Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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sociologie (suite)

Enfin, il faudrait peut-être ajouter au nombre des fondateurs de la sociologie, dans une période un peu plus récente, Georges Gurvitch*, qui a insisté sur la nécessité d’allier la théorie et la recherche empirique, de concilier le déterminisme social avec la liberté humaine et qui a surtout affiné et classé les concepts sociologiques en multipliant les distinctions typologiques pour saisir sous tous ses aspects une totalité complexe, étagée selon des paliers en profondeur et perméable à la dialectique.

Telle qu’elle est sortie de l’œuvre de ces précurseurs, de ces pionniers, de ces fondateurs, marquée tout particulièrement par le désir qu’avait Durkheim de l’ériger comme science et par le souci qu’avait Max Weber de respecter la singularité du phénomène humain, la sociologie, travaillée par des courants souvent divergents, écartelée entre des spécialisations de plus en plus nombreuses, sollicitée par des arrière-pensées systématiquement critiques ou justificatrices de la société existante, poursuit l’accomplissement d’une vocation multiple ; tout en cherchant encore sa voie, elle a suffisamment démontré sa nécessité pour s’imposer maintenant comme l’un des éléments indispensables de toute culture moderne.

J. C.

 É. Durkheim, De la division du travail social (Alcan, 1893 ; nouv. éd., P. U. F., 1967) ; le Suicide (Alcan, 1897 ; nouv. éd., P. U. F., 1967) ; les Formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie (Alcan, 1912 ; nouv. éd., P. U. F., 1960). / G. Davy, la Foi jurée (Alcan, 1922). / M. Weber, Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre (Tubingen, 1922, 2e éd., 1951 ; trad. fr. partielle Essais sur la théorie de la science, Plon, 1965). / G. Gurvitch, la Vocation actuelle de la sociologie (P. U. F., 1949 ; nouv. éd., 1960-1963, 2 vol.). / G. Gurvitch (sous la dir. de), Traité de sociologie, t. I (P. U. F., 1958). / H. Lefebvre, Sociologie de Marx (P. U. F., 1966). / M. Mauss, Sociologie et anthropologie (P. U. F., 1950 ; nouv. éd., 1966). / G. Perrin, Sociologie de Pareto (P. U. F., 1966). / R. Aron, les Étapes de la pensée sociologique (Gallimard, 1967). / J. Cazeneuve, la Sociologie de Marcel Mauss (P. U. F., 1968). / P. Arnaud, Sociologie de Comte (P. U. F., 1969). / Encyclopédie de la sociologie (Larousse, 1975).


La sociologie et les sociologies

Les initiateurs de la sociologie caressaient l’espoir de dégager les lois les plus générales, celles de l’ordre collectif aussi bien que celles de l’évolution historique. Auguste Comte, Karl Marx, Max Weber, Émile Durkheim et Vilfredo Pareto ont nourri la même ambition, alors même qu’ils conféraient à l’aventure humaine des significations différentes, sinon opposées. À tout le moins s’accordaient-ils pour reconnaître à la sociologie une vocation de synthèse, malgré leurs dissensions à propos de l’objectivité et des mérites de l’analyse.

Aujourd’hui, la pensée sociologique reste dominée par la tradition qu’ils ont ouverte. Les inquiétudes, les obsessions et les problèmes demeurent identiques. À cet égard, le regard du sociologue ne se confond ni avec celui de l’historien, ni avec celui du philosophe.

Il reste que la sociologie est confrontée à un double défi. Le premier occupe depuis longtemps le devant de la scène. Les procédures de la sociologie sont très diverses, et aucune ne s’est imposée de façon indiscutée. Chacune paraît solidaire d’une certaine image à la fois de la société et de la place qu’y occupent ses membres. La question surgit alors de savoir ce qu’il reste de commun entre une sociologie à base d’enquêtes, interrogatrice de l’opinion, et celle, non moins importante, qui est soucieuse d’établir un diagnostic global sur la société et capable de laisser entrevoir son devenir.

Le second défi, au moins aussi important que le précédent, résulte de l’actuelle division de la discipline. Aujourd’hui vouée à l’analyse autant qu’à la synthèse, la sociologie a éclaté en un grand nombre de secteurs très différents les uns des autres. Au demeurant, la liste des questions qui lui sont posées ne cesse de s’allonger. Elle paraît d’autant plus inépuisable que, le plus souvent, on suppose la sociologie capable de combler les vides laissés par l’ignorance ou l’incompétence d’autres disciplines comme la démographie, l’économie politique et même l’histoire.

Ainsi, la sociologie peut faire aujourd’hui songer à l’image du manteau d’Arlequin. Elle est écartelée entre l’idéal d’objectivité, que symbolisent les enquêtes par sondages, et l’ambition de prophétiser, qui transfigure le savant en nouveau devin. Quelles sont les caractéristiques communes à ces multiples recherches qui, faute de mieux parfois, se disent sociologiques ?


Les divisions de la sociologie

Les faits sociaux s’inscrivent dans des cadres plus ou moins larges ; les types d’analyse choisis pour les appréhender sont divers ; enfin, les questions soulevées par le sociologue définissent un certain nombre de grandes orientations. Cette diversité des cadres, des procédures et des questions soulevées permet de dégager les principaux critères autorisant la classification des recherches sociologiques contemporaines.

La classification par le cadre du fait social observé fait apparaître, selon Raymond Boudon, trois catégories principales de recherches. Dans une première catégorie, on trouve par exemple l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, de Max Weber, aussi bien que De l’esprit des lois, de Montesquieu. Dans le cadre de la société globale considérée dans son ensemble, l’un et l’autre se hasardent à expliquer la cohésion d’un cadre social ainsi que les mécanismes de son changement permanent. Une deuxième catégorie se donne pour cadre ce que le sociologue français appelle des « segments sociaux ». Ainsi, par exemple, l’étude par sondage des comportements électoraux. En ce cas, l’attention du chercheur se concentre sur les attitudes individuelles face à certaines questions sociales. Enfin, une dernière catégorie de recherches choisit pour cadre des unités sociales « naturelles » telles que la famille, le village, une administration publique ou une entreprise privée. Chacune de ces collectivités est justiciable d’une observation scrupuleuse où se mêlent les entretiens, l’analyse de documents, le contact avec la l’expérience vécue des principaux acteurs sociaux.