Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Suisse (suite)

L’existence de régimes juridiques cantonaux tous différents les uns des autres était à la source de nombreuses difficultés. Beaucoup souhaitaient une unification du droit et désiraient remplacer, au sein de la Confédération, le régime de la démocratie représentative par le système d’une démocratie directe, comme c’était déjà le cas dans plusieurs cantons. Ces tendances aboutirent à la révision de la Constitution de 1848. Après l’échec d’un premier projet, le nouveau texte constitutionnel révisé fut accepté par le peuple et les cantons en 1874 : il se caractérisa par l’accroissement des pouvoirs fédéraux en matière militaire et par l’introduction du droit de référendum (complété, en 1891, par le droit d’initiative populaire en matière constitutionnelle).

Après 1870, la Suisse connut — comme l’Allemagne de Bismarck — une période d’anticléricalisme (Kulturkampf), marquée par la lutte contre l’« ultramontanisme » intransigeant. Cette lutte, parfois passionnée, aboutit à l’introduction de quelques articles dans la Constitution de 1874, destinés à assurer la prépondérance de l’État sur l’Église, spécialement en matière scolaire. L’application de ces articles provoqua des conflits dans les cantons catholiques, et la tension politique diminua seulement lorsque les conservateurs eurent obtenu un siège au Conseil fédéral en 1891.

Vers la fin du xixe s., la Suisse connut un grand essor industriel et conquit une place importante sur le marché mondial (industrie des textiles en Suisse orientale, horlogerie dans le Jura, industrie des machines, matériel ferroviaire, appareils électriques, instruments de précision, industrie chimique et électrochimique, industrie d’aluminium, fabrication de produits alimentaires).

La configuration montagneuse du pays et les frontières douanières entre les cantons s’étaient longtemps opposées à la construction de grandes lignes de chemin de fer. Mais à partir de 1855, le réseau ferroviaire se développa rapidement et une vive compétition entre cantons, villes et groupements économiques accompagna cette évolution. De 1872 à 1882, le percement du tunnel du Saint-Gothard fut réalisé, avec l’appui de capitaux germano-italiens. En 1906, ce fut le tour du Simplon. En 1898, le peuple avait voté le rachat par la Confédération des lignes principales jusqu’alors entre les mains d’organismes privés.

De 1850 à 1910, la population passa de 2,3 à 3,7 millions d’habitants. Le développement industriel attira un grand nombre d’ouvriers étrangers (en 1910, 550 000, c’est-à-dire 15 p. 100 de la population). Le mouvement ouvrier s’organisa contre les excès du libéralisme (durée excessive du travail, mauvaise hygiène dans les usines, emploi abusif de la main-d’œuvre féminine et enfantine). Peu après 1870 se formèrent la Fédération ouvrière et les syndicats ouvriers ; un parti socialiste fut créé. En 1877, le travail fut réglementé et, à partir de 1912, une législation sur les assurances ouvrières fut promulguée.


La Suisse au xxe siècle

Pendant la Première Guerre mondiale, la neutralité suisse fut de nouveau mise à l’épreuve. La volonté de défendre la Confédération contre toute attaque unit tous les citoyens, mais les sympathies des Suisses ne s’adressaient pas toutes au même camp. Dans les cantons alémaniques, le peuple prit parti pour les Allemands et leurs alliés, tandis que la Suisse romande sympathisait ouvertement avec les combattants français et britanniques. Malgré ce fossé, la solidité de l’alliance fédérale ne fut jamais sérieusement ébranlée. Épargnée par la guerre, la Suisse exerça une action charitable envers des milliers de grands blessés et de prisonniers internés sur son territoire.

Le fait que le pays — pour la première fois depuis 1815 — était entouré d’États en guerre provoqua de graves problèmes pour son approvisionnement. Vers la fin du conflit, de sérieuses difficultés sociales se manifestèrent ; au sein du parti socialiste, l’extrême gauche, favorable à la Révolution russe (Lénine avait résidé à Zurich jusqu’en 1917), commença à dominer les éléments modérés. En 1917, une résolution socialiste rejeta le budget militaire et se prononça pour le refus du service. Comme le gouvernement restait intransigeant devant ces exigences, la grève générale fut décidée (1918). Pour briser la résistance ouvrière, les troupes fédérales occupèrent Berne, Zurich et Olten, centre du mouvement révolutionnaire, mais la soumission de la plupart des grévistes et une grave épidémie de grippe qui décimait les troupes firent éviter des heurts plus graves. Après ces incidents, certaines revendications des chefs socialistes (augmentation des salaires, semaine de 48 heures) obtinrent satisfaction, et la tension sociale s’apaisa peu à peu.

Le traité de Versailles (1919) confirma la neutralité suisse. La Confédération renonça à l’annexion du Vorarlberg autrichien, dont la population avait exprimé le désir de former un vingt-troisième canton suisse. En revanche, elle conclut avec la principauté de Liechtenstein une union diplomatique, monétaire et économique. Malgré une vive opposition en Suisse alémanique, le peuple suisse se prononça pour l’adhésion du pays à la Société des Nations (siège à Genève), mais revint, en 1938, à la neutralité intégrale.

Après 1919, le parti radical — majoritaire jusqu’alors — partagea le pouvoir avec les conservateurs et le nouveau parti de paysans, artisans et bourgeois (ancienne aile droite du parti radical, qui s’en était détachée).

Au Conseil national, les partis conservateur, radical et socialiste détenaient chacun le quart des sièges, les paysans le dixième et quelques petits partis le reste. Ce rapport de forces, resté plus ou moins le même jusqu’à nos jours, contribua à la stabilité politique du pays. Comme ce fut le cas dans les États voisins, les socialistes suisses transformèrent leur parti révolutionnaire en un groupement réformiste : en 1936, le parti abandonna le principe de la dictature du prolétariat, renia l’antimilitarisme et se rallia à la politique de défense nationale.