Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Styron (William) (suite)

Le dernier livre paru, la Confession de Nat Turner (The Confessions of Nat Turner, 1967), dont le thème obsédait Styron depuis l’enfance, romance une histoire vraie. Nat Turner, Spartacus américain, en 1831, prit la tête d’une bande d’esclaves, massacra cinquante-cinq Blancs et fut finalement pendu et dépecé. L’auteur de la Case de l’oncle Tom s’en inspire dans Dred. Écrite à la première personne, la Confession de Nat Turner, conçue comme un retour en arrière du prisonnier avant le supplice, évoque son enfance, son mépris des esclaves, son amour d’une femme blanche, sa vision de la révolte. Document sur la vie des Noirs, c’est surtout une allégorie, pleine de la rhétorique biblique des « negro spirituals ». Nat Turner apparaît comme l’ancêtre du « Christ à la mitraillette » de Harlem. Styron, trop libéral pour croire en la violence, ne propose pas un programme politique. Il déchiffre seulement dans l’histoire oubliée d’une révolte l’archétype du drame noir. Son œuvre est une exploration très sensible et intelligente des fonds secrets de la conscience américaine.

J. C.

 L. Y. Gossett, Violence in Recent Southern Fiction (Durham, North Carolina, 1965). / D. D. Galloway, The Absurde Hero in American Fiction (Austin, 1966 ; nouv éd., 1970).

Subleyras (Pierre)

Peintre français (Saint-Gilles-du-Gard 1699 - Rome 1749).


La France occupe au xviiie s. une place de premier plan dans la vie artistique romaine, et cela en partie grâce à Subleyras. Celui-ci, né la même année que Chardin*, est, comme lui, un peintre du silence, des gestes à l’arrêt, de l’émotion contrôlée, mais il aime avant tout les grandes compositions à sujet religieux ou mythologique.

Fils d’un modeste peintre d’Uzès, il fut formé à Toulouse dans l’atelier d’Antoine Rivalz (1667-1735). Les quelques toiles de cette période que l’on conserve (musée des Augustins à Toulouse) et leurs esquisses (à Malte et à Birmingham) montrent un artiste profondément marqué par la tradition de l’école toulousaine, une des plus brillantes alors en province. De ces mêmes années datent les premiers portraits de l’artiste : Madame Poulhariez et sa fille (1724, musée des Beaux-Arts de Carcassonne), le Sculpteur Lucas (Toulouse). En 1726, Subleyras se rend à Paris. Il concourt l’année suivante pour le grand prix de l’Académie, qu’il remporte avec le Serpent d’airain (Nîmes). Ce prix lui ouvre les portes de l’Académie de France à Rome. Le 20 juillet 1728, l’artiste quitte Paris définitivement.

Comme Poussin*, et le parallèle ne s’arrête pas là, c’est à l’âge de trente ans qu’il arrive dans la Ville éternelle, en pleine possession de son métier. Le directeur de l’Académie de France à Rome, alors installée au palais Mancini, était Nicolas Vleughels (1668-1737). Diverses lettres de celui-ci adressées au surintendant des Bâtiments, le duc d’Antin, nous apprennent les rapides progrès du jeune peintre. Par ces lettres, nous savons aussi que celui-ci ne veut pas retourner en France : grâce à diverses interventions, grâce aussi aux commandes qu’il exécute pour le duc de Saint-Aignan, alors ambassadeur de France a Rome (divers Contes de La Fontaine : musée du Louvre, Nantes, etc.), Subleyras obtient non seulement de rester à Rome, mais aussi de continuer à résider au palais Mancini, qu’il ne quittera qu’en 1735. Sa première commande laïque importante est, en 1737, la Remise au prince Vaini de l’ordre du Saint-Esprit par le duc de Saint-Aignan (musée de la Légion d’honneur à Paris). Mais de la même année 1737 date le non moins important Repas chez Simon, commandé par l’ordre de Saint-Jean-de-Latran pour le couvent d’Asti, en Piémont (Louvre).

À partir de cette date, et pour les douze ans qui lui restent à vivre, Subleyras, par l’intermédiaire de divers ordres religieux, recevra quelques-unes des plus importantes commandes pour des églises non seulement de Rome, mais de toute l’Italie, de France (Toulouse et Grasse) et même d’Espagne. En 1739, il épouse la miniaturiste Felice Maria Tibaldi (1707-1770), fille du musicien Giovanni Battista Tibaldi. Il laissera de celle-ci deux portraits (musées de Baltimore et de Worcester). Elle reproduira en miniature les œuvres de son époux, comme le Repas chez Simon (daté de 1748 et signé par elle, musée du Capitole à Rome), mais collaborera aussi à ses œuvres. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le tableau de l’Académie de Vienne qui nous montre, réunie dans l’Atelier du peintre, dont les murs sont couverts de ses tableaux, la famille Subleyras tout entière au travail.

En 1740, Subleyras entre en contact avec le cardinal Valenti Gonzaga, qui le recommande au pape Benoît XIV, dont il fera le portrait officiel l’année suivante (diverses versions, dont une à Chantilly). C’est la protection du saint pontife qui lui vaudra la commande, en 1743, du Saint Basile célébrant la messe de rite grec devant l’empereur arien Valens pour Saint-Pierre (aujourd’hui à Santa Maria degli Angeli ; esquisses au Louvre, à Leningrad, etc.). Mais, avant d’achever cette gigantesque toile, en 1748, Subleyras donne ses plus beaux tableaux : le Miracle de saint Benoît (pour les Olivétains de Pérouse ; auj. à Santa Francesca Romana, à Rome) ; Saint Ambroise absolvant Théodose (pour le même ordre ; auj. au musée de Pérouse) ; Saint Camille de Lellis adorant la Croix (église du Crucifix des Pères camilliens, Rieti) ; le Mariage de sainte Catherine (collection privée, Rome) ; et surtout son chef-d’œuvre, le Saint Camille de Lellis conjurant l’inondation, une des plus belles toiles de tout le xviiie s. (Museo di Roma). Mais la maladie le mine. En dépit d’un voyage de repos à Naples en 1747, l’artiste mourra bientôt, âgé de cinquante ans. Pompeo Batoni (1708-1787), son cadet d’une génération, va prendre sa place, la première à Rome.

Avant tout peintre d’histoire, Subleyras n’a pas pour autant négligé la nature morte (Toulouse), la scène de genre plus ou moins leste (Contes de La Fontaine ; outre les toiles citées plus haut, deux exemples à l’Ermitage), le portrait (Dom Cesare Benvenuti, Louvre ; Saint Jean d’Avila, Birmingham), la mythologie (le Caron du Louvre), le nu (l’exceptionnel Nu de femme du musée Barberini à Rome). Quel que soit le genre abordé, il compose avec rigueur, calme, force et une simplicité déjà toute néo-classique. Sa touche est délicate, minutieuse, reconnaissable entre toutes. Mais c’est surtout son coloris qui lui vaut une place à part ; l’artiste affectionne trois teintes, dont il use avec raffinement : le noir, le blanc (études de Diacres pour la Messe de saint Basile, musée d’Orléans) et surtout le rosé. Peintre exceptionnel, souvent émouvant et dont la gloire n’a cessé de croître durant la seconde moitié du xviiie s., Subleyras, négligé par la suite, sera bientôt compté de nouveau parmi les plus grands novateurs de son temps.

P. R.