Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

suite de danses (suite)

Au xvie s., les premiers recueils imprimés de danses instrumentales paraissent à Venise chez O. Petrucci (1507) et à Paris chez P. Attaingnant (1529-1533) ; ils contiennent des pièces pour le luth, le clavier ou des ensembles, qui se répartissent de plusieurs manières. Des danses sont disposées par couple. En Italie, on réunit passemezzo (danse lente marchée ou basse danse) et saltarello (danse haute, parce que sautée, et plus rapide). En France, selon un usage qui s’établira dans toute l’Europe, la pavane précède la gaillarde. Selon Thoinot Arbeau (Orchésographie, 1588), elle est une danse de parade, de rythme binaire, qui est jouée par les hautbois et les sacqueboutes, tandis que la gaillarde, à trois temps rapides, comprend cinq pas et un saut. Ces danses couplées, d’allure et de mouvements différents, ont toujours une parenté entre elles, au point d’être parfois bâties sur le même thème et de conserver intégralement la même mélodie et la même harmonie. D’autres danses ont plus de deux mouvements : basse danse, recoupe, tourdion. Les branles, dont Thoinot Arbeau fournit la théorie, peuvent s’enchaîner ainsi : branle double, branle simple, branle gay, branle de Bourgogne.

Après 1530, de nombreux compositeurs, luthistes, guitaristes ou clavecinistes, exploitent dans leurs tablatures les danses à la mode et celles qui le deviennent vers la fin du siècle, comme l’allemande (de mesure binaire), la courante (de mesure binaire ou ternaire), la volte (de mesure ternaire) et d’autres importées d’Espagne, telles la sarabande, la chaconne et la passacaille. Ils s’en emparent au fur et à mesure de leur apparition, comme d’une matière première qu’ils peuvent modeler à leur guise, dans le dessein instinctif de développer la technique instrumentale et de découvrir des moyens originaux d’expression. A. Casteliono (1536), Antonio Rota (1546), Melchiorre de Barberiis (1546, 1549), Domenico Bianchini (1554), Giacomo Gorzanis (1561), Vincenzo Galilei (1568), Giovanni Antonio Terzi (1593, 1599) et Simone Molinaro (1599) en Italie, Alonso Mudarra (1546) en Espagne, Hans Neusidler (1536) en Allemagne et Adrian Le Roy (1552-1554) en France s’inspirent de la danse. Attaingnant publie aussi à Paris des livres de Danseries à quatre parties (1545-1557), où les auteurs, Claude Gervaise et Étienne Du Tertre, rassemblent en plusieurs séries des branles, des pavanes et des gaillardes qui, en dépit de leur qualité, semblent plus propres à la danse qu’à être entendues comme des œuvres d’art. Il devient alors plus difficile de faire le départ de la « suite fonctionnelle » et de la « suite artistique », qui s’élabore. Le terme de suite apparaît d’ailleurs pour la première fois dans le septième livre de Danseries (1557). Il n’est pas près de se généraliser pour autant et ne deviendra commun à toute l’Europe qu’au xixe s., c’est-à-dire lorsqu’il ne répondra plus exactement à sa définition. Pour l’instant, la confusion persiste. En 1581, Fabrizio Caroso, dans Il Ballarino, désigne du nom de sonata une série de danses. Dans ses balletti, il cherche à diversifier les danses et juxtapose, comme plus tard dans la suite classique, des pièces indépendantes les unes des autres. En Angleterre, on appelle lesson la suite pour orgue ou clavecin, ce qui implique dans les traités ou les méthodes une intention pédagogique, mais sert aussi bien à qualifier la suite artistique (Thomas Morley, Consort Lessons pour six instruments, 1599). Au xviie s., la suite, bien qu’essentiellement mobile, désigne une série de danses stylisées, qui obéit à certaines règles. Tout d’abord, chaque morceau qui la compose doit avoir la forme-suite. Il se divise en deux parties : dans la première, le thème est exposé dans une tonalité majeure ou mineure et se développe en évoluant soit vers la dominante, soit vers le ton relatif majeur ; dans la seconde, il est d’abord repris dans le nouveau ton avant de revenir au premier. Chaque pièce doit avoir, de plus, la même tonalité. On attribue cette dernière particularité au luth, dont l’accord était difficile à modifier au cours d’une exécution.

