Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Soutine (Chaïm) (suite)

En 1925, il peint à Paris sa célèbre série de bœufs écorchés, inspirés de Rembrandt, dont plusieurs versions sont conservées dans les musées de Buffalo, d’Amsterdam, de Grenoble, de Paris... Dans une production qui a ses faiblesses à côté des temps forts, il s’attache à d’autres séries, car il aime à développer les variantes d’un même thème pour en épuiser toutes les possibilités. À côté de celle des pâtissiers (1922-1928 : le Petit Pâtissier, v. 1922, musées nationaux, collection Jean Walter-Paul Guillaume), voici celle des volailles et des poulets plumés (1925-26), celle des grooms (1927-1933 : le Chasseur de chez Maxim, 1927, Albright Art Gallery, Buffalo), celle des enfants de chœur, d’autres portraits moins anonymes, d’autres paysages et le bestiaire rustique des années 1934-1940. Pendant la guerre, l’artiste, juif, se réfugie en Touraine, à Champigny-sur-Veude. Atteint d’un ulcère à l’estomac, il meurt après avoir été opéré, trop tard, à Paris.

Sa renommée resta longtemps limitée à un petit cercle de marchands et de collectionneurs, car il ne cherchait pas à exposer et fuyait les honneurs officiels. Une exposition a bien lieu en 1927 à Paris (galerie Bing), mais il faut attendre 1935 pour que Soutine consente à être présenté à Chicago (Arts Club), puis à Londres en 1937 (Leicester Galleries), et enfin, peu avant sa disparition, dans différentes galeries de New York. D’importantes rétrospectives lui ont été consacrées depuis : à New York (1950), à Londres (1963), à Los Angeles (1968), à Paris (1959 et 1973).

Ch. G.

 E. Faure, Soutine (Éd. Crès, 1930). / M. Castaing et J. Leymarie, Soutine (Bibliothèque des Arts, 1964). / P. Courthion, Soutine (Edita, Lausanne, et Denoël, 1972). / Mlle Garde, Mes années avec Soutine (Denoël, 1973).

Sou Tong-p’o

En pinyin Su Dongpo, appelé aussi Sou Che (Su Shi), lettré chinois confucéen (au Sichuan [Sseu-tch’ouan] 1036 - ? 1101).


Le plus grand et le plus brillant des écrivains de la dynastie des Song du Nord est né au Sichuan dans une famille de fonctionnaires. Il fait des études classiques et passe avec son jeune frère, également poète de talent, les examens de doctorat. Le président du jury était l’homme politique et l’homme de lettres Ouyang Xiu (Ngeou-yang Sieou, 1007-1072) qui remarqua le jeune homme et se l’attacha. Dorénavant, Su Dongpo le considérera comme son maître aussi bien sur le plan politique que sur le plan littéraire. En cette époque de paix et de prospérité, la vie politique est dominée par les luttes farouches entre le parti réformateur, dirigé par Wang Anshi (Wang Ngan-che), et le parti conservateur, auquel appartiennent Su Dongpo et son maître. Tant que le parti adverse est au pouvoir, le jeune poète est mis à l’écart dans des postes de province. Pour une réflexion malheureuse contre la réforme des programmes d’examens, il connaît la prison, évite la peine de mort et part en exil à Hangzhou (Hang-tcheou). Pendant cinq années d’inactivité politique, il est d’une grande prolixité littéraire et artistique. Ayant acquis un petit domaine appelé Dongpo, il prend ce nom pour signer ses œuvres. En 1085, le nouvel empereur appelle le parti conservateur au pouvoir. Su Dongpo monte à la capitale, Bianzhou (l’actuelle Kaifeng [K’ai-fong]), où il joue un rôle important comme chef politique. Mais il n’apprécie pas les obligations que cela entraîne et se fait nommer préfet de Hangzhou, la ville la plus agréable de l’époque. Il y partage son existence entre ses devoirs d’administrateur et la vie aisée et charmante des milieux riches et cultivés : réunions littéraires, promenades en montagne, parties de barque sur le lac de l’Ouest... Mais la roue de la fortune tourne et le conduit de nouveau en exil, à Canton, pour sept ans. Il meurt sur le chemin du retour.

De tempérament enjoué et facile, Su Dongpo prend toujours la vie du bon côté. Même pendant ses années d’exil, il chante son éloignement avec moins d’amertume que ne le faisaient ses prédécesseurs. Où que ce soit, dans quelques conditions que ce soit, il ne se laisse jamais aller au désespoir, qui fait la toile de fond de la littérature chinoise. Il est vrai que la fortune l’a gâté : ses talents sont nombreux, et, dans tous les arts qu’il pratique, son style est aisé, coulant, plein de charme et d’élégance naturelle. Sa calligraphie a fait école ; ses peintures à l’encre de Chine et spécialement ses bambous sont célèbres ; Su Dongpo était passé maître dans l’art du thé, appréciait les belles antiquités et se livrait avec ferveur à la méditation zen. En tant que prosateur, il relance avec Ouyang Xiu le mouvement de la Prose antique : retour à la simplicité du langage des Anciens, surtout retour à la composition libre et naturelle, et retour à l’expression d’idées politiques, philosophiques ou sociales par l’intermédiaire de la littérature. Ses courts essais en prose sont admirés pour leur concision habillée de poésie et l’art de présenter d’un air de rien ses opinions personnelles. Les deux Fu de la falaise rouge (Chibi fu [Tch’e-pi-fou]) entremêlent les émouvantes descriptions de paysages aux conceptions du temps, de la mort et de la gloire. Le même thème, c’est-à-dire cette rive du Yangzi (Yang-tseu), où se déroula une des grandes batailles de l’Antiquité, inspire également l’un des plus connus de ses 2 700 poèmes. C’est un ci (ts’eu), sur l’air de « la belle esclave » :
« Les roches en désordre percent le ciel,
Les vagues effrayantes battent les rives,
Roulant mille monceaux neigeux...
Éventail de plume, coiffe de soie,
Sans qu’il cesse de rire et de parler,
La flotte de ses ennemis vole en éclats et se réduit en fumée... »

Su Dongpo a également écrit de nombreux poèmes réguliers, dont celui-ci composé en prison :
« Le saint empereur, comme le ciel, est le printemps des choses.
L’humble fonctionnaire par sa bêtise et ignorance, a gâché lui-même sa vie.
Avant que ces cent années ne soient accomplies, il doit payer ses dettes... »

Mais ses préférences vont le plus souvent à chanter la vie dans ce qu’elle a de meilleur :
« Le clair de lune, combien de fois reviendra-t-il ?
Levant ma coupe de vin, j’interroge l’azur. »

D. B.-W.