Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sulla ou Sylla (Lucius Cornelius)

Général et homme politique romain (138 - Cumes 78 av. J.-C.).


Il est issu d’une branche obscure de la gens Cornelia. Amateur de littérature, il s’engage tardivement dans la politique, à la faveur des ressources d’un héritage. Son absence de scrupule et de moralité aussi bien que les qualités dont il fera preuve dans ses fonctions militaires marqueront l’ensemble de son originale carrière.


La conquête du pouvoir

Questeur en 106, Sulla participe, sous le commandement de Marius*, à la guerre contre Jugurtha. Il sait, en diplomate, persuader Bocchus, roi de Mauritanie, de livrer Jugurtha. En outre, Bocchus lui accorde son appui financier. Sulla accompagne ensuite Marius dans ses opérations contre les Cimbres et les Teutons : en qualité de légat, il bat plusieurs chefs barbares. Mais la jalousie réciproque entre lui et Marius s’aggrave rapidement. De retour à Rome, Sulla brigue en vain la préture ; il ne l’obtiendra, à force d’argent, qu’en 97. Propréteur ensuite en Cilicie, il fait énergiquement la chasse aux pirates et obtient sans trop de difficulté de Mithridate VI* Eupator, roi du Pont, la restitution de la Cappadoce à Ariobarzane Ier, roi protégé par Rome. Il reçoit une ambassade des Parthes et signe le premier accord avec eux.

À son retour à Rome, où sa renommée s’est accrue, il est accueilli comme l’un des chefs possibles de la faction aristocratique. La Guerre sociale (91-88), contre les peuples révoltés d’Italie, lui donne une nouvelle occasion de se distinguer. Légat en 89, Sulla remporte plusieurs victoires sur les Samnites. Consul en 88, il enlève les principales places occupées par les révoltés et met ainsi fin à la guerre.

Sa rivalité avec Marius atteint alors le sommet : l’un et l’autre ambitionnent d’être chargés de la guerre contre Mithridate, dont les empiétements en Asie requièrent une énergique réplique. Le sénat désigne Sulla. Marius obtient à son tour le commandement, à la faveur d’une émeute provoquée par un tribun de la plèbe. Il semble que Sulla ait abandonné Rome à Marius, à condition de disposer lui-même des troupes. Marius avait profité de la situation. Mais, contrairement à ses prévisions, Sulla réussit à persuader ses soldats de marcher contre Rome (les officiers supérieurs, eux, ont préféré prendre le large) et pénètre dans la ville en dépit de la résistance de la plèbe. Maître de la situation, il n’a plus qu’à dicter ses volontés au sénat : il se fait attribuer la direction de la guerre, et Marius est déclaré ennemi public. En 87, Sulla part, laissant Rome aux mains de gens qui lui semblent dévoués. Et quand bien même ses ennemis reprendraient le dessus à Rome, ce ne pourrait être qu’à titre provisoire, car il a déjà en main la recette de la dictature militaire.

En Orient, Sulla trouve une situation désastreuse : Mithridate a massacré les Romains, ruiné leur commerce, séduit leurs alliés. La Grèce s’est retournée vers lui. C’est tout l’ensemble des pays gréco-asiatiques qui est à reconquérir. Sulla s’avance à travers la Grèce en réquisitionnant et en rançonnant, et assiège ses adversaires dans Athènes, qui est bientôt affamée : on mange le cuir des outres et les orties de l’Acropole. S’emparant d’Athènes, puis du Pirée (86), Sulla fait un véritable carnage et se venge des moqueries des Athéniens, qui l’ont traité de « mûre saupoudrée de farine », allusion à sa face blafarde et boutonneuse. À Chéronée et à Orchomène, il bat peu après les armées envoyées par Mithridate au secours d’Athènes. La Grèce d’Europe est de nouveau soumise. Quant à l’Asie, elle se lasse rapidement du despotisme de Mithridate, et les partisans de l’alliance romaine reprennent le dessus. Mithridate essaie de tergiverser, puis apporte sa soumission à l’entrevue de Dardanos (85). Sulla reconstitue la province d’Asie, fait une utile réforme fiscale et remplit ses coffres en réclamant les arriérés d’impôt. Il s’attarde en Grèce, où il veille à l’embarquement de son butin. Le butin, les soldats comblés : il ne faut pas autre chose pour consolider sa position à Rome.

Pendant ses quatre ans d’absence, Marius et ses partisans ont été les maîtres à Rome et y ont régné en tyrans : la maison de Sulla a été rasée, et ses partisans ont été massacrés. Sulla adresse au sénat une lettre vengeresse qui fait trembler les pères et les incite à préparer une réconciliation. Puis, sans se presser, il débarque en 83 à Brindes avec son armée et son immense flotte. Beaucoup passent aussitôt dans son camp. Beaucoup, mais pas tous : il faudra un an à Sulla pour s’ouvrir le chemin de Rome (victoire du défilé de Sacriport, près de Préneste, en 82), où il entrera après un ultime combat à la porte Colline. Il a, en même temps que pénétré dans la ville, anéanti les dernières troupes des marianistes et mis fin à la guerre civile, non sans beaucoup devoir à ses amis (ou complices du moment) Metellus et Pompée*.


La dictature

Sulla a été l’un des initiateurs de la période de désordre qui a fait passer Rome de la République à l’Empire. L’historien Appien observait déjà que le coup de Sulla, en 88, marquait une coupure dans l’histoire romaine, à partir de laquelle les généraux victorieux se conduisaient en despotes. Il avançait que Sulla aurait pu fonder une monarchie. La question a été reconsidérée par les historiens modernes : si Jérôme Carcopino fait de l’entreprise de Sulla une tentative de monarchie, H. H. Scullard pense, au contraire, que le dictateur a voulu restaurer l’autorité sénatoriale, aux dépens des autres institutions. Pour C. Nicolet, Sulla représente le succès d’une faction du sénat, celle des aristocrates. Comme on le voit, il y a place aujourd’hui pour une certaine diversité d’hypothèses. Il est certain que Sulla a pratiqué une politique réformiste cohérente, résultant d’une intention précise. À l’examen de ces réformes, l’intention profonde demeure cependant plus ou moins énigmatique.

Sulla a commencé par se faire nommer dictateur à vie par la lex Valeria (82), qui lui donne tous les pouvoirs, et par faire disparaître non seulement ses adversaires politiques, mais tous ceux dont il a à se venger. Tandis qu’il dicte ses volontés au sénat, on entend les hurlements de ceux qu’il fait massacrer dans le cirque voisin. Ceux qui ne sont pas tués sont proscrits. Longue est leur liste, et le proscrit n’a plus de biens ni de droit à la vie. N’importe qui peut l’abattre : occasion rêvée pour maints règlements de comptes, tant chez les nobles que dans une populace jalouse des riches. Après quoi, une loi « de majesté » voue au pire ceux qui lèveraient des troupes, fomenteraient des désordres ou simplement proféreraient des propos diffamatoires en public. Une certaine terreur ainsi institutionnalisée, Sulla en vient aux réformes, qui, rapidement exécutées, modifient nettement les conditions de fonctionnement de l’État.