La suite, qui avait connu au siècle précédent un grand développement à partir des rythmes des divertissements populaires et mondains, s’épanouit maintenant sous la forme d’une musique uniquement destinée aux instruments. Alors que Fabrizio Caroso et Cesare Negri s’inspirent encore des balletti, que Michael Praetorius, dans Terpsichore Musarum (1612), harmonise à cinq voix des danses et des airs de ballets de cour français, Giovanni Maria Trabaci (1603) publie des gaillardes et des courantes pour le clavier. G. Frescobaldi*, dans ses canzoni et ses balletti, préfigure la véritable suite. Dans l’Aguntia (1615), un balletto est suivi d’une courante, d’une passacaille et d’un second ballet avec sa courante. En Allemagne, Paul Peuerl publie en 1611 une partita pour instruments à cordes composée d’une paduana (pavane), d’une intrada, d’une däntz et d’une galliarda. En 1650, J. J. Froberger* écrit pour le clavecin une suite en si majeur, constituée par des pièces caractéristiques, qui figureront, en partie ou en totalité, dans les nombreuses suites du xviiie s. : allemande, courante, sarabande et gigue. Dans le manuscrit dit « de Cassel » (1650-1670), qui réunit vingt suites d’orchestre dont les auteurs sont pour la plupart parisiens, les trois premières danses voisinent le plus souvent. En France, des luthistes comme Denis Gaultier, les Du But, les Gallot, Charles Mouton héritent des traditions et multiplient les pièces de la suite en les faisant précéder d’un prélude libre. L’école des clavecinistes ne procède pas autrement. Mais, comme celle des luthistes, elle ne cherche pas à fixer le cadre de la suite. Jacques Champion de Chambonnières (1670), L. Couperin*, Jean Henri d’Anglebert (1689), Nicolas Lebègue (1687), Louis Marchand (1702, 1703) et, après eux, F. Couperin* et J.-P. Rameau* conservent, afin d’éviter la monotonie, l’alternance de mouvements différents ; mais ils enchaînent aux pavanes, aux courantes et aux gaillardes nombre de pièces aux titres pittoresques. Leur préoccupation est essentiellement d’ordonner des morceaux dans la même tonalité. C’est sans doute la raison pour laquelle F. Couperin intitule ses suites ordres. Cependant, dans son premier livre (1713), il reste assez proche de la suite traditionnelle. Mais, dans les livres suivants (1717, 1722, 1730), il délaisse l’ancien cadre et, bien que retenant le principe de l’alternance des tempi, diminue considérablement le nombre des danses et leur substitue des pièces descriptives ou psychologiques (portraits et caractères). On peut penser qu’il s’emploie à satisfaire le goût français, hostile à un art qui ne s’éloignerait de la danse que pour se rapprocher de la musique pure et peu enclin à disjoindre une belle mélodie des pas, des gestes, des paroles ou des images, qui stimulent l’imagination. Au début du xviiie s., J.-P. Rameau, dans ses trois livres de pièces de clavecin (1706, 1724, v. 1728), multiplie aussi les titres évocateurs. Comme Couperin, il n’use pas exclusivement de la forme suite ; il se sert également de la forme rondeau (ABA), qui peut avoir un ou plusieurs couplets. Dans ses Pièces de clavecin en concerts (1741), il enchaîne des mouvements courts pour clavecin, flûte ou violon et viole de gambe, à l’intérieur desquels surgit parfois une seconde idée, qui annonce plutôt la sonate. En Italie, la suite, qui, au siècle précédent, était assimilée souvent à la sonata ou au balletto, en vient rapidement, dans la seconde moitié du xviie s. — alors que se précise la distinction entre les œuvres destinées à l’église et à la chambre —, à se confondre avec la sonata da camera (sonate de chambre), qui, chez A. Corelli*, Giovanni Battista Vitali, Giuseppe Torelli et A. Scarlatti*, admet ses rythmes dansants. Mais, au xviiie s., la suite n’en adopte pas moins un chemin propre. Outre un prélude (intrada, préambule, ouverture), l’allemande, la courante, la sarabande et la gigue, elle comprend une grande quantité d’autres danses, que le musicien dispose à son gré : sicilienne, bourrée, passe-pied, menuet, gavotte, rigaudon, loure, forlane, canarie, polonaise, etc. En Allemagne, Johann Rosenmüller, dans ses sonate da camera (1670), a déjà fait la synthèse de l’esprit italien et de l’esprit allemand, et préparé la voie à ses successeurs. Après lui, sous l’influence des élèves allemands de Lully, Georg Muffat, Johann Caspar Fischer et Johann Sigmund Kusser, des éléments français pénètrent le genre. J.-S. Bach* devait largement tenir compte de ces différents apports. Ses suites pour violoncelle (v. 1720), ses Suites anglaises (v. 1722), ses Suites françaises (v. 1722), ses partitas (1731), ou suites allemandes pour clavier, et ses quatre Suites pour orchestre (1721, 1727-1736) marquent l’apogée de la suite classique. Il y insère toutes sortes de danses, notamment le rondeau français (partita en ut mineur), des morceaux de musique pure (air dans la partita en mi mineur ; aria de la suite d’orchestre en ) et des pièces de fantaisie (burlesque de la partita en la mineur ; caprice de la partita en ut mineur ; badinerie de la suite pour orchestre en si mineur). Ses suites d’orchestre, qu’il désigne du nom d’ouvertures, sont toutes précédées d’une ouverture à la française ; elles opposent une musique savante très travaillée à une musique de caractère plus populaire. G. F. Händel*, dans ses suites pour le clavier, varie, comme son émule, l’ordre des danses ainsi que ses morceaux d’introduction (préludes, fugues ou ouvertures). Ses pièces sont parfois apparentées, parfois indépendantes. Quant à ses concerti, ils participent souvent de la sonate, de la suite et de la sinfonia. Cette confusion devient fréquente dans la seconde moitié du xviiie s. Les premiers quatuors de J. Haydn* de même que les divertissements, les cassations et les sérénades de l’art classique viennois sont conçus dans l’esprit de la suite. Mais la forme-suite, peu développée, sera bientôt concurrencée par la forme-sonate et n’apparaîtra plus que dans les mouvements lents, le menuet et le finale de la nouvelle composition.