Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Auden (Wystan Hugh) (suite)

Poète, dramaturge, compositeur, Auden est également critique littéraire, et son recueil d’essais The Dyer’s Hand (1963) révèle sa remarquable aptitude à traiter d’un sujet littéraire en le projetant sur le plan de la discussion morale et religieuse. Toujours préoccupé des problèmes philosophiques, il poursuit son approche de la vérité recherchée d’abord à travers l’influence de Marx et de Freud. Par un long cheminement au cours duquel il rencontre Kierkegaard et Niebuhr, il aboutira à l’acceptation de l’attitude chrétienne (The Sea and the Mirror, 1942-1944 ; The Age of Anxiety : A Baroque Eclogue, 1947 ; Nones, 1951 ; The Shield of Achilles, 1955 ; About the House, 1966 ; City without Walls, 1970). On ne peut pas pour autant affirmer, malgré The Epilogue (1940), qu’il soit parvenu au terme de sa quête, comme en témoigne Homage to Clio, paru en 1960. L’œuvre poétique tout entière d’Auden traduit la perpétuelle curiosité d’esprit de ce magicien du verbe, dont l’éblouissante technique est mise au service de ses thèmes favoris : l’art et la réalité, l’homme et son destin, l’inhumanité du monde moderne.

Naturalisé américain, Auden n’en demeure pas moins un écrivain spécifiquement anglais ; il s’insère dans la lignée des Dryden, des Coleridge, des Byron, et son influence sur la jeune littérature rejoint celle de Yeats ou celle d’Eliot.

D. S.-F.

 M. K. Spears, The Poetry of W. H. Auden : the Disenchanted Island (New York, 1963). / B. Everett, Auden (Londres, 1964). / J. G. Blair, The Poetic Art of W. H. Auden (Princeton, 1965).

Audiberti (Jacques)

Écrivain français (Antibes 1899 - Paris 1965).


Antibes 1912 : un enfant de treize ans dévale les rochers de la Garoupe, en criant son admiration pour les pierres, la lumière, les dieux grecs. Dans cette ville, où, au beau temps de Rome, le jeune mime Septentrion, mort à douze ans, « dansa et sut plaire », un poète est né. « Je n’ai jamais quitté Antibes... », écrira Audiberti en 1944. De fait, Antipolis, la ville de soleil et de pierre, restera au cœur de son œuvre. Images décisives de l’enfance : son grand-père maçon, qui lui raconte de vieilles histoires populaires ; son père, « plein du sel de la violence » ; les longues heures d’ennui du collège catholique ; la poésie de Hugo, dont il goûte la « plénitude artisanale et plébéienne » ; la saveur du parler provençal.

En 1930, Valery Larbaud s’enthousiasme à la lecture de son premier recueil, l’Empire et la Trappe. En 1935, Audiberti reçoit le prix Mallarmé et, deux ans plus tard, pour l’Ampélour, le prix de la Première Pièce. Déjà la Nouvelle Revue française lui a ouvert ses colonnes, mais c’est à l’écart d’un monde littéraire engagé et tapageur qu’il se livre à une ivresse de dissonances et d’harmoniques, à sa fantaisie baroque (Race des hommes, 1937 ; Des tonnes de semence, 1941 ; Rempart, 1953 ; Ange aux entrailles, 1964). Ses premiers romans mêlent l’ampleur oratoire et la verve populaire, le lyrisme attendri et le réalisme picaresque (Abraxas, 1938 ; Urujac, 1941), puis oscillent entre la dénonciation douloureuse du sordide et du grotesque quotidiens et la volonté de reconstruire un être libéré de toute hypocrisie (la Nâ, 1944 ; Monorail, 1947 ; Talent, 1947 ; Marie Dubois, 1952 ; la Poupée, 1956 ; Infanticide préconisé, 1958 ; les Tombeaux ferment mal, 1963).

Mais le poète et le romancier cèdent bientôt le pas à l’homme de théâtre. La création de Quoat-Quoat en 1946 par la compagnie du Myrmidon qu’animent André Reybaz et Catherine Toth ne marque pas seulement le commencement de l’avant-garde (l’expression est discutable), mais surtout un tournant dans la carrière d’Audiberti. En 1947, Le mal court remporte un véritable triomphe auprès d’un public limité mais enthousiaste, grâce à la mise en scène de Georges Vitaly. L’avant-garde se met en route presque aussitôt avec la Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco. On voit alors se dessiner une démarcation très nette entre ceux qui, comme Audiberti, restent fidèles à la fête du verbe poétique et ceux qui, poussant à la limite la décomposition de l’action, du personnage, du langage, opèrent une mise en question radicale des données traditionnelles du théâtre et de la condition humaine. Si Audiberti occupe une place marginale dans l’histoire du théâtre nouveau, c’est justement par sa fidélité au verbe poétique (fortement marqué par le surréalisme), et parce que, quelle que soit la nouveauté de sa dramaturgie, il ne remet pas fondamentalement en cause les bases établies de la pièce de théâtre. Une pièce d’Audiberti se présente toujours comme une action située à la limite de l’histoire et de la légende, dont le relatif hermétisme est dû à l’alchimie verbale et à la parabole, qui peu à peu l’investit et lui donne son prolongement dans la sensibilité du spectateur. Le poète, qui fait corps avec le dramaturge, tend à dominer celui-ci. Cette primauté du langage fait la richesse et la limite de ce théâtre. Nous avons parlé de fête. En effet, peu d’auteurs font naître pareille jubilation chez leurs partisans les plus chaleureux. On ne fait pas la fine bouche avec Audiberti. On le dévore avec gourmandise ou on le rejette avec dégoût, comme le public de la Comédie-Française lorsqu’on tenta de lui imposer la Fourmi dans le corps, en 1962. À la fois baroque et fantastique, ce jeu verbal d’Audiberti prend une amplitude comique et frôle la profondeur métaphysique sans le moindre soupçon de cérébralisme. Au lieu de flirter avec les idées, il fait l’amour avec les mots, et c’est là le vertige qu’il procure, souvent qualifié de dionysiaque. Alors Audiberti nous fait coïncider avec son intuition fondamentale, l’omniprésence du mal, sa force de prolifération et de transmission, l’échec de la rédemption. Le paradoxe est que cette présence du mal relie l’homme, par-delà les données historiques de la civilisation chrétienne, à une primordiale et joyeuse bestialité qui fait de l’existence une fête noire. Mais Audiberti est guetté par la surcharge et la surabondance. Encouragé par ses admirateurs, il a rarement su jusqu’où il pouvait aller trop loin. Son théâtre est par excellence un théâtre de longueurs et de redondances comme le théâtre en liberté de Victor Hugo, auquel on n’a pas manqué de le comparer. Voilà pourquoi sans doute l’intelligentsia étrangère, qui a si vite reconnu l’importance du théâtre d’Ionesco, de Beckett, de Genet, est restée longtemps réticente devant cette œuvre qui perd à la traduction l’essentiel de ses vertus. Doué d’une périlleuse facilité, las de se voir emprisonné dans les succès confidentiels du théâtre pauvre, Audiberti a consenti plusieurs fois à libérer une verve quelque peu boulevardière qui lui était naturelle pour atteindre le grand public (l’Effet Glapion, 1959 ; la Logeuse, 1960). Mais il eut la joie de voir sa plus belle pièce, la plus authentiquement profonde, Cavalier seul (1963), montée avec une intelligence rare par un animateur de la jeune génération, Marcel Maréchal. Vivre, c’est d’abord faire vivre les mots. C’est là le message ultime qu’Audiberti, dans Dimanche m’attend (1965), trace quelques jours avant sa mort : « Ma mission ? Rafraîchir par l’expression poétique le monde créé, le replonger dans son principe. Il retourne à son origine. Il repasse dans le bain initial. Poète, je crée, je renomme. »

A. S.

 M. Giroud, Audiberti (Éd. universitaires, 1967).