Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Sieyès (Emmanuel Joseph)

Homme politique français (Fréjus 1748 - Paris 1836).


Issu d’un milieu de bonne bourgeoisie provençale (son père est directeur des Postes), ce cadet de famille est destiné à la prêtrise, sans vocation aucune, peut-être en raison d’une santé délicate..., qui ne l’empêchera pas de vivre jusqu’à quatre-vingt-huit ans. Après des études à Fréjus, puis à Draguignan, il est admis successivement aux séminaires de Saint-Sulpice et de Saint-Firmin, d’où il sortira en 1772, une fois ordonné prêtre. Après quelques années passées à l’évêché de Tréguier, il suit à Chartres son évêque, M. de Lubersac, et reçoit les fonctions de vicaire général. On le voit cependant souvent à Paris, où il fréquente les clubs, les loges maçonniques, les « salons philosophiques » de Mmes de Condorcet, Helvétius, Necker. Pendant toute cette période, il réfléchit sur les institutions politiques et sociales, et surtout prend conscience de sa propre valeur.

Il a déjà publié deux brochures politiques lorsque, en janvier 1789, il lance son libelle au titre incendiaire : Qu’est-ce que le tiers état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent ? Rien. Que veut-il devenir ? Quelque chose. Le succès de ce brûlot est immense : 30 000 exemplaires sont vendus en deux mois. Élu député du tiers (et non du clergé) à Paris, Sieyès arrive aux États généraux la tête pleine d’idées neuves. Cet homme au long nez, au teint pâle, aux épaules étroites ne possède certes pas la flamme oratoire d’un Mirabeau, mais il sait se faire écouter. Il réclame la réunion des trois ordres, rédige le texte du serment du Jeu de Paume, refuse, le 23 juin, d’obtempérer aux ordres du roi. Élu au comité de constitution, il présente un projet de Déclaration des droits de l’homme qui ne sera qu’en partie accepté. Sans se lasser, il propose de multiples réformes : mode de répartition des impôts, création des gardes nationales, division du pays en départements, réorganisation judiciaire, etc. Il s’oppose nettement au veto absolu, comme d’ailleurs à l’abolition de la dîme (c’est à ce propos qu’il lance le mot fameux : « Ils veulent être libres mais ne savent pas être justes ») et vote sans conviction la constitution civile du clergé. Son vœu serait de maintenir la révolution dans de sages limites. Il s’est éloigné du « Club breton », devenu club des Jacobins, et fréquente la « Société de 89 », plus modérée, mais refuse de se laisser entraîner par Mirabeau dans sa collusion avec la Cour. Lors de la fuite à Varennes, il demeure sur la réserve. S’il blâme le roi, il n’approuve pas la pétition républicaine du Champ-de-Mars. Il est encore partisan d’une monarchie constitutionnelle, mais devine que la Constitution de 91 ne fera pas long feu.

Lorsque la Constituante se sépare, Sieyès se retire à Auteuil. Malgré bien des déceptions, il reste en contact avec ses anciens amis et s’en fait de nouveaux parmi la Gironde. Après la chute des Tuileries, il est élu à la Convention par trois départements et opte pour la Sarthe. Il siège au centre, mais vote la mort du roi, sans sursis. Ce geste ne lui vaut pas la reconnaissance de la Montagne. Il n’est pas non plus trop bien vu des Girondins, avec lesquels il commence à élaborer un projet de constitution. Son amitié pour Condorcet fléchit quand il voit celui-ci devenir le grand homme du Comité. Pourtant, la Constitution girondine sera balayée lors de l’élimination des Brissotins. Sieyès n’intervient pas dans la lutte entre les deux grands partis. Il ne travaille pas non plus à la Constitution de l’an I. La révolution qu’il a contribué à déchaîner lui fait peur. Il sait que Robespierre le déteste et l’appelle « la taupe de la révolution ». Pendant la Terreur, la taupe se terre en effet dans son trou. Lorsqu’on lui demandera ce qu’il a fait pendant cette période, il répondra : « J’ai vécu. »

Après Thermidor, il reparaît. Inquiet des émeutes populaires, il préconise des mesures sévères contre les fauteurs de troubles. Mais le problème qui intéresse le plus ce doctrinaire est celui de la constitution future. Une commission se forme, où l’on appelle l’ancien constituant. L’oracle va-t-il remonter sur son trépied ? Il s’en garde bien, jugeant qu’on ne suivrait pas ses idées. Prié de donner son avis sur le projet adopté, il refusera avec un sourire dédaigneux : « On ne m’entendrait pas. » Il a cependant accepté de faire partie du nouveau Comité de salut public, où il s’occupe des relations extérieures. Il prône le principe des frontières naturelles, songe à remanier la carte de l’Allemagne et s’en va à La Haye imposer la paix à la Hollande.

Lorsqu’il revient, la Convention s’apprête à céder la place au Directoire. Élu député aux Cinq-Cents (son nom paraît dans dix-neuf départements !), il est également nommé au collège directorial, mais il repousse cet honneur. Sans doute ne croit-il pas à la solidité du régime. À ceux qui l’interrogent, il répond : « Il m’est impossible de penser qu’un homme qui, depuis la Révolution, a été en butte à tous les partis puisse rallier toutes les confiances. » Malgré cette apparente modestie, Sieyès reste amer, hautain, méprisant. Que désire-t-il ? On ne sait. Il ne favorise en tout cas pas la droite, puisqu’il approuve le coup d’État de Fructidor. Il devient président des Cinq-Cents, est appelé à l’Institut, mais souffre malgré tout de sentir son influence en baisse. Son nom a été pourtant remis en vedette lorsqu’il a été victime d’un attentat. L’agresseur, un ecclésiastique névropathe nommé Poulie, déclare avoir voulu « venger la religion de ses pères ». Légèrement blessé, Sieyès voit remonter sa popularité. En fait, le gouvernement le considère comme un gêneur et l’envoie en mission à Berlin (mai 1798). Il en revient un an plus tard, car l’anarchie règne à Paris, où l’ancienne Montagne tente de resurgir de ses cendres et où les modérés cherchent un « philosophe » capable de remettre de l’ordre. Le grand homme accepte d’entrer dans le Directoire, préalablement épuré.