Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sluter (Claus) (suite)

À partir de 1395, Sluter travaille au calvaire du grand cloître de Champmol, plus connu sous le nom de puits de Moïse. Le Christ en croix, conservé en partie au musée archéologique de Dijon, est son œuvre. L’ensemble du socle hexagonal, avec six statues de prophètes et précurseurs du Christ, Moïse, David, Jérémie, Zacharie, Daniel et Isaïe, et six anges, a été conçu par lui, mais une grande part dut être exécutée par Claus de Werve, car les sculptures n’ont pas été terminées avant 1406. La puissance qui se dégage de la figure de Moïse, la grandeur tragique de son visage ont fini par donner son célèbre surnom à cet ensemble dressé au milieu d’une citerne.

Sluter a enfin participé au tombeau de Philippe le Hardi, déposé au musée des Beaux-Arts de Dijon. Entrepris par Jean de Marville, cet ouvrage fut repris par Sluter, abandonné, puis achevé par Claus de Werve après la mort de Philippe le Hardi. La part de Sluter se devine dans la disposition des pleurants, placés dans les arcades du socle, mais indépendants de ce cadre architectural. Deux d’entre eux sont certainement de sa main, la plupart des autres ont dû être dessinés par lui. Comme dans le portail de Champmol et dans le puits de Moïse, le réalisme dramatique des attitudes, le caractère accentué des expressions, qui devaient influencer et renouveler tout l’art gothique du xve s., s’y affirment avec une magistrale vigueur.

A. P.

 A. Liebrich, Recherches sur Claus Sluter (Dietrich, Bruxelles, 1936). / G. Trœscher, Die burgundische Plastik des ausgehenden Mittelalters und ihre Wirkungen auf die europäische Kunst (Francfort, 1940). / H. David, Claus Sluter (Tisné, 1951).

Smetana (Bedřich)

Compositeur tchèque (Litomyšl 1824 - Prague 1884).


Bedřich Smetana est le père fondateur de l’école nationale tchèque, le premier en date des quatre grands « classiques » de cette école (les trois autres étant Dvořák*, Janáček* et Martinů*).

Issu d’un milieu aisé (son père était brasseur du château de Litomyšl), il put bénéficier d’une éducation musicale lui permettant de déployer très vite ses dons : à huit ans, il composa une polka, et deux ans plus tard il se fixa à Prague pour y poursuivre ses études. Prague était encore tout imprégnée du souvenir de Mozart, dont l’œuvre lyrique, en particulier, demeura toujours l’une des sources essentielles de l’art de Smetana. Celui-ci, progressiste ouvert aux idées nouvelles et fervent patriote, prit parti lors des événements de 1848, mais la répression qui suivit, étouffant les aspirations nationales, le plongea dans un découragement tel qu’il décida de s’exiler en Suède, où, de 1856 à 1861, il dirigea une société de musique (Harmoniska Sällskapet) à Göteborg. À cette époque, il fit également la connaissance de Liszt, dont l’influence, de pair avec celle de Berlioz (rencontré à Prague en 1846), fut déterminante pour la formation de son style de maturité. En 1861, les milieux libéraux reprenant l’initiative, il rentra définitivement à Prague, dont il organisa dès lors la vie musicale dans un sens répondant à son idéal : culture nationale ouverte et accessible aux couches populaires.

Les premiers grands triomphes de Smetana se situent en 1866, avec les représentations des Brandebourgeois en Bohême, opéra historique, et surtout de la Fiancée vendue, opéra-comique qui établissait la musique nationale sur des bases inébranlables et lui valut rapidement une gloire internationale.

À la suite de ces succès, on lui confia la direction du Théâtre national, logé encore à cette époque dans des locaux provisoires. Mais des oppositions ne tardèrent pas à s’élever dans les milieux conservateurs, la jalousie professionnelle s’ajoutant aux objections politiques, et son troisième ouvrage lyrique, Dalibor, fut aprement discuté et taxé de wagnérisme. Devant la dureté des luttes qu’il devait mener, sa santé s’effondra, ses nerfs craquèrent et, catastrophe suprême, il devint sourd en octobre 1874. Tout en continuant à assurer ses fonctions, il se replia alors dans la musique de chambre (quatuor De ma vie), puis entreprit son grand cycle de poèmes symphoniques d’inspiration nationale, Ma patrie, achevé en 1879. Devant l’aggravation de son état de santé, il dut finalement se retirer de la vie publique, tout en continuant à composer.

Il connut un dernier triomphe public lors de la création de son opéra Libuše, terminé depuis 1872 mais tenu en réserve pour l’inauguration du Théâtre national, en 1881. Au début de 1884, sa raison sombra, et il passa ses dernières semaines dans une maison de santé.

Par la perfection de la facture, le goût de la concision, de la clarté et de la précision du trait, Smetana est un pur classique mozartien. Mais c’est aussi un novateur audacieux, harmoniste hardi, s’inspirant des conquêtes formelles et instrumentales d’un Berlioz et d’un Liszt. S’il n’a pas abordé les grandes formes symphoniques, ni l’oratorio ou la musique sacrée, si sa musique de chambre est restreinte en nombre (son cadet Dvořák fécondera tous ces sillons-là), Smetana vit avant tout par ses huit opéras, qui vont de la comédie paysanne à l’épopée mythologique. Par de tout autres moyens, Libuše atteint à la souveraine grandeur des Nibelungen. Deuxième domaine : le poème symphonique, que domine le monument de Ma patrie.

On citera ensuite une abondante production pianistique, de très belle qualité (il était virtuose lui-même) : les derniers cahiers de Danses tchèques avec les polkas, qui sont à la Bohême ce que les mazurkas et polonaises de Chopin sont à la Pologne. En dehors des quelques admirables pages de musique de chambre, d’essence autobiographique, on citera encore de très beaux chœurs d’hommes. À l’exception de la Moldau (Vltava), deuxième partie de Ma patrie, et de l’éblouissante ouverture de la Fiancée vendue, toute cette production est malheureusement méconnue en France.