Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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structuralisme (suite)

La primauté des rapports sur les termes constitue la clé de l’explication structurale. C’est en considérant les systèmes de classification totémiques comme « une méthode de dénomination différentielle, dont les caractères subsistent, quel que soit le type de dénotation employée » (animal, végétal ou autre), que Lévi-Strauss est parvenu à les rendre intelligibles. Quant à l’explication des mythes, elle procède du principe que « des structures logiques analogues peuvent se construire au moyen de ressources lexicales différentes », les éléments du récit variant, bien que les relations qu’ils entretiennent entre eux demeurent constantes.

• Importance de la logique binaire. Méthode de connaissance relationnelle et différentielle privilégiant les rapports, le structuralisme est appelé à utiliser constamment la logique binaire. Lévi-Strauss, se fondant sur les résultats obtenus par la linguistique et l’informatique, estime qu’elle permet d’aboutir à une expression quantitative rigoureuse du qualitatif : il suffit, pour cela, de faire varier le contenu des oppositions et d’en établir un nombre suffisant pour pouvoir rendre compte de tous les aspects du système étudié.

Cependant, il a été progressivement amené à dépasser la logique binaire de l’exclusion pour une logique dialectique, qui soit plus souple et nuancée, incluant les concepts de complémentarité, de supplémentarité, d’homologie, de symétrie, de transformation, etc. Ce dernier type de rapport constitue d’ailleurs un des outils fondamentaux de l’analyse structurale des mythes : il affirme l’équivalence de deux situations définies respectivement par une inversion des termes et des relations.

L’analyse doit être « réelle, simplificatrice et explicative ». Pour être réelle, elle doit partir d’une observation attentive, objective et compréhensive de son objet, et ne construire que des modèles « vrais », c’est-à-dire n’utilisant pas d’autres faits que ceux qui sont considérés et rendant compte de tous. Pour être simplificatrice, il faut qu’elle remplisse les conditions suivantes : « économie d’explication ; unité de solution ». Elle est explicative si elle permet de « comprendre et de reconstruire le système » étudié, de « restituer l’ensemble à partir d’un fragment », autrement dit « de redescendre de l’abstrait au concret », cette démarche régressive constituant un des principaux moyens de vérification des résultats de l’analyse.


Une méthode expérimentale

La méthode structurale peut être considérée comme scientifique dans la mesure où elle s’appuie sur des modèles qui se prêtent à l’expérimentation, à la prévision et à la vérification.

Par expérimentation sur les modèles, Lévi-Strauss entend « l’ensemble des procédés permettant de savoir comment un modèle donné réagit aux modifications, ou de comparer entre eux des modèles du même type ou de types différents ». L’expérimentation comporte donc deux démarches essentielles : la comparaison et la prévision.

La comparaison est fondée sur la généralisation, c’est-à-dire sur une réduction et une formalisation des données empiriques, d’après les principes énoncés plus haut : définition du sens des termes par la fonction que ceux-ci remplissent dans les contextes où ils figurent ; primat des rapports sur les termes.

Cette analyse formelle, ou réduction structurale, permet de dégager des rapports de corrélation ou d’opposition qui définissent la structure logique du système considéré et qui peuvent être représentés par un modèle.

Pour expliquer un mythe, par exemple, il faut d’abord le décomposer en épisodes, séquences et mythèmes (unités de base constituées de phrases élémentaires du type sujet + prédicat) ; il faut ensuite regrouper les mythèmes qui comportent un caractère commun, préciser les rapports existant entre les différents groupes constitués et en abstraire les rapports invariants et irréductibles qui constituent la structure du mythe. Il devient, dès lors, possible de comparer des mythes d’origines diverses et de contenu apparemment différent, mais dont la structure apparaît plus ou moins semblable.

Lévi-Strauss démontre ainsi que les mythes M2 et M124 sont identiques, bien qu’ils diffèrent par leur contenu, au point que nul ne songerait, de prime abord, à les rapprocher, et cela parce que leur message est réductible aux mêmes rapports d’opposition : apport / retrait d’un élément, feu / eau, terrestre / céleste, à la suite d’une disjonction horizontale (héros écrasé sous un arbre) / verticale (héros s’élevant sur une montagne).

Si l’abstraction formelle de la structure implique un appauvrissement des données, les comparaisons qu’elle autorise permettent d’enrichir l’interprétation première des mythes. L’analyse des mythes s’effectue ainsi de manière progressive et contrapuntique. Conjuguant la généralisation et la comparaison, opérant un va-et-vient du concret à l’abstrait et de l’abstrait au concret, la méthode structurale peut aboutir à une explication exhaustive.

La prévision prend la forme d’un raisonnement déductif, de caractère empirique ou transcendantal, selon qu’il s’appuie sur l’expérience ou sur des modèles. C’est par une déduction transcendantale que Lévi-Strauss a découvert la nécessité théorique de l’échange généralisé, avant même qu’il parvienne à l’apercevoir dans les faits, les lois de l’échange restreint ne permettant pas d’expliquer l’intégralité des faits observés, en particulier les règles du mariage en Australie. Ayant mis en évidence la formule de l’échange généralisé et montré que l’échange restreint en constitue une modalité, il entrevoit alors la possibilité d’« entreprendre l’étude mathématique de tous les types d’échange concevables entre n partenaires pour en déduire les règles du mariage à l’œuvre dans les sociétés humaines ».

Les exemples de déduction empirique procédant par extrapolation à partir d’un certain nombre de données abondent dans les Mythologiques. Nous citerons simplement le chapitre introductif du deuxième volume, où Lévi-Strauss fait le point des résultats obtenus dans le premier et en déduit les grandes lignes de recherche qu’il se propose de poursuivre.