Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Suisse (suite)

Pendant la guerre de Trente Ans, les deux forces opposées demandèrent leur aide aux Suisses. Ceux-ci la refusèrent, par crainte de conflits intérieurs, et c’est ainsi que naquit cette tradition de neutralité qui est restée depuis à la base de la politique suisse. Les traités de Westphalie (1648) reconnurent l’indépendance totale des cantons vis-à-vis de l’Empire ; la Confédération s’était émancipée définitivement.


Les siècles de paix

Pendant le xviie et le xviiie s., la Suisse fut en Europe un havre de paix. Elle bénéficia d’un remarquable développement économique grâce à la diversification d’une agriculture prospère à l’abri des guerres et à une première industrialisation de type encore artisanal. Le service militaire à l’étranger procura des ressources : souvent les fils de famille dans les régions agricoles étaient officiers, propriétaires de leur troupe et profitaient de nombreuses occasions pour faire fortune.

De nouvelles industries purent s’établir grâce à l’afflux des protestants français chassés par la révocation de l’édit de Nantes (1685) : industrie textile à Bâle, à Zurich et à Saint-Gall ; horlogerie à Genève et dans le pays de Neuchâtel. L’exportation de cette production enrichit rapidement le patriciat urbain, qui consacra ses capitaux aux activités bancaires à Genève, Bâle, Zurich, Berne. La Suisse allait devenir le pays idyllique de la Nouvelle Héloïse et des philosophes du droit naturel. L’influence de la culture française et de l’esprit des lumières se fit sentir partout : Voltaire séjournait au bord du lac Léman, Rousseau accomplissait ses promenades solitaires sur l’île de Saint-Pierre ; en Suisse allemande, les membres de la haute société parlaient le français. Mais, en revanche, la Confédération, sauf dans les anciens petits cantons de démocratie directe, connut la tutelle de la bourgeoisie oligarchique : les principales fonctions étaient occupées par les membres de quelques familles. Des tensions sérieuses se firent jour dans cette société, où les « sujets » de la campagne et les « habitants », installés récemment, étaient exclus de la vie civique : ce furent en 1723 la tentative du major Davel pour soulever le pays de Vaud contre Berne et, en 1726, des mouvements dirigés contre le prince-évêque de Bâle. À Genève, le régime oligarchique dut briser plusieurs révoltes, avec l’aide de l’étranger.


La Grande Révolution et la Suisse

Dès ses débuts, la Révolution française eut d’importantes répercussions en Suisse. En 1792, à Genève, les « natifs », alliés aux bourgeois, mirent l’oligarchie à bas et constituèrent un gouvernement révolutionnaire (5 déc.) ; une insurrection éclata à Bâle. Des émigrés royalistes français affluèrent en grand nombre ; le récit de leurs malheurs refroidit bientôt l’opinion publique suisse à l’égard sinon des idées, tout au moins des méthodes révolutionnaires.

Victorieux en Italie (1796), Bonaparte enleva la Valteline aux Grisons pour la rattacher à la république Cisalpine (1797). Désireux de préserver ses conquêtes italiennes, le Directoire chercha un prétexte pour intervenir en Suisse. Ce prétexte lui fut fourni par l’action du « Club helvétique ». Cette société groupait des Suisses qui, mécontents de leurs gouvernements oligarchiques, avaient émigré à Paris ; le Vaudois Frédéric César de La Harpe lança, au Club helvétique, des appels à la libération du joug aristocratique, tandis qu’à Bâle Pierre Ochs dénonçait, lui aussi, les méfaits du régime oligarchique. Le 24 janvier 1798, les villes vaudoises proclamèrent leur indépendance. Quelques jours plus tard, le pays de Vaud fut occupé par l’armée française, ainsi que les vallées jurassiennes sous protectorat bernois. La Diète de la Confédération restant sans réaction, le gouvernement de Berne lutta seul contre l’invasion. Mais ses troupes furent défaites à Grauholz, et l’armée française entra à Berne le 5 mars. Les cantons du centre de la Suisse durent bientôt capituler ; ce fut ensuite le tour de Mulhouse (ville alliée), de Genève et du Valais.

Après cette désagrégation de la Confédération des treize cantons, la Suisse fut réorganisée sur le modèle français et reçut une constitution unitaire. Rompant nettement avec le passé, le Directoire imposa, en avril 1798, une République helvétique, unitaire, découpée en circonscriptions administratives. Amputée par la France d’importants territoires (Mulhouse, Genève, Bienne, vallées du Jura), occupée militairement, la République helvétique subit bientôt une grave crise économique et, en 1799, elle servit de champ de bataille aux troupes françaises et austro-russes. Le pays sombra dans l’anarchie. Devant la réaction fédéraliste contre le nouveau régime, Napoléon Ier retira les troupes françaises et promulgua l’« Acte de médiation » (19 févr. 1803), qui reconstitua l’organisation fédérale en rétablissant la Diète et les treize cantons anciens. Les anciens pays alliés et sujets (sans Mulhouse, Bienne et Genève, qui furent annexés à la France) formèrent six nouveaux cantons : Saint-Gall, Grisons, Argovie, Thurgovie, Tessin et Vaud. Les dix-neuf cantons constituèrent la « Confédération helvétique ». L’Acte de médiation rétablit le calme intérieur, et, si le Blocus* continental porta atteinte à l’économie suisse, le pays profita, en revanche, d’importants travaux routiers (amélioration du Grand-Saint-Bernard, aménagement du Simplon).

Les défaites des troupes napoléoniennes entraînèrent l’abrogation par la Diète de l’Acte de médiation (déc. 1813), et Genève retrouva son indépendance (1814). Au congrès de Vienne, la Confédération fut représentée par des délégués de la Diète et des cantons. Le congrès fit restituer par la France à la Suisse les anciens alliés du Valais, de Neuchâtel (devenu français par le traité de Schönbrunn en 1805 et confié par Napoléon à Berthier en 1806) et de Genève, qui formèrent trois nouveaux cantons. Il lui céda en plus quelques terres françaises pour accroître le territoire de Genève et les districts jurassiens qui avaient été intégrés au canton de Berne pour indemniser celui-ci de la perte du pays de Vaud et de l’Argovie. En outre, le congrès de Vienne garantit la neutralité perpétuelle de la Suisse.