capitale). Les Atjehs sont un peuple de plaine, associant au riz quelques cultures commerciales (cocotier, poivrier, giroflier, muscade). Cependant, les montagnes sont couvertes de savanes. Plus au sud, les Gayos, Proto-Malais plus ou moins islamisés, pratiquent des cultures sur brûlis (ladang). Des populations plus primitives encore vivent de chasse et de cueillette dans l’Aceh central.