Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sseu-ma Ts’ien (suite)

Ce plan connaîtra une immense postérité, puisque la plupart des « Histoires dynastiques chinoises » s’y conformeront scrupuleusement. L’esprit novateur de Sima Qian se manifeste dans plusieurs domaines. D’abord, même sous l’apparence des annales impériales distinctes, Sima Qian arrive à brosser une histoire générale systématique. Mais ce sont surtout les monographies et les biographies qui portent la marque de son génie et révèlent le mieux son sens de l’histoire. Les monographies traitent de sujets qui recouvrent en fait l’histoire économique, institutionnelle, religieuse, sociale et culturelle de son époque. Elles sont intitulées Rites, Musique, Lois, Calendrier, Astrologues, Sacrifices (feng [fong] et shan [chan]), Fleuves et canaux, Économie. Ces monographies décrivent la Chine à l’époque de Sima Qian, c’est-à-dire au temps du grand empereur Wu (Wou), l’une des époques les plus riches de l’histoire chinoise. Dans les liezhuan, Sima Qian offre un panorama très varié et très vivant des divers types sociaux qui ont marqué son temps. Avec une grande largeur de vue, il présente aussi bien des personnages politiques influents que les marchands ou Confucius. Ses biographies groupées, telles celles des brigands, des rhétoriciennes, des chevaliers errants ou des rebelles, découvrent un aspect de la société généralement peu exploré des annalistes officiels. C’est dans cette catégorie que se placent aussi les monographies sur les peuples voisins, qui constituent une des rares sources anciennes à leur propos. On y trouve les Xiongnu (Hiong-nou), ces terribles cavaliers de la steppe septentrionale, les diverses tribus allogènes des montagnes du Sud, les peuples de Corée... Ce n’est donc pas à tort qu’on a pris l’habitude d’appeler Sima Qian l’« Hérodote de la Chine », puisque lui aussi s’intéresse principalement aux mœurs et aux croyances des hommes et des peuples. La méthode de l’historien consiste d’abord à chercher le plus de documents anciens possible. Lorsque ces sources divergent, Sima Qian donne souvent les diverses versions d’un même fait. Pour l’histoire ancienne surtout, son œuvre est un peu une mosaïque de citations. Pourtant, même alors, Sima Qian réfléchit aux problèmes posés justement par ces divergences et tient à donner son interprétation personnelle. Il faut admirer avec quelle discrétion, mais aussi avec quelle audace pour l’époque il parle en son nom. À la fin des chapitres, surtout des biographies, un paragraphe qui débute par « le grand historien dit » annonce l’opinion de l’auteur, qui sait souvent hausser le sujet à des considérations d’ordre général. Mais c’est surtout pour les époques récentes, à savoir la dynastie Qin (Ts’in), le début des Han et le règne de l’empereur Wu, que la contribution de Sima Qian est essentielle. L’historien fait alors œuvre personnelle, car il cherche à rétablir les faits, vérifie sur place, écoute les témoins et utilise aussi bien les sources officielles que les sources locales et même les on-dit. Sans aucun préjugé sur l’origine des sources, il ne néglige jamais de les préciser. C’est cette probité intellectuelle, jointe à l’étendue des sujets traités, qui rend le Shiji une source d’information de premier ordre. Mais le Shiji n’est pas seulement une œuvre d’historien. Sa grande valeur littéraire le met au premier rang des œuvres en prose classique : le Shiji est une des premières manifestations du réalisme dans la littérature chinoise. Sima Qian décrit avec vigueur et fougue la situation sociale et morale de ses personnages, qui prennent une vie intense. D’autant plus qu’il ne cache pas ses sympathies pour certains d’entre eux. Plusieurs biographies sont des chefs-d’œuvre de littérature narrative. Sima Qian est surtout habile dans l’art du dialogue, dans la présentation de l’enchaînement des péripéties. La rébellion de Chen Shi (Tch’en Che) contre les Qin, la lutte de Xiang Yu (Siang Yu) et de Liu Bang (Lieou Pang) pour le trône sont des épopées pleines de passion et d’émotion. La mort tragique de Xiang Yu a fait pleurer des générations de lecteurs.

Le style de Sima Qian restera toujours le modèle inaccessible des prosateurs : simplicité, noblesse, vigueur et puissance d’évocation, telles sont les qualités principales que les réformateurs des siècles postérieurs, tels Han Yu* ou Ouyang Xiu (Ngeou-yang Sieou*) chercheront à retrouver. Quant aux thèmes et aux histoires racontées dans le Shiji, on les retrouvera dans les romans, dans les œuvres des philosophes et des politiciens ainsi que dans les pièces de théâtre des siècles suivants.

D. B.-W.

 Se-ma Ts’ien, les Mémoires historiques (trad. et notes de E. Chavannes) [Leroux, 1895-1905 ; nouv. éd., A. Maisonneuve, 1967 ; 6 vol.]. / B. Watson, Ssu-ma Ch’ien, Great Historian of China (New York, 1958).

Sseu-tch’ouan

En pinyin Sichuan, province de Chine ; 569 000 km2.



Le milieu

Cette province est la plus peuplée (70 millions d’habitants) des provinces chinoises, sans doute, aussi, la plus fortement individualisée. Elle a une forte originalité physique, formée essentiellement d’un bassin aux sols rouges (le « Bassin rouge »), à peu près complètement fermé par des montagnes et bénéficiant de ce fait d’un climat d’abri. Ainsi isolée, elle a pu être, de 1937 à 1945, le réduit du gouvernement nationaliste chinois face aux Japonais. Elle a une forte originalité humaine : sa paysannerie, gaie et haute en couleurs, dispersée en grosses fermes à colombages, a mis au point une remarquable agriculture, qui a fait de la province une des plus prospères de Chine : « Tout ce qui pousse en Chine pousse au Sichuan. »

Le Sichuan est élevé : dans le relief de la Chine orientale, il est un des éléments du gradin occidental. Le Bassin rouge se tient entre 300 m au sud et 700 m au nord, mais son cadre montagneux est constitué de hautes chaînes : à l’ouest, les Alpes du Sichuan (7 590 m au Minya Konka, que précèdent des avant-monts) ; au nord, les Dabashan (Ta-pa-chan) et les Micangshan (Mi-ts’ang-chan), qui dépassent 3 000 m ; au sud, le rebord des hauts plateaux du Yunnan (Yun-nan) et du Guizhou (Kouei-tcheou) ; à l’est, enfin, les montagnes calcaires des Wushan (Wou-chan), qui isolent le Bassin rouge des plaines du Yangzijiang (Yang-tseu-kiang) et que le grand fleuve traverse en gorges. Le Bassin rouge lui-même n’est pas une plaine, mais un ensemble confus de collines, aux sommets arrondis ou même plats, plus basses à l’ouest et au sud, plus élevées au nord et à l’est, séparées par des vallées, notamment les vallées, presque parallèles et orientées nord-sud, du Minjiang (Min-kiang), du Tuojiang (T’o-kiang), du Fujiang (Fou-kiang) et du Jialingjiang (Kia-ling-kiang), affluents du Yangzijiang (Yang-tseu-kiang) [le mot Sichuan, signifie d’ailleurs « Pays des Quatre Rivières »]. Les dénivellations sont faibles, et les vallées se rétrécissent et s’encaissent à l’aval ; le Min a construit la seule plaine, celle de Chengdu (Tch’eng-tou), où les alluvions atteignent 70 m d’épaisseur.