Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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stoïciens (les) (suite)

C’est vers 300 que Zénon commence à enseigner. Vivant avec la parcimonie d’un Barbare, ne faisant pas payer son enseignement, pesant chacun de ses mots, Zénon fait plutôt penser à un prophète qu’à un rhéteur ou un dialecticien. De fait, l’essentiel du stoïcisme est une attitude que la théorie ne fait qu’étayer. Cela n’empêchera pas le stoïcisme d’être une école. Dans son histoire, on distingue traditionnellement trois périodes.

• Zénon se rattache à l’ancien stoïcisme, avec Cléanthe et Chrysippe. Cléanthe (v. 331 - v. 232 av. J.-C.) est d’abord un athlète : sa force lui permet d’exercer les travaux les plus pénibles. On l’appelle le « Puiseur d’eau » ou le « second Héraclès ». On pense que Zénon le choisit pour successeur, non pour son esprit, qui est peu vif, mais pour la fidélité avec laquelle il rapporte l’enseignement du maître, dont il est dix-neuf ans l’élève. Chrysippe (281-205 av. J.-C.) est, au contraire, un orgueilleux et savant dialecticien. Bourreau de travail, il aurait écrit, d’après Diogène Laërce, 705 ouvrages. L’essentiel de son enseignement est un dogmatisme polémique dirigé contre les subtilités de l’école de Mégare, qui, par son goût des controverses (on l’appelle l’« école éristique » : qui aime les controverses), tendait vers le scepticisme. Si grandes étaient l’assurance et la renommée de Chrysippe qu’on en vient à dire de lui : « Si les dieux font de la dialectique, ils ne se servent pas d’une autre que de celle de Chrysippe. » Avec lui, le stoïcisme prend vraiment un caractère systématique et théorique.

• On appelle moyen stoïcisme celui qui se répand à Rome grâce à Panétius (Panaitios) [v. 180 - v. 110 av. J.-C.]. Originaire de Rhodes, celui-ci apprend la philosophie à Athènes avec Antipatros de Tarse. À Rome, il devient l’ami de Scipion* Émilien, qu’il accompagne dans son voyage en Orient. Cette amitié est un symptôme significatif : les conquêtes romaines ont besoin d’une morale personnelle ; l’humanisme universaliste des stoïciens répondra à cette aspiration. C’est pourquoi, avec Panétius, le stoïcisme s’infléchit vers un humanisme de la raison, bien fait pour séduire les Romains ; Cicéron s’inspirera fortement de son traité Sur les devoirs dans les deux premiers livres du De officiis.

• Trois siècles après Zénon, enfin, avec l’apparition du christianisme et la menace barbare aux frontières de l’Empire, se développe le dernier stoïcisme, ou stoïcisme de l’époque impériale, qui aura pour représentant l’empereur Marc Aurèle lui-même.

Le stoïcisme de Sénèque* (v. 4 av. J.-C. - 65 apr. J.-C.), homme de lettres et courtisan, est une doctrine affadie et indulgente.

Épictète (v. 50 - entre 125-130) est un esclave, vendu au hasard des marchés à Épaphrodite, un affranchi de Néron. Épaphrodite le met à l’épreuve, en lui emprisonnant la jambe dans un brodequin de torture. « Tu vas me casser la jambe », l’avertit Épictète.

Épaphrodite continua...
« Je t’avais prévenu, se contenta de constater Épictète, tu viens de me la casser. »

Sa sagesse se résume en deux mots : « Abstiens-toi et supporte. » Comme celui de Socrate, son enseignement fut tout entier oral. Un de ses disciples, Arrien, a recueilli ses Entretiens, dont il ne reste que les quatre premiers livres ; de là vient le Manuel d’Épictète, que Descartes connaîtra parfaitement. C’est à l’esclave Épictète que nous devons la distinction entre les « choses qui dépendent de nous », c’est-à-dire nos mouvements, nos désirs ou nos inclinations, et celles « qui ne dépendent pas de nous », et que nous devons prendre comme elles arrivent. Cette soumission à l’ordre du monde est sous-tendue par un sentiment religieux et une confiance en la Providence qu’il est difficile de ne pas rapprocher des idées répandues par le christianisme naissant, même si Épictète, tout comme Marc Aurèle, refusa de voir les chrétiens autrement que comme des insensés.

Marc Aurèle* (121-180) perd son père de bonne heure et revêt dès douze ans le manteau des stoïciens. Ayant épousé la fille de l’empereur Antonin, Annia Galeria Faustina, il devient empereur lui-même, à la mort de celui-ci, en 161. Il reste de lui douze livres de Pensées, qu’il a écrits en grec, une sorte de journal intime et métaphysique. En fait, Marc Aurèle cherche un approfondissement du sens du devoir face à une existence éphémère et à une Providence bienveillante. « La durée de la vie humaine est un point ; la matière, un flux perpétuel ; la sensation, un phénomène obscur ; la réunion des parties du corps, une masse corruptible ; l’âme, un tourbillon ; le sort, une énigme ; la réputation, une chose sans jugement. Pour le dire en somme, du corps, tout est fleuve qui coule ; de l’âme, tout est songe et fumée ; la vie est une guerre, une halte de voyageurs ; la renommée posthume, c’est l’oubli. Qu’est-ce donc qui peut nous servir de guide ? Une chose et une seule, la philosophie. »

Mais, si la philosophie de Marc Aurèle témoigne d’une profonde inquiétude, elle s’ouvre aussi sur une sorte d’humanisme avec la notion de « citoyen du monde », à laquelle Marc Aurèle nous invite à nous confronter.

Après Marc Aurèle, il n’y a plus de grand nom de la philosophie stoïcienne, mais l’éthique en demeure vivace à travers le Moyen Âge et les Temps modernes, à tel point que toute réflexion morale ne peut se passer d’une confrontation au stoïcisme. Les stoïciens, d’ailleurs, systématisaient leur philosophie par des comparaisons où la morale était le fruit : « [...] Ils la comparent à un champ fertile : la clôture qui se trouve tout autour, c’est la logique ; le fruit, c’est la morale ; la terre ou les arbres sont la physique » (Diogène Laërce). Issu de conditions historiques précises, profondément ancré dans la pensée antique, le stoïcisme a pourtant su, par sa simplicité et son universalité, traverser les siècles.

D. C.