Peintre français (Rodez 1919).
De son Rouergue natal, il a retenu « les grands plateaux déserts, les arbres dénudés », mais aussi et surtout les pierres gravées celtiques du musée Fenaille de Rodez, la pénombre rayée de lumière de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques. À dix-huit ans, il découvre à Paris les peintures du Louvre (notamment la Bataille d’Uccello) en même temps que l’art moderne de Cézanne à Picasso. De l’art contemporain, il apprendra la liberté de l’abstraction et la force du geste, mais, même s’il rencontre en 1957 aux États-Unis les peintres de l’action painting, puis en 1958 au Japon des calligraphes, « non seulement il ne partage en rien leur dévotion, leur superstition, d’un acte dont la rapidité est cause et gage de l’intérêt », mais il n’avance jamais « que d’un pas à la fois, en prenant appui sur ce qu’il vient de faire pour accomplir ce qu’il va faire » et en comptant « tout à la fois sur l’instinct et sur la science d’une technique bien possédée » (Bernard Dorival, catalogue de la rétrospective Soulages au musée national d’Art moderne, Paris, 1967). Lorsqu’il décide de se consacrer entièrement à la peinture, en 1946, il s’attache à explorer, dans des toiles abstraites aux traces noires ou brunes sur fond blanc, « les relations entre les formes, les couleurs, le fond, les matières — comment tout cela se met à vivre, à créer l’espace, la lumière — hors des références à un modèle ». C’est cette conception du travail pictural qui assure la cohérence de ses tableaux et l’unité de son œuvre, de même que c’est la recherche de l’expression la plus forte qui guide ses choix techniques : une palette réduite où le noir, privilégié, trouve son intensité et sa violence dans ses rapports au blanc ou aux rares couleurs. Cette cohérence et cette unité, on les retrouve dans les différentes phases de son évolution.
Dès 1947, Soulages dénie tout « caractère anecdotique et expressionniste », toute « durée » à la ligne, au profit d’un signe dynamique à appréhender d’un seul coup (Peinture, 1948-1, musée national d’Art moderne).
À partir de 1950, abordant les effets de clair-obscur (Peinture, 26 décembre 1955, Hamburger Kunsthalle, Hambourg), il accentue, par des coups de brosse répétés et juxtaposés, sa recherche du rythme (Peinture, 16 décembre 1959, musée d’Art moderne de la Ville de Paris).
En 1959, il entame une série de toiles où, après avoir étalé plusieurs couches d’empâtements, il fait apparaître par raclage les couches inférieures et dégage, en balafres croisées, des zones parfois rouges, bleues, brunes ou vertes.
À partir de 1963, les contrastes d’ombre et de lumières se font moins dramatiques et plus essentiellement picturaux. Les grandes compositions noires et massives (Peinture, 5 février 1964, musée d’Art contemporain, Montréal) sont parfois illuminées, vers la fin des années 60, par des lueurs nuancées ou, au contraire, fulgurantes (Peinture, 14 mai 1968, centre national d’Art contemporain, Paris).
Depuis 1970, poursuivant la même démarche, le peintre a encore clarifié ses compositions : grands signes rythmiques noirs, masses verticales noires sur fond brun, noires ou bleues sur fond blanc gagnent en force et en austérité. Mais toujours demeurent, dans les peintures comme dans les lithographies, les eaux-fortes ou les cartons de tapisseries, la même atmosphère pénétrante et mystérieuse, la même monumentalité, la même dialectique de la spontanéité et de la construction.
À l’équilibre et à la sobriété, au goût de l’unité et au besoin de réserve, qui appellent la notion de « classicisme », répond chez Soulages la modernité de son intense désir de peindre, comme de son besoin d’apprendre, au fur et à mesure de l’œuvre, ce qu’il cherche.
F. D.
H. Juin, Soulages (Falaize et G. Fall, 1957). / J. J. Sweeney, Soulages (Ides et Calendes, Neuchâtel, 1972). / Soulages, Eaux-Fortes, lithographies, 1952-1973 (Yves Rivière, 1974).