Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Sudètes (suite)

Les partis « négativistes », qui persistent dans leur hostilité de principe, sont faibles : il s’agit surtout de nationaux-socialistes (DNSAP), qui existent depuis 1903, et du parti national allemand (DNP). L’irrédentisme a rapidement décliné. Le Hilfsverein für Deutschböhmen und Südetenland, fondé en février 1919, avait 40 000 membres en Allemagne et en Autriche, mais ne représentait aucun danger réel.

Dans les années 20, l’irrédentisme se réfugie dans des mouvements de jeunesse ou des associations folkloriques. En 1919, une organisation secrète, la Böhmerlandbewegung, recrute ses adhérents parmi les scouts et parmi les éclaireurs, les Wandervögel. Mais ces organisations irrédentistes sont rapidement affaiblies par les querelles de personnes qui ont toujours caractérisé les mouvements sudètes. Le Hilfsverein, que dominait la tendance pro-autrichienne, est remplacé en 1927 par le Sudetendeutscher Heimatbund, dont le centre se trouve à Berlin.

À partir de 1926, un architecte, Heinrich Rutha, et un assistant de l’université de Vienne, W. Heinrich, développent parmi les jeunes, surtout parmi les étudiants, une nouvelle société secrète, le Kameradschaftsbund, inspirée par l’enseignement antidémocratique et corporatiste d’Othmar Spann (1878-1950), professeur de l’université de Vienne. Inspirée de la franc-maçonnerie, l’association subordonne à des initiés la masse des membres des degrés inférieurs. Mais son audience reste limitée.

La crise économique qui commence en 1930 aggrave les tensions nationales, car elle touche particulièrement les industries de consommation exportatrices (verrerie, textile) et les industries lourdes de la région des Sudètes. Le ministre des Affaires sociales, l’Allemand Czech, répartit l’aide aux chômeurs sans discrimination nationale. Mais la propagande nationaliste rend l’État tchécoslovaque responsable de la crise économique. En octobre 1932, les deux partis négativistes, le DNSAP et le DNP, sont dissous par les autorités de Prague.


Le mouvement de Henlein

Profitant de la crise des anciennes associations, Konrad Henlein (1898-1945), président pour la Tchécoslovaquie de l’association de gymnastique Deutscher Turnverband, fonde en 1933 le Sudetendeutsche Heimatfront, qui rassemble des nouveaux venus et d’anciens militants nationalistes. Il se présente comme un modéré, loyal envers l’État tchécoslovaque, prêt à entrer dans le gouvernement. En 1934, malgré la faiblesse de ses moyens financiers et l’hostilité des extrémistes, il rassemble 85 000 membres. Il se tient à l’écart de l’Allemagne nazie.

Dès le 10 février 1933, Hitler fait allusion à la situation des Sudètes. Un des buts de la politique nazie en Europe centrale et orientale est de mobiliser à son profit des minorités allemandes. La tâche paraît difficile en Tchécoslovaquie, terre d’asile des émigrés antifascistes allemands (Thomas Mann). Les Allemands des Sudètes comptent un important prolétariat industriel, encadré par la social-démocratie ; la bourgeoisie industrielle, souvent d’origine juive, n’a aucune raison de soutenir le nazisme.

Les succès de Henlein sont donc surprenants. Dès 1934, il passe un accord électoral avec les agrariens allemands. Aux élections de mai 1935, sa formation, le Sudetendeutsche Partei (SdP), recueille 1 200 000 voix. Le parti est déchiré en 1936 par un conflit interne entre anciens du DNSAP et du Kameradschaftsbund. Berlin arbitre alors le conflit en sa faveur et renforce son influence. En octobre 1937, le parti se radicalise, provoque des incidents à Teplice, proteste auprès de la Société des Nations. En février 1938, l’adjoint de Henlein, Karl Hermann Frank, passe un accord avec le dirigeant de la minorité allemande de Slovaquie, F. Karmasin, pour une action coordonnée contre le gouvernement de Prague.

La réussite de l’anschluss précipite la décomposition des partis activistes. En mars 1938, les partis agrarien, chrétien social et des artisans fusionnent avec le parti de Henlein. La social-démocratie, que dirige alors Wenzel Jaksch, quitte le gouvernement en avril 1938 et ne peut enrayer l’hémorragie de ses cadres et de ses électeurs. Le parti de Henlein, qui a alors 770 000 membres, 65 députés, tient le 24 avril 1938 sa conférence à Karlsbad (Karlovy Vary). Il présente au gouvernement tchèque un véritable ultimatum en huit points, réclamant la formation d’une région autonome que domineraient les nazis. Lors des élections municipales de mai 1938, Henlein obtient dans les régions allemandes plus de 90 p. 100 des voix. Beneš*, sous la pression des gouvernements français et anglais (tentative de médiation de Walter Runciman, août-sept.), accorde des concessions de plus en plus larges et, le 7 septembre, dans son quatrième plan, accepte virtuellement les huit points, mais les Sudètes prennent prétexte d’un incident pour rompre les négociations. Le 16 septembre, les henleiniens tentent un putsch, soutenu par l’Allemagne : celui-ci échoue, provoquant la dissolution du parti. Mais la capitulation des grandes puissances à Munich (29-30 sept. 1938) livre à l’Allemagne les Sudètes.


Après Munich et pendant la guerre

La région des Sudètes est intégrée dans le Reich sous le nom de Reichsgau Sudetenland. Avec une majorité de 98,8 p. 100 de voix, 41 députés Sudètes sont élus au Reichstag. Seuls 262 000 Allemands restent dans le protectorat de Bohême-Moravie, constitué après le 15 mars 1939, mais ils bénéficieront d’un statut privilégié. Les Sudètes jouent un grand rôle dans l’administration du protectorat, avec Karl Hermann Frank, secrétaire d’État, puis ministre d’État pour la Bohême et la Moravie. Ils inspirent des projets de germanisation du protectorat. Lors de la défaite des armées nazies, à l’approche des armées russes, une partie des Allemands des Sudètes se replient en Allemagne ou en Autriche.


L’expulsion des Allemands

Dans le gouvernement tchécoslovaque de Londres, Beneš a des discussions avec des Sudètes antinazis, le communiste Karel Kreibich et le socialiste Wenzel Jaksch. Dès janvier 1942, il envisage d’expulser après la guerre des Allemands pronazis. En novembre 1942, il durcit sa position en prévoyant une expulsion sur une large échelle. Il obtient en 1943 un accord de principe des Alliés. Mais le plan définitif est présenté après la victoire et approuvé à la conférence de Potsdam (17 juill. - 2 août 1945). Au total, ce sont, de janvier à novembre 1946, 2 165 000 Allemands qui sont transférés vers la zone américaine ou vers la zone soviétique en Allemagne. Les expulsés ne peuvent emporter que de 30 à 50 kg de bagages et 1 000 Reichsmark. Il ne reste alors en Tchécoslovaquie que 165 000 Allemands, et ce nombre n’est plus que de 80 000 en 1972. Pour l’économie tchécoslovaque, cet exode a signifié la perte d’une main-d’œuvre hautement spécialisée et le dépeuplement des régions agricoles frontières.