Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

servitude (suite)

• Cette dernière classification des diverses servitudes — en fonction de leur mode d’exercice — en servitudes continues et discontinues, apparentes et non apparentes est susceptible de conduire à diverses combinaisons. C’est ainsi que l’on pourra se trouver en présence de servitudes continues et apparentes, discontinues et apparentes, continues non apparentes et discontinues non apparentes. Ces distinctions sont importantes du point de vue juridique, car les servitudes continues et apparentes ont un régime juridique plus complet que les autres (par exemple, elles peuvent s’acquérir par la prescription, car elles sont aptes à une possession protégée par la loi).


Modalités d’établissement

• Elles peuvent d’abord être constituées par la loi elle-même. On dit qu’il s’agit de « servitudes légales ». On remarque d’ailleurs que les servitudes dérivant de la situation naturelle des lieux ne sont elles-mêmes qu’une variété de servitudes légales. Ces servitudes peuvent être directement créées par la loi soit dans un but d’intérêt privé (exemple : servitude de passage), soit dans un but d’intérêt public (exemple : servitudes d’urbanisme).

• Elles peuvent aussi être constituées par le juge. C’est notamment le cas de la servitude « de cours communes », prévue par un décret du 4 décembre 1958, dont le but est d’imposer à un propriétaire de ne pas bâtir ou de ne pas dépasser une certaine hauteur en construisant, ce qui doit favoriser la réalisation d’ensembles immobiliers sur des terrains voisins.

• Elles peuvent être établies par la volonté des propriétaires. La servitude peut être acquise au moyen d’un acte* juridique, comme le contrat* ou le testament. Cette constitution volontaire d’une servitude est en principe libre, à condition de respecter l’ordre public, d’une part, et à condition, d’autre part, que la servitude crée un lien entre deux biens et non pas entre deux personnes. Ces actes constitutifs de servitudes foncières sont soumis à la publicité foncière.

Certaines servitudes sont sujettes à l’acquisition par prescription*, c’est-à-dire par un usage prolongé alors même qu’il n’y a pas de titres constitutifs. Mais cette prescription acquisitive n’est possible qu’à la double condition que la servitude soit apparente et continue, d’une part (exemples : servitudes de vue ou servitudes d’aqueduc), et, d’autre part, que le propriétaire du fonds dominant se comporte comme un véritable titulaire, c’est-à-dire exerce la servitude dans des conditions de nature à faire jouer tous les effets de cette possession. Cela revient à dire que la prescription des servitudes non apparentes ou discontinues n’est pas possible, aussi immémoriale qu’en soit la possession, et que la possession vicieuse d’une servitude apparente et continue (exemples : possession équivoque ou clandestine) en empêche la prescription. Mais lorsque les conditions d’une prescription acquisitive sont réunies, celle-ci se produit par l’écoulement d’un délai de trente ans (prescription trentenaire) : nos tribunaux n’admettent pas le délai plus court.

Enfin, la servitude peut être établie par ce que l’on appelle la destination du père de famille : lorsque le propriétaire d’un bien établit entre deux parties de ce bien un aménagement qui constituerait une servitude si ces deux parties appartenaient à des propriétaires différents et que, par la suite, les deux parties se trouvent effectivement divisées entre deux propriétaires, la servitude ainsi créée sera maintenue.


Modalités d’exercice

Rapport de droit entre deux fonds, la servitude crée des relations entre les propriétaires successifs de ces deux fonds.

• Le propriétaire du fonds dominant bénéficie de la servitude, qui est l’accessoire de sa propriété dans une mesure qui varie en fonction de l’origine de la servitude (il faut analyser la loi, l’acte ou le fait qui lui donne naissance pour en connaître l’étendue). Dans cette mesure, il peut faire tous les ouvrages nécessaires à son exercice normal, à la condition de ne rien faire qui en aggrave la portée ; il dispose de diverses actions en justice qui assurent la protection de son droit : il est titulaire d’une « action confessoire » (qui a pour objet la reconnaissance de l’existence de la servitude) et des « actions possessoires », lorsque la servitude est susceptible de possession (exemple : servitudes apparentes et continues).

• Le propriétaire du fonds servant n’est tenu en principe que d’une obligation passive : ne rien faire qui empêcherait le propriétaire du fonds dominant de profiter de la servitude, comme par exemple changer l’état des lieux ou faire exercer la servitude dans un endroit différent : il ne pourrait le faire qu’à condition d’invoquer des justifications particulières et seulement si les nouvelles modalités d’exercice de la servitude sont aussi commodes que les précédentes pour le propriétaire du fonds dominant. Le propriétaire du fonds servant est protégé en justice par deux types d’action, lorsqu’il prétend que la servitude n’existe pas : l’« action négatoire », dont le but est de démontrer cette inexistence, et les « actions possessoires », lorsqu’il se prétend troublé en fait dans l’exercice de son droit de propriété par le titulaire d’une prétendue servitude.


Modalités d’extinction

Les servitudes peuvent s’éteindre de diverses façons.

• La servitude s’éteint en cas d’impossibilité d’exercice, les choses se trouvant dans un état tel qu’on ne peut plus en user (exemple : servitude de puisage dans un puits asséché).

• Elle peut s’éteindre avec la disparition de l’un des fonds (et particulièrement du fonds servant). La disparition matérielle est relativement rare (exemple : destruction d’un bâtiment) ; la disparition juridique est aussi possible (expropriation pour cause d’utilité publique du fonds servant).

• Elle s’éteint encore en cas de confusion, c’est-à-dire en cas de réunion des deux fonds entre les mains d’un seul propriétaire.

• Enfin, elle peut s’éteindre par non-usage, du moins lorsqu’il s’agit de servitudes supposant la participation active du propriétaire du fonds dominant. Pour que la servitude s’éteigne par non-usage, il faut que ce non-usage ait duré au moins trente ans.

A. V.

 R. Béraud, Servitude, bornage, mitoyenneté, clôture, voisinage (Sirey, 1963 ; nouv. éd., 1967).