Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

stylistique (suite)

La stylistique de la langue

La mutation profonde apportée dans les théories linguistiques par l’enseignement de Saussure*, la définition de la tâche de la linguistique en tant qu’étude de la langue (sociale) par opposition à la parole (individuelle) sont à l’origine de la stylistique de Charles Bally*. Celle-ci se définit comme « l’étude des faits d’expression du langage organisé du point de vue de leur contenu affectif, c’est-à-dire l’expression des faits de la sensibilité par le langage et l’action des faits de langage sur la sensibilité ». La stylistique consiste donc en un inventaire des potentialités stylistiques de la langue (« effets de style ») au sens saussurien et non dans l’étude du style de tel auteur, considéré comme un « emploi volontaire et conscient de ces valeurs ». Elle exclut donc l’étude des œuvres littéraires. Cette définition rattache le style à la sensibilité : « le sentiment est une déformation dont la nature de notre moi est la cause » ; ainsi, la métaphore existe parce que nous pouvons rendre l’esprit « dupe de l’association de deux représentations ». C’est aussi sur une semblable analyse de la « nature de notre moi » que se fondait la rhétorique*, art de persuader en faisant appel à la sensibilité et sur les ruines de laquelle la stylistique de Bally s’est installée.


La stylistique de l’écart

Si les successeurs de Bally franchissent la barrière que celui-ci avait élevée devant les œuvres littéraires, c’est à l’intérieur de la dichotomie langue/parole qu’ils continuent à se situer. Tout texte relevant de la parole, utilisation individuelle de la langue, le style est défini par référence à une norme comme un écart : écart d’abord par rapport au code (peu souvent transgressé dans le passé, plus souvent aujourd’hui, comme chez R. Queneau et chez H. Michaux) ; écart ensuite par rapport à un niveau non marqué de la parole, sorte d’usage moyen et « simple » ; écart enfin par rapport au style du genre auquel l’œuvre appartient, et qui constitue une sorte de langue établie préalablement (on peut étudier ainsi le style de Racine par rapport à la langue de la tragédie).

La problématique reste la même lorsqu’on évalue l’écart langue/parole, que l’on s’appuie sur une description structurale, générative (on compare alors des dérivations) ou sur une description statistique, comme dans les travaux de Charles Muller et de Pierre Guiraud. Ainsi, pour ce dernier, les mots thèmes et les mots clés d’une œuvre sont définis selon des critères de fréquence (absolue ou relative). Une « stylométrie » est alors possible, s’appuyant notamment sur la théorie de l’information.


La stylistique immanente

On peut, cependant, considérer que c’est non pas par une simple application de l’apport linguistique à l’étude de l’œuvre littéraire que se sont produits le renouvellement de la stylistique et sa coupure avec la rhétorique, mais par une véritable transplantation de la méthode d’analyse structurale. Dans le texte, du fait de sa clôture, système et discours coïncident ; le message poétique engendre son propre code, qui doit donc être étudié en lui-même.

L’œuvre est « non une langue, mais un langage de connotation (un langage de connotation n’est pas une langue : son plan de l’expression est constitué par les plans du contenu et de l’expression d’un langage de dénotation). C’est donc un langage dont l’un des plans, celui de l’expression, est une langue » (L. Hjelmslev*). Le texte doit donc être premièrement l’objet d’une analyse linguistique dégageant les unités de la langue qui servent à constituer les unités du second niveau (ou connotateurs). Il n’y a pas isomorphisme entre les deux niveaux, plusieurs signes linguistiques pouvant constituer un seul connotateur. Le terme de connotation n’est pas employé ici au sens de « connotations sémantiques », attachées aux mots par différents facteurs, mais définit le rapport du double système de la langue et du texte, les connotations sémantiques du premier niveau étant les parties constituantes des connotateurs. Ainsi, pour Michael Riffaterre, à côté des « codes a priori » (langue, genre), l’œuvre ajoute un « code a posteriori », un surcodage, des significations supplémentaires où les valeurs jouent différemment. L’œuvre crée ainsi son propre modèle de référence. Ce surcodage est analysé en termes de prévisibilité : plus un élément est imprévisible, plus il fait. impression sur le lecteur ; tel est le procédé stylistique, qui tire sa valeur de son contraste avec un microcontexte (contexte stylistique court) et de son rapport avec un macrocontexte (ensemble des données contextuelles présentes à l’esprit du lecteur), qui modifie le premier contraste en l’amplifiant ou en l’atténuant (si l’effet est souvent répété). Le contexte est donc, lui aussi, surcodé et détient dans le style un rôle aussi important que le procédé.


La stylistique comme pratique

Qu’elles s’appuient sur la structure de la langue ou sur celle du texte, les stylistiques précédentes postulent l’existence du texte en dehors de toute opération de lecture et, si ce n’est par le biais de la théorie de l’information, ne posent pas le problème de la nature du travail du stylisticien. L’œuvre de Leo Spitzer apporte une tentative de réponse à ces problèmes ; mais, en considérant l’œuvre comme totalité et continuité dans laquelle le critique pénètre par intuition à partir de n’importe quelle unité et dont il dégage l’« étymon spirituel », cette réponse ne constitue pas une méthode et ne définit qu’une pratique individuelle. D’autres travaux font plus nettement apparaître le rôle du stylisticien dans la création de son objet. Le texte est défini non plus comme une structure plate, mais comme son propre engendrement, comme pratique signifiante. La lecture n’est pas un déchiffrement passif, mais un travail de structuration du signifiant, de production du signifié. De nouveaux concepts apparaissent, brisant l’antinomie auteur/lecteur et mettant l’accent sur la pratique : celui de « lecture-écriture », lecture qui vise à transformer, dans et par les textes, la pensée d’entrée discontinue en une pensée de l’unité prise au fonctionnement de l’écriture ; celui de « génotexte », séquence profonde signifiante construite par la lecture à partir du phénotexte : l’énoncé ; celui de « littérarité », spécificité de l’œuvre comme texte, ce qui le définit comme espace littéraire orienté. Notons que ces pratiques stylistiques se réfèrent souvent aux pratiques les plus modernes de l’écriture. L’accent mis ici sur l’écriture et la lecture comme pratiques rapproche alors la stylistique littéraire de l’étude des autres pratiques signifiantes.