Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Snorri Sturluson ou Snorre Sturlasson (suite)

C’est aussi à cette époque que Snorri rédige ce que l’on pourrait appeler son manuel de poésie scaldique : l’Edda. La première partie, la Gylfaginning, nous enseigne tout ce qu’un scalde doit connaître de la mythologie nordique, qui tend déjà à disparaître. La seconde partie, intitulée Skáldskaparmál, se propose de définir, à l’aide de nombreux exemples, les termes techniques propres à cette forme de poésie : notamment les « kenning », expressions poétiques et figurées dont les scaldes usent et parfois abusent pour désigner les objets les plus simples. Dans une troisième partie, l’auteur commente le Háttatal, qu’il utilise comme exemple, étant donné que chaque strophe de ce poème est en mètres différents. Snorri échoue dans son intention de faire revivre la poésie scaldique, mais grâce à son Edda nous sont parvenus mythes et légendes qui seraient sans cela restés voués à l’oubli.

Il est probable que Skúli, entre autres, l’a incité à écrire la biographie des rois norvégiens. Snorri compose tout d’abord une Saga de saint Olav ; il s’appuie sur les récits antérieurs et les traditions orales, mais il reconstruit le passé selon une interprétation personnelle et sûre. Le résultat est une œuvre structurée et riche qui concilie naturellement les deux aspects du roi Olav : le guerrier ambitieux et le saint.

Par la suite, Snorri insère cette longue saga parmi celles de son Histoire des rois de Norvège, que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de Heimskringla, d’après les deux premiers mots de l’œuvre : « kringla heimsins » (le cercle du monde). Il suit le cours de l’histoire norvégienne, remontant aux temps mythiques et à la dynastie des Ynglings (Ynglinga saga), puis retraçant l’histoire de tous les souverains, de Halfdan le Noir († v. 880) à Magnus V Erlingsson. Le récit prend fin en 1177, avant que s’engage vraiment la lutte entre Magnus et celui qui lui succédera, Sverre.

Snorri rédige ses sagas avec le plus grand soin, ménage l’intérêt du récit, qui culmine en scènes dramatiques, caractérise en quelques traits un personnage ou une situation. Il a surtout un sens critique remarquable, il sait non seulement estimer la valeur historique des vieilles strophes scaldiques — c’est ce qu’il explique lui-même, en nommant ses sources, dans le prologue de la Heimskringla —, mais possède aussi le don de s’en servir pour compléter et au besoin corriger d’autres sources. C’est ainsi qu’il opère un vaste tri dans la matière dont il dispose pour écrire la Saga d’Olav Tryggvesson. Ce qui ne signifie pas pour autant que les sagas soient entièrement historiques : on y trouve aussi une part de légende, comme par exemple dans la Saga d’Harald Hårfager.

On peut aussi vraisemblablement attribuer à Snorri la Saga d’Egill, dont le héros, Egill Skallagrímsson, compte parmi les meilleurs scaldes islandais et mène la vie d’un Viking du xe s. La charnière du récit est l’inimitié entre Egill et Erik « à la hache ensanglantée », fruit des hostilités entre le roi Harald Hårfager et les chefs norvégiens de la génération précédente.

En 1237, Snorri repart en Norvège, où il séjourne jusqu’en 1239, en compagnie de Skúli. Or, le roi Haakon, qui n’a plus confiance en Snorri, lui interdit de retourner en Islande. Celui-ci ne tient pas compte de l’ordre du roi, qui commande alors à Gissur Þórvaldsson de le capturer ou de le tuer. Dans la nuit du 22 au 23 septembre 1241, Snorri est assassiné dans sa cave à Reykjaholt. Si la Sturlunga saga retrace sa carrière politique, l’œuvre qu’il nous laisse témoigne de ses talents de conteur et de ses dons d’historien.

J. R.

➙ Edda / Saga.

 G. Storm, Snorri Sturluson historien, étude critique (en danois, Copenhague, 1873). / S. J. Nordal, Snorri Sturluson (en danois, Copenhague, 1920). / F. Paasche, Snorri Sturluson et les Sturlunga (en norvégien, Oslo, 1922).

Soane (sir John)

Architecte anglais (Goring-on-Thames 1753 - Londres 1837).


Il est, avec John Nash* — en dépit de l’opposition de leur caractère et de leur art —, la figure dominante du néo-classicisme anglais. Autant Nash est compréhensif, porté à traiter des volumes enveloppants en un style très éclectique, autant son contemporain semble anxieux, particulariste et réserve le meilleur d’un art très personnel aux espaces intérieurs.

Fils d’un constructeur du Berkshire et entré à quinze ans chez George Dance le Jeune (1741-1825), Soane resta quatre années chez ce révolutionnaire avant de perfectionner sa technique chez Henry Holland (1745-1806), tout en suivant les conférences de la Royal Academy (où un projet de pont lui vaudra une médaille d’or en 1776). Une bourse de voyage, obtenue grâce à William Chambers*, va lui permettre de connaître à son tour l’Italie, le cinquecento, Piranèse*, le Français Joseph Peyre et les ouvrages de l’abbé Marc Antoine Laugier (v. classicisme).

Ses premières œuvres, des demeures qui montrent une riche imagination, dénotent déjà un esprit inquiet. Le cas de Tyringham house (Berkshire) [1793-1796] est typique : c’était un « objet » posé sur le sol avant que d’autres en aient assuré plus tard l’assiette par des balustrades et équilibré les masses par un dôme.

À la mort de Robert Taylor (1714-1788), Soane lui succède à la Banque d’Angleterre. Trente années de travaux vont lui permettre de donner son caractère à ce vaste ensemble (détruit en 1925-1927). Dans ses façades, il exploite avec bonheur des thèmes connus ; ainsi, en 1804, « Tivoli », l’angle nord-est, est traité en « avancée circulaire ». Mais, pour les intérieurs, la nécessité d’un éclairage zénithal lui fournit le moyen d’obtenir des espaces solides et pleins, selon un purisme abstrait et inerte dont il usera en d’autres occasions avec une maîtrise sans égale.

Encore faut-il noter les influences : celle des Adam* (Pitshanger manor, à Ealing, en 1802, reprend la partie centrale de Kedleston hall) et celle de John Vanbrugh*, particulièrement nette à la galerie d’art du Dulwich college, près de Londres (1811-1814). Il en est d’autres plus diffuses, nées d’une recherche historique approfondie dans le cadre de l’enseignement confié en 1806 à Soane par la Royal Academy. Elles se traduisent par un primitivisme voulu, mais non dogmatique, car il emprunte autant aux Romains qu’à la Grèce. Apparaît aussi le goût du pittoresque dans une démarche gothicisante (bibliothèque du duc de Buckingham, à Stowe house [Buckingham], 1805), démarche commune aux contemporains, John Nash ou Robert Smirke (1781-1867).