Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

stratégie (suite)

À la recherche d’un nouvel équilibre nucléaire

Le nouvel équilibre nucléaire réalisé au début des années 1960 entre les États-Unis et l’U. R. S. S. impliquait une sorte d’accord tacite entre les deux partenaires pour éviter à tout prix, grâce au maintien, en temps de crise, de conversations directes et au plus haut niveau entre les deux pays (téléphone rouge), qu’une guerre totale ne s’engage par erreur ou par malentendu. Il impliquait aussi que les deux puissances s’efforcent d’empêcher la création d’autres forces nucléaires échappant à leur contrôle, ce que tendront à obtenir les accords américano-soviétiques de Moscou (1963) sur l’interdiction des essais nucléaires aériens et le traité de non-prolifération nucléaire de 1968, destinés tous deux à limiter le nombre des membres du club atomique, qui venait de s’augmenter de la France et de la Chine.

En dépit de la volonté de Washington et de Moscou s’annonçait ainsi le passage d’un monde bipolaire à un monde multipolaire, où les mécanismes de la dissuasion devenaient de plus en plus complexes. En outre, l’équilibre entre les puissances américaine et soviétique demeurait très précaire et à la merci de toute percée d’ordre technologique susceptible de bouleverser très rapidement le rapport de leurs forces. Alors qu’à partir de 1967 les Américains stabilisaient le nombre de leurs missiles stratégiques (1 054 « ICBM » et 656 « SLBM »), les Soviétiques consentaient un effort considérable en matière d’armement. Il se traduira par l’essor prodigieux de leur flotte, qui accentuait le caractère mondial de leur stratégie, et par la montée en flèche du nombre de leurs « ICBM » (460 en 1967, 1 618 en 1975) et de leurs « SLBM » (130 en 1967, 784 en 1975).

• Les négociations nucléaires. C’est alors qu’à propos des problèmes nés de la défense contre les missiles* les États-Unis et l’U. R. S. S., plutôt que de poursuivre une course aux armements ruineuse pour leurs économies, décidèrent de la limiter par un accord dûment négocié. Ce fut l’origine des négociations Salt, ouvertes en 1969 sur la limitation des armements nucléaires stratégiques, dont la première phase aboutit en mai 1972 à la convention signée à Moscou par le président Nixon, qui limitait les armes antimissiles et fixait jusqu’en 1977 un plafond au nombre des vecteurs des armes nucléaires stratégiques, tout en laissant aux deux partenaires une liberté totale en matière de recherche. Cet accord donnait presque aussitôt l’image de sa fragilité, puisque Washington, se fiant à son avance technique dans le domaine des charges à têtes multiples (« MIRV »), avait accepté un plafond (710 « SLBM » et 1 000 « ICBM ») nettement inférieur à celui des Soviétiques (950 « SLBM » et 1 618 « ICBM »). En 1973, ces derniers, expérimentant eux-mêmes des charges multiples d’une puissance supérieure à leurs homologues américaines, compromettaient gravement l’équilibre péniblement négocié l’année précédente. Cet événement explique l’impasse dans laquelle se trouvèrent au début de 1974 les négociations sur la sécurité européenne engagées entre les deux blocs. Il explique sans doute aussi l’inflexion, annoncée au même moment par le secrétaire d’État James Schlesinger (né en 1929), de la stratégie américaine. Sans renoncer à une stratégie anticités, le Pentagone met désormais l’accent sur les objectifs antiforces, que constituent les armes et les installations nucléaires de l’U. R. S. S. Lors de sa rencontre avec Brejnev le 24 novembre 1974 à Vladivostok, le président Ford confirmait les accords de mai 1972. Les négociations Salt reprenaient en 1975 en vue de parvenir à un nouvel accord couvrant la période 1977-1985 et portant notamment sur le nombre des charges nucléaires multiples.

Un exemple type de conflit limité : la quatrième guerre israélo-arabe de 1973 (guerre du Kippour)

La complexité et l’interdépendance des données de la stratégie ont été particulièrement mises en évidence par ce conflit. Avec une singulière brutalité et dans un espace de temps limité au seul mois d’octobre 1973, la guerre du Kippour a mis en cause :

• le problème permanent de l’opposition entre Juifs et Arabes et l’existence même de l’État d’Israël ;

• le facteur géostratégique du canal de Suez, grande voie de communication entre la Méditerranée, l’océan Indien et l’Extrême-Orient, fermée depuis 1967 et qui présente un intérêt particulier pour la stratégie soviétique (Bombay - Odessa via Suez = 4 182 miles ; via Le Cap = 11 755 miles) ;

• le caractère assez ambigu des relations entre l’U. R. S. S. et les États-Unis, qui, après avoir alimenté en armes la première les pays arabes et les seconds Israël, s’entendent finalement pour imposer les 22 et 23 octobre, par l’intermédiaire du Conseil de sécurité, un cessez-le-feu immédiat aux belligérants ;

• l’emploi brutal du facteur économique, avec la décision prise le 17 octobre par l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole de réduire leur production et leurs exportations vers l’Europe occidentale, les États-Unis et le Japon, pour obtenir que ces États exercent une pression sur Israël (cette décision, jointe à l’augmentation brutale des tarifs, remettait en cause toute la politique mondiale de l’énergie) ;

• le facteur militaire de la stratégie nucléaire, avec la décision prise le 25 octobre par le président Nixon de mettre en alerte toutes les forces stratégiques nucléaires américaines pour « dissuader » les Soviétiques de toute intervention militaire au Moyen-Orient ;

• le facteur révolutionnaire, avec le problème posé par l’Organisation de libération de la Palestine ;

• l’importance psychologique de la tribune de l’O. N. U., les limites que lui impose, quand il existe, le condominium mondial exercé par les deux super-grands nucléaires soviétique et américain, et le rôle modeste, mais efficace, de la force d’urgence de l’O. N. U. (casques bleus) comme organe militaire d’exécution d’une volonté internationale.