Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

stratégie (suite)

Recueillant le fruit de ces études, qu’il a longuement méditées, héritant d’une révolution qui a fait de la guerre un phénomène national et populaire, Napoléon* donnera tout son sens à la stratégie. Par ses fulgurantes campagnes, il lui imprimera un style où la méthode rigoureuse de la préparation précède dans l’action la recherche obstinée de l’initiative pour imposer sa volonté à l’adversaire.

Il est curieux de constater que, si la stature de l’Empereur domine en France trois ou quatre générations d’officiers, c’est l’école allemande, dont le maître sera l’obscur Clausewitz*, qui, après 1815, saura tirer des campagnes frédériciennes et napoléoniennes une stratégie qui soit à la mesure des États modernes. Abordant sous son angle le plus large la réalité de la guerre, Clausewitz a le mérite de la situer dans la hiérarchie de la pensée comme un phénomène second au service exclusif de la politique. En cet ensemble, la stratégie prend sa place comme moyen d’obtenir par la force l’objectif politique défini et voulu par l’État. S’il s’agit d’abattre un adversaire, il faut l’anéantir, et le rôle de la stratégie sera, précisément, de définir l’axe d’effort principal (Schwerpunkt) d’où résultera la destruction de ses forces dans leurs données matérielles et morales. Campagnes et batailles doivent être décidées et conduites par une direction de guerre (Kriegsführung) qui ne peut être que politique et dans laquelle le commandement militaire se trouve étroitement imbriqué. À cette fameuse direction de guerre, qui fera la force de l’Allemagne pendant plus d’un siècle, revient de définir les résultats à atteindre, que Clausewitz appelle buts de guerre (dans lesquels il distingue les objectifs politiques et stratégiques), et le plan de guerre par lequel ces résultats seront obtenus.

Remarquablement transposé dans le réel par le grand Moltke*, l’héritage intellectuel de Clausewitz donne à l’école stratégique allemande une méthode de pensée et de raisonnement où, en dehors de tout dogmatisme et de toute « recette », l’imagination, l’initiative et le pragmatisme ont une place prépondérante. Directement ordonnée à la guerre, cette méthode reste surtout marquée par la priorité absolue du but recherché, auquel tous les moyens militaires, politiques, techniques et psychologiques sont étroitement soumis. Cela explique avec quelle facilité la stratégie allemande s’adaptera à la notion de guerre totale, développée par Ludendorff* dans le livre auquel il donnera ce nom en 1935.

Ce n’est qu’au lendemain de 1870 que la doctrine allemande est répandue en France, où elle s’affronte aux recherches de ceux qui, méditant sur la défaite, vont totalement rénover la pensée militaire française. Le maître incontestable de ceux-ci est Foch*, dont la doctrine s’exprimera d’abord par son remarquable enseignement à l’École supérieure de guerre (résumé dans ses deux livres célèbres Principes de la guerre [1903] et Conduite de la guerre [1904]) avant de s’affirmer par son prestigieux commandement à la fin de la Première Guerre mondiale. Dépouillant la stratégie du caractère totalitaire que lui imprimait l’école allemande, Foch la ramène à ses données militaires, mais sait y inclure aussi bien les forces morales, auxquelles il accorde une valeur décisive, que le facteur industriel. L’importance de ce dernier sera, avec la naissance de l’aviation et des blindés, la révélation de la Première Guerre mondiale, où le rythme des fabrications d’armement conditionnera celui des offensives.

À la stratégie, Foch assigne un but : la victoire par la bataille, qui, destinée à détruire les forces armées adverses, contraindra l’adversaire à se soumettre à la volonté de son vainqueur. Pour atteindre cet objectif, il estime qu’à la différence de la tactique étroitement liée à l’évolution technique de l’armement la stratégie doit obéir à trois principes permanents inhérents à la nature même de la guerre, qui, pour lui, reste essentiellement l’opposition de deux volontés.

Le premier de ces principes, « dont l’observation a toujours été un gage de succès et la violation une cause de défaite », consiste, pour le responsable suprême de la guerre, à avoir une volonté et à s’y tenir résolument en « montant ses forces en système » pour que toutes leurs actions concourent au même objectif. Mais cette volonté doit s’exercer malgré l’adversaire : aussi le principe de sûreté exige-t-il que les forces soient constamment mises en garde contre tout ce que l’ennemi peut entreprendre pour les détourner de l’objectif fixé par le chef. Enfin, le troisième principe, dit d’économie des forces, conduit à une judicieuse répartition des moyens et à la constitution de puissantes réserves, avec lesquelles le chef de guerre peut faire sentir son action, ce qui exige d’affecter le minimum de moyens aux entreprises secondaires et le maximum aux objectifs jugés décisifs.

Petit glossaire de la stratégie

anticités, se dit d’une mise en œuvre d’armes nucléaires stratégiques visant à atteindre un pays adverse dans ses œuvres vives que sont ses villes et ses centres économiques pour briser toute résistance de la population.

antiforces, se dit d’une mise en œuvre d’armes nucléaires stratégiques visant en priorité la destruction des moyens nucléaires d’un pays adverse pour lui interdire toute possibilité de riposte. (Sur une zone habitée, une telle stratégie n’épargnerait en fait ni les populations ni les structures économiques.)

blocus naval. V. l’article.

crédibilité, degré de certitude ressenti par un État quant à la possibilité et à la détermination d’une puissance éventuellement adverse à employer la force d’armes nucléaires (ou classiques) pour faire respecter sa politique ou son indépendance. (La crédibilité est un facteur essentiel de la dissuasion.)

défense. V. l’article.

désarmement. V. l’article.