Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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sexualisation (suite)

Si la sexualisation est génétique, elle est aussi épigénétique, comme chez la Bonellie, les Amphibiens et les Oiseaux. Elle nécessite certainement l’intervention d’actions hormonales ; cependant, les expériences de castration et de transplantation des gonades d’un sexe à l’autre demeuraient sans résultats jusqu’en 1962-1964, époque où J. Naisse expérimente sur le Ver luisant (Lampyris noctiluca). Celle-ci pratique des castrations et des transplantations à divers moments du développement des gonades, depuis le début de leur différenciation jusqu’à la fin de la gamétogenèse (v. gamète). Trois séries d’expériences sont alors réalisées.

• Première série. Les testicules sont prélevés tout au commencement de leur différenciation, après la troisième mue ; ils sont implantés chez trois groupes de femelles d’âge différent : a) chez des larves femelles après la troisième mue — 15 sont opérées, 14 survivent et manifestent une masculinisation totale ; la gonade ovarienne restée en place évolue en testicule ; l’Insecte génétiquement femelle devient un mâle ; b) chez des larves femelles plus âgées, mais avant le début de l’ovogenèse (intermue 4-6) — 12 sont opérées, 12 survivent et sont masculinisées ; chez ces deux catégories de femelles, les testicules implantés évoluent normalement, et la spermatogenèse se réalise ; c) chez des nymphes femelles où l’ovogenèse se poursuit — aucune masculinisation n’apparaît, les femelles traitées restent femelles ; le testicule greffé persiste, mais ne grandit pas, bien que la spermatogenèse se produise.

Dans cette série d’expériences, la masculinisation se réalise tant que l’ovogenèse n’est pas déclenchée ; dès que celle-ci commence, l’inversion sexuelle devient impossible.

• Deuxième série. Les mêmes expériences sont répétées, mais avec des testicules larvaires plus âgés, la spermatogenèse n’étant pas encore déclenchée (intermue 3-4 et début de l’intermue 4-5). Les résultats sont identiques à ceux de la première série ; la masculinisation s’opère chez les larves ne présentant pas encore d’ovogenèse.

• Troisième série. Les mêmes expériences sont renouvelées avec des testicules qui ont commencé leur spermatogenèse (intermue 4-5 ou 5-6). À ce stade, les testicules ne possèdent plus d’action masculinisante. Cette série d’expériences prouve que le testicule est capable de masculiniser par la sécrétion d’une substance androgène, quelle que soit la nature génétique ; mais cette sécrétion s’arrête au début de la spermatogenèse ; il serait possible que le tissu apical, agissant comme un tissu interstitiel, élabore cette substance androgène ; en effet, la régression de ce tissu coïncide avec le début de la spermatogenèse.

Inversement, des ovaires n’ayant pas atteint l’ovogenèse, greffés à des mâles avant la mue prénymphale, se développent en testicules. Donc, les testicules, n’étant pas en spermatogenèse, exercent leur action masculinisante.

Chez les Insectes, comme chez les Vertébrés, les gonies ne possèdent pas de facteurs aptes à déterminer leur différenciation sexuelle.

D’autres expériences mettent en évidence le rôle des neurosécrétions ; l’ablation des corps cardiaques et allates à de jeunes larves femelles n’a pas d’action ; des adultes femelles apparaîtront à la fin des métamorphoses. Mais, si la même ablation est pratiquée chez de jeunes larves mâles après la troisième mue, sur 18 opérés 14 deviennent femelles et 4 restent mâles. La même ablation répétée chez des larves âgées (intermue prénymphale) n’entraîne aucune inversion sexuelle. Les neurosécrétions sont donc différentes au commencement de la croissance chez le mâle et chez la femelle. Elles sont déjà sexualisées. Beaucoup de précisions restent encore à découvrir dans ces questions des rapports entre neurosécrétion et sexualisation.


La sexualisation chez les Crustacés

Dès 1886, Alfred Giard (1846-1908) avait constaté la féminisation des Crabes mâles parasités par la Sacculine ; l’abdomen s’élargit, sa segmentation s’accuse, et les pléopodes se développent, les testicules étant à peine réduits. Chez Carcinus mænas parasité, les testicules sont normaux (Robert Courrier). La féminisation relèverait d’un métabolisme modifié, davantage lipidique (A. Veillet, 1953). Les expériences sur l’Amphipode Orchestia gammarella allaient résoudre le problème (Hélène Charniaux-Cotton, 1958). Cet Amphipode gonochorique présente un dimorphisme sexuel bien marqué ; la deuxième paire de péréiopodes du mâle est transformée en pinces ; les femelles possèdent des oostégites à soies ovigères. Une glande androgène à la base du canal déférent existe chez le mâle et manque chez la femelle. Les gonades des larves sont indifférenciées dans les deux sexes jusqu’avant la cinquième mue ; à partir de cette mue, les gonades présentent une différenciation sexuelle. Les glandes androgènes du mâle, implantées dans la cavité péricardique d’une femelle, agissent sur les mues successives, et la femelle se masculinise ; les pinces apparaissent ; les ovaires se transforment en testicules ; les ovocytes s’histolysent ; les conduits génitaux correspondent à des canaux déférents, mais ils demeurent clos. L’appareil sexuel ainsi constitué n’est donc pas fonctionnel.

Chez le mâle privé de glandes androgènes, le développement des testicules s’arrête, mais le Crustacé demeure mâle. Si un ovaire est alors implanté, sa structure se maintient, ainsi que sa fonction, et les oostégites apparaissent, alors que, chez un mâle normal, l’implantation d’un ovaire entraîne la modification de l’ovaire en testicule. La glande androgène exerce donc une intense action masculinisante sur la gonade et sur les caractères sexuels secondaires. L’ovaire possède aussi une action hormonale.

L’action de la glande androgène varie avec les espèces ; par exemple, chez Orchestia Montagui mâle privé de ses glandes androgènes, la féminisation se manifeste et le testicule se transforme en ovaire. Les deux sexes possèdent la même constitution génétique, qui permet l’autodifférenciation ovarienne ; mais, chez le mâle, la glande androgène inhibe et commande la masculinisation. On peut dire que le mâle est une femelle transformée en mâle.