Sternberg (Josef von) (suite)
On le sent brisé, n’arrivant plus à retrouver son enthousiasme et son inspiration. Au service de la loi (Sergeant Madden, 1939) n’est qu’une commande, mais The Shanghai Gesture (1941) nous rend le grand réalisateur qu’on croyait perdu. Dans ce film, où il a donné à Gène Tierney le visage de Marlène et où les personnages ont tous l’air de s’agiter dans un gigantesque aquarium, le metteur en scène de Shanghai-Express réapparaît : magie blanche et noire des éclairages, pessimisme à propos de l’humanité, rapports des êtres régis par un érotisme diffus, volupté grandiose de la mise en scène et, par-dessus tout, la présence, presque le parfum de Marlène Dietrich, qui plane sur cette jungle luxuriante.
Après un film court commandé par l’United States Office of War Information (The Town, 1943-44), Sternberg réalise les premières scènes de Duel au soleil (de King Vidor, 1946), avant de devenir professeur de cinéma à l’université de Los Angeles, qu’il quitte pour New York en 1948. Il tourne en 1950 Les espions s’amusent (Jet Pilot), comédie loufoque et « antirouges » qui ne sortira qu’en 1957, puis en 1952 le Paradis des mauvais garçons (Macao, coréalisé par Nicholas Ray) et enfin en 1953 Fièvre sur Anatahan (The Saga of Anatahan, au Japon), qui rassemble tous ses thèmes. Jusqu’à sa mort, il partage son existence entre de nombreux voyages en Europe, des cours de mise en scène et la rédaction de son livre Fun in a Chinese Laundry (Souvenirs d’un montreur d’ombres, 1965).
Cinéaste de l’irréalisme poétique, influencé par le Kammerspiel, Sternberg a su, par le mélodrame, la folie décadente et le délire des passions qu’il a décrites, être le moraliste de nos désirs et de nos rêves les plus fous, dans leur complexité et dans leur violence. Il a inventé Marlène, mais il a immortalisé la Femme.
M. G.
J. von Sternberg, Fun in a Chinese Laundry (New York, 1965 ; trad. fr. Souvenirs d’un montreur d’ombres, Laffont, 1966). / H. G. Weinberg, Josef von Sternberg (Seghers, 1966).