Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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services (suite)

Cela ne doit guère étonner : il n’y a généralement pas de tradition indigène des affaires qui puisse servir à l’épanouissement d’organismes modernes, du type de ceux que l’on trouve en Europe. Les compétences sont rares, liées souvent à un personnel étranger, ou formé à l’étranger. Il est souvent exigeant : on ne peut guère le satisfaire qu’en l’installant dans une grande ville, un port au contact du monde extérieur, qui est bien souvent aussi la capitale. Ainsi, les services de rang supérieur se concentrent tous dans la même agglomération, qui finit par écraser l’ensemble du pays.

La situation n’est pas très différente dans le monde développé. En France, Paris attire de plus en plus les sièges sociaux des grandes firmes, comme c’est le cas en Angleterre pour Londres, ou en Suède pour Stockholm. La concentration est presque aussi forte dans des États où la capitale politique n’est pas la métropole économique ; Milan en Italie, Zurich en Suisse pèsent de plus en plus dans la direction des affaires de leurs pays. Aux États-Unis, l’analyse des implantations de sièges sociaux fait apparaître aussi une très forte concentration. La quasi-totalité des sièges sociaux se trouve dans trois zones, la Megalopolis qui s’étend de Boston à Washington (avec un pôle économique majeur, New York, et deux moyens, Philadelphie et Boston, et le pôle administratif de Washington), la région des Grands Lacs (mais là, Chicago est la seule ville vraiment importante, Detroit ne compte que dans le domaine de l’automobile, et Pittsburgh dans celui de l’acier) et la Californie, autour de la baie de San Francisco et, plus au sud, de San Diego à Los Angeles. La géographie des centres de recherches et des universités les plus prestigieuses se moule sur celle des centres d’affaires.

On voit ainsi quelles sont les forces qui tendent à créer les grandes régions urbaines qui caractérisent le monde postindustriel, celui où le grand problème n’est plus d’arracher les denrées vitales à une nature avare, mais de permettre au plus grand nombre d’accéder à des niveaux élevés de consommation de produits alimentaires, d’articles manufacturés et de services. On reconnaît au Japon une évolution analogue à celle des États-Unis, dans le corridor d’urbanisation massive qui va d’Ōsaka à Tōkyō. En Europe, les conurbations que la grande industrie avait l’ait naître au siècle passé, la Ruhr, ou celles qui ceinturent les Pennines anglaises essaient de se transformer, de se doter de centres directionnels capables de leur donner un rôle moteur dans leurs pays. Mais, jusqu’à présent, la fortune a surtout souri aux cités plus riches d’histoire, à la société plus complexe, capitales comme Londres ou Paris, ou bien encore grandes métropoles provinciales, comme en Allemagne fédérale, où le réseau des activités de service supérieures est curieusement décentralisé : on y lit à la fois la conséquence des vicissitudes de la guerre, du sort de Berlin et la difficile réadaptation de la Ruhr. Malgré leur puissance, Cologne et Düsseldorf ne gênent guère la croissance de Francfort, de Hambourg, de Stuttgart et de Munich. Depuis quelques années, on a l’impression que la structure ouest-allemande va rentrer dans le moule commun, tant cette dernière ville voit affluer les activités les plus rares : elle se transforme en métropole pour des secteurs aussi importants que ceux de la recherche, de la publicité et de l’information.


Services et organisation de l’espace

Les activités de services apparaissent ainsi comme des éléments essentiels dans la structuration de l’espace moderne. À l’échelle des agglomérations, tout s’ordonne autour du centre, c’est-à-dire du secteur où l’on se rend pour ses affaires. Si le développement des déplacements produit l’encombrement et gêne l’accès à ce quartier, la ville se transforme, devient polynucléaire. Des centres commerciaux surgissent à la périphérie, des centres directionnels à proximité des aéroports, qui