Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sharaku

Dessinateur d’estampes japonais de la fin du xviiie s.


Cet artiste apparaît soudain au cinquième mois de l’année 1794, pour disparaître quelques mois plus tard, au début de 1795. Et l’on ne sait presque rien de lui, bien qu’il soit l’une des figures les plus marquantes de l’ukiyo-e*. L’identité et l’apprentissage de cet artiste isolé, n’appartenant à aucune école, sont obscurs. Peut-être Sharaku, dit aussi Tōshūsai, aurait-il été acteur de sous le nom de Saitō Jūrōbei, mais la source de cette information n’est pas connue. Néanmoins, il demeure certain que son activité artistique ne dure que quelque dix mois ; il en survit aujourd’hui 141 estampes polychromes et environ 17 esquisses. La brièveté de cette fulgurante carrière reste un mystère.

L’ère Kansei (1789-1801), qui correspond à l’activité de Sharaku, connaît l’âge d’or de l’ukiyo-e et la grande popularité du théâtre de kabuki. L’artiste va prendre ses modèles parmi les trois principales troupes d’Edo (actuelle Tōkyō) : les portraits d’acteurs tiennent en effet une place majeure dans son œuvre. Il faut y ajouter quelques portraits de lutteurs de sumō (lutte japonaise) et quelques sujets historiques.

L’œuvre de Sharaku se répartit en quatre groupes, qui marquent une évolution de son art. Tout d’abord, 28 portraits d’acteurs en buste sur fond micacé (mica pulvérisé), exécutés au cours des représentations données pendant le cinquième mois de 1794. Puis 38 portraits en pied, groupant parfois deux personnages ayant figuré dans les spectacles des septième et huitième mois de 1794. Ensuite 61 estampes, se rapportant au onzième mois 1794 : portraits d’acteurs plus 4 portraits d’athlètes de sumō. Enfin 14 portraits en pied d’acteurs, de guerriers et d’un lutteur, exécutés au début de 1795. Les acteurs ont pu être identifiés grâce aux blasons inscrits sur leurs vêtements, qui se retrouvent sur les programmes et les affiches qui nous sont parvenus.

Parmi ces quatre groupes, les deux premiers sont les plus remarquables : Sharaku atteint d’emblée l’apogée de son talent. Il sait se limiter à l’essentiel, en concentrant son intérêt sur les visages, et révéler à la fois la personnalité propre de l’acteur et celle qu’il revêt dans son rôle. Son extrême économie de moyens s’allie à une grande richesse psychologique : la profondeur, le mouvement sont obtenus par le seul jeu de lignes expressives et concises, qui évoquent la stature et le maintien du corps. L’usage subtil de couleurs sobres, le recours à des noirs habilement équilibrés suggèrent la masse et le volume tout en s’accordant au caractère du personnage. Le graphisme acéré des yeux, de la bouche, des amples maxillaires permet de saisir l’expression de l’acteur parvenant au paroxysme de la passion ou se figeant en une pose dramatique, membres tendus, yeux louchant, bouche convulsée. D’autre part, l’artiste tire parti de certains raffinements techniques, tels que les fonds micacés argentés, sur lesquels les personnages prennent toute leur valeur, les traces en creux ou en relief, les gaufrages, qui font ressortir la texture des tissus.

La dernière partie de son œuvre semble moins exceptionnelle. Si l’intensité demeure, avec la virtuosité dans l’équilibre de la composition, la subtilité le cède à une recherche décorative nuisible au portrait proprement dit.

Sharaku a eu de nombreux imitateurs, qui ont perpétué jusqu’au xixe s. la tradition des estampes de théâtre, mais aucun n’a su atteindre sa force dramatique, son analyse aiguë et sa pénétration du type humain, non dépourvues de causticité.

M. M.

➙ Ukiyo-e.

Shaw (George Bernard)

Écrivain irlandais (Dublin 1856 - Ayot Saint Lawrence, Hertfordshire, 1950).



« J’aime un état de perpétuel devenir, avec un but devant et non derrière... » (à Ellen Terry, 28 août 1896)

Artiste et calculateur, bohème et avare. Méfiant jusqu’au cynisme. Pourtant toujours disponible, jamais las de prêter sa plume à toutes sortes de causes, de la « vivisection » au « minimum income ». Soutenu par une rare ténacité et une impérieuse volonté de vaincre. Donnant à quatre-vingt-douze ans une pièce pleine de chaleur, de sympathie pour la vie. Acharné travailleur, lucide critique de l’art d’écrire et aussi de penser. Ainsi apparaît Bernard Shaw, tel que le révèle sa vie, longtemps difficile, et tel que nous le montre son œuvre entière, son énorme correspondance et ses morceaux plus singulièrement autobiographiques, comme Sixteen Self Sketches ou ses Préfaces (à The Irrational Knot ou à Three Plays for Puritans par exemple). Certaines caractéristiques de son tempérament, il les doit peut-être à une enfance sans véritable affection dans un ménage mal assorti, à des études trop rapides et aux difficultés de gagner sa vie en attendant de percer. D’un passage en météore à la Wesleyan Connexional School, à la Central Model Boys’ School et à la Dublin English Scientific and Commercial Day School, il garde une aversion profonde pour écoles et universités qui « stéréotypent l’esprit ». Autodidacte acharné, hantant la Dublin National Gallery, le Royal Theatre, puis, à Londres, le British Museum, familier des grands musiciens, il fréquente aussi assidûment réunions et meetings politiques et travaille successivement comme clerc à la Charles Uniacke Townshend (1871), comme caissier dans une agence foncière jusqu’en 1876 et enfin à la Edison Telephone Company de 1879 à 1880. Ses premières armes dans les lettres, il les fait en qualité de critique musical, littéraire, artistique et théâtral, et, grâce à sa verve étincelante alliée à ses qualités naturelles de fantaisie et à un jugement sain, il y réussit bien mieux que dans son expérience romanesque. En 1885, en collaboration avec William Archer (1856-1924), Shaw écrit une pièce qu’il reprendra seul en 1892, Widowers’ Houses. On trouve là, avant l’heure, la totalité du programme qu’il fixe à R. Golding Bright dans sa lettre du 2 décembre 1894, où on peut lire également : « Faites de l’efficacité votre unique but pour les quinze prochaines années [...]. Enfin [...] ne prenez jamais l’avis de personne. » Ainsi agit toute sa vie cet original, époux de la millionnaire irlandaise Charlotte Payne-Townshend (1898), amant plus ou moins platonique d’une foule de dames, dont deux célèbres actrices, Ellen Terry et Mrs Patrick Campbell, « vestryman » et membre du « borough council » de Saint Pancrace (1897-1903). Ce personnage compte Einstein, Tagore, Staline, William Morris, Gāndhī, T. E. Lawrence parmi ses connaissances ou amis et H. G. Wells ou sir Henry Irving au rang de ses ennemis intimes ; il amasse une fortune énorme avec sa plume, entreprend un tour du monde à soixante-douze ans, pourvoie allègrement de pièces le Malvern Festival, depuis sa fondation en 1929, et de ses oracles le monde entier ; prix Nobel de littérature en 1925 ; il assistera à la fondation de la Shaw Society (1941) et verra le cinéma s’emparer avec succès de ses pièces, comme le Pygmalion en 1938, devenu en 1964 My Fair Lady. Certes Shaw est d’une nature vraiment exceptionnelle.