Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

société (suite)

Quatre types de société

Société de consommation ou société de l’opulence

Le niveau élevé de développement et de croissance économique dans les sociétés industrielles contemporaines les plus avancées met au premier plan la surabondance des biens produits. Il en résulte une nécessité d’organiser le gaspillage et la surconsommation. Ce que note Vance Packard (l’Art du gaspillage) : « Les Américains doivent apprendre à consommer de plus en plus ou bien leur magnifique machine économique se retournera et les dévorera. » Et J. Kenneth Galbraith (The Affluent Society) écrit : « Au fur et à mesure que l’abondance augmente dans une société, de nouveaux besoins sont sans cesse créés par le processus même qui les satisfait. » (V. consommation.)

Société industrielle

C’est un type social construit à partir des points communs aux sociétés américaine, européenne, soviétique et des différences qu’elles ont ensemble avec les sociétés du tiers monde. Quatre grands traits (selon Raymond Aron*) : l’activité productrice extérieure au cadre familial, la concentration de la main-d’œuvre, l’accumulation du capital et l’orientation vers la croissance, le calcul économique rationnel. (V. industrialisation.)

Société des loisirs ou civilisation des loisirs

Le progrès technique entraîne la diminution des heures de travail (différence radicale avec la société industrielle naissante, qui connaissait des semaines de travail ouvrier de 80 heures). À cela s’ajoutent l’élévation du niveau culturel général et le développement de la consommation. Il en résulte une civilisation du loisir avec l’apparition d’un commerce des loisirs de masse et avec les problèmes qui résultent de la mutation psychologique énorme qu’implique pour l’humanité de ne plus voir dans le travail la fin suprême. (V. loisirs.)

Société de masse

Elle résulte du développement des techniques nouvelles de communication* (mass media) : radio, cinéma, télévision, etc. L’individu y est supposé bombardé par les messages et les images des mass media, soumis aux agressions de la publicité et de la propagande et, de ce fait, ouvert à tous les totalitarismes et à toutes les manipulations. C’est là une analyse liée aux débuts de la civilisation des media électroniques. Aujourd’hui, on sait que l’action des media n’est pas cet impérialisme et ce viol des foules dont on lui prêtait le rôle. (V. culture de masse.)


De la philosophie à la sociologie

Le concept de totalité tel qu’il s’exprime dans la notion de société n’est pas un concept neuf, forgé par la sociologie. Il a un passé et on ne peut pas ne pas voir la parenté de fonction qu’il a dans le discours sociologique et dans le discours philosophique hégélien.

Philosophe de l’histoire, Hegel* est sensible à la spécificité de chaque figure historique. « Monde grec », « monde romain », etc., chaque moment du devenir se présente comme une totalité cohérente dans laquelle chacun des niveaux « exprime » en son lieu et en sa forme le même sens que tous les autres niveaux, le sens du tout. Économie, politique, religion, art, philosophie sont en correspondance réciproque et manifestent l’esprit d’un peuple, la « vérité » d’un type de société. Ajoutons que, dans la mesure où chaque « monde » est une étape dans le parcours de l’esprit devenant conscient de soi, c’est-à-dire (si on nous accorde la transposition anthropologique) de l’humanité réalisant sa réconciliation avec elle-même, le mode de totalisation hégélien fonctionnera à deux degrés : en premier lieu, une totalisation des différents niveaux homogènes les uns aux autres dans le tout d’une figure historique ; en second lieu, une totalisation des diverses figures historiques dans une Grande Histoire qui révèle son sens à la fin. Or, il est difficile de ne pas voir que les totalisations auxquelles procède le sociologue sont passibles de la même analyse.

On pourrait objecter que le sociologue, lorsqu’il parle de la société globale, souligne le décalage que les différents champs phénoménaux entretiennent les uns par rapport aux autres du fait même que d’anciennes formes, tributaires de la société d’hier, coexistent avec les formes nouvelles. Mais, à la vérité, jamais le modèle construit pour rendre intelligible le social ne prend en charge ces décalages, réduits à n’être pas signifiants, fonctionnant comme des résidus, des impuretés du devenir historique et manifestant au mieux la distance inévitable qu’il y a entre l’appareil conceptuel et un réel empirique plus « embrouillé », ou plutôt plus brouillé.

L’évolution des recherches historiques contemporaines (en particulier celles de Fernand Braudel) indique d’autres perspectives méthodologiques. Il s’agit d’organiser la matière historico-sociale en séries ayant leur temps propre, des points de rupture et de mutation spécifiques, car « il n’y a pas un temps social d’une seule et simple coulée mais des temps sociaux à mille vitesses, à mille lenteurs qui n’ont presque rien à voir avec le temps journalistique de la chronique et de l’histoire traditionnelle ». Et Braudel distinguera, dans son analyse du monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, une histoire quasi immobile (celle de l’homme dans ses rapports avec le milieu), une histoire lentement rythmée (celle des groupes et des groupements) et enfin une histoire événementielle (« à la dimension non de l’homme mais de l’individu »).

Mais le sociologue peut-il renoncer à la construction de modèles rendant compte du mode selon lequel les séries s’organisent en totalités ? Peut-il renoncer à définir des types de société et à en faire la théorie ? Deux voies semblent mériter d’être retenues. En premier lieu, une voie proprement historique, renonçant à une typologie, posera qu’il ne peut y avoir de théorie générale des sociétés, mais seulement l’analyse de réalités individualisées hic et nunc (par exemple la société française contemporaine), c’est-à-dire l’analyse du mode particulier d’imbrication et d’articulation, à un moment donné, de séries sociales à historicités différentes. En second lieu, une voie plus sociologique, ayant à expliquer le vécu des agents sociaux — lesquels unifient leurs différentes pratiques en les rapportant à un champ unique, leur société —, y verra un effet de l’imaginaire social.