Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Sparte ou Lacédémone (suite)

Le pouvoir est désormais aux mains des éphores — cinq surveillants élus pour un an — et il est immense : les éphores sont maîtres de l’interprétation de la loi, s’érigeant en tribunal, agissant sans contrôle dans le secret le plus absolu et faisant exécuter leurs décisions par une sorte de police ; non rééligibles, ils ne sont responsables de leur action que devant leurs successeurs, qui n’ont guère intérêt à nuire, en les mettant en accusation, aux privilèges de l’exécutif ; ils ont le droit de déposer les rois, et ce privilège leur permet de faire prévaloir de façon de plus en plus nette leur puissance ; ils imposent même aux rois (non sans difficulté d’ailleurs) leur présence à l’armée.

C’est ainsi un petit collège de magistrats qui dirige Sparte ; ce système oligarchique ne laisse au peuple guère de responsabilité dans la conduite des affaires, les élections ne parvenant pas à lui donner vraiment le pouvoir. Pourtant, cette Constitution aura le mérite de durer, car la crainte des révoltes, sans doute, réussira à masquer longtemps entre les égaux les tensions que le sens de la discipline n’empêchera pas de naître.

L’éducation des filles

L’éducation étant à son avis l’œuvre la plus importante et la plus belle du législateur, Lycurgue la prépara de loin en s’occupant tout d’abord des mariages et des naissances. Car il n’est pas exact, comme le prétend Aristote, qu’ayant entrepris d’assagir les femmes, il y ait renoncé parce qu’il ne pouvait modérer leur grande licence et leur empire sur leurs maris, qui, souvent partis en expédition, étaient contraints de leur abandonner la conduite de leurs maisons, leur témoignaient plus de déférence qu’il ne convenait et leur donnaient le titre de maîtresses : il prit d’elles, au contraire, tout le soin possible. Par son ordre, les jeunes filles s’exercèrent à la course, à la lutte, au lancement du disque et du javelot. Il voulait que la semence de l’homme fortement enracinée dans des corps robustes poussât de plus beaux germes et qu’elles-mêmes fussent assez fortes pour supporter l’enfantement et lutter avec aisance et succès contre les douleurs de l’accouchement. Écartant la mollesse d’une éducation casanière et efféminée, il n’habitua pas moins les jeunes filles que les jeunes gens à paraître nues dans les processions, à danser et à chanter lors de certaines cérémonies religieuses en présence et sous les yeux des garçons. Quelquefois même elles leur lançaient à propos des railleries lorsqu’ils avaient commis quelque faute ou, au contraire, elles faisaient dans leurs chants l’éloge de ceux qui en étaient dignes. Elles leur inspiraient ainsi un grand amour de la gloire et une grande émulation pour la vertu [...]. La nudité des jeunes filles n’avait rien de déshonnête, car la pudeur l’accompagnait et tout libertinage en était absent ; elle les habituait à la simplicité, les engageait à rivaliser de vigueur et faisait goûter à leur sexe un noble sentiment de fierté, à la pensée qu’elles n’avaient pas moins de part que les hommes à la valeur et à l’honneur. Il arrivait ainsi qu’elles disaient ou pensaient ce qu’on rapporte de Gorgo, femme de Léonidas. Comme une femme, une étrangère sans doute, lui disait : « Vous autres, Lacédémoniennes, vous êtes les seules qui commandiez aux hommes. — C’est que, répondit-elle, nous sommes les seules qui mettions au monde des hommes. » (Plutarque, Vie de Lycurgue.)

Le mariage

On se mariait à Sparte en enlevant sa femme, qui ne devait être ni trop petite ni trop jeune, mais dans la force de l’âge et de la maturité. La jeune fille enlevée était remise aux mains d’une femme appelée nympheutria, qui lui coupait les cheveux ras, l’affublait d’un habit et de chaussures d’homme, et la couchait sur une paillasse, seule et sans lumière. Le jeune marié, qui n’était pas ivre, ni amolli par les plaisirs de la table, mais qui, avec sa sobriété coutumière, avait dîné aux syssities (« repas en commun »), entrait, lui déliait la ceinture et, la prenant dans ses bras, la portait sur le lit. Après avoir passé avec elle un temps assez court, il se retirait décemment et allait, suivant son habitude, dormir en compagnie des autres jeunes gens. Et, dans la suite, il faisait toujours de même : il passait le jour et la nuit avec ses camarades et venait chez sa jeune femme à la dérobée et avec précaution ; il craignait et aurait rougi d’être aperçu par quelqu’un de la maison. De son côté, sa femme usait d’adresse et l’aidait à ménager des occasions de se réunir sans être vus. Et ce manège durait longtemps, si bien que le mari avait parfois des enfants avant d’avoir vu sa femme en plein jour. Après avoir mis dans les mariages tant de pudeur et d’ordre, Lycurgue n’eut pas moins de soin d’en bannir la jalousie, sentiment vain et qui n’a rien de viril. Il décida qu’il convenait d’écarter entièrement du mariage la violence et le désordre, et de permettre à ceux qui en étaient dignes d’avoir des enfants en commun [...]. Il était permis au mari âgé d’une jeune femme d’introduire auprès d’elle un jeune homme bien né qu’il aimait et qu’il estimait, et de lui permettre de s’unir à elle pour en avoir un enfant de sang généreux qu’il considérerait comme le sien propre. Il était permis de même à un homme de mérite, s’il admirait une femme féconde et sage mariée à un autre homme, de la lui demander, pour y semer comme dans un terrain fertile et avoir d’elle de bons enfants, nés d’un bon sang et d’une bonne race. (Plutarque, Vie de Lycurgue.)


La puissance de Sparte

Durant la fin du vie s. av. J.-C., Lacédémone impose son hégémonie à l’ensemble du Péloponnèse par ses victoires sur Tégée et ses luttes avec Argos ; elle pose ainsi les bases de la ligue Péloponnésienne, grâce à laquelle elle peut assumer à la fin du ve s. av. J.-C. l’hégémonie sur toute la Grèce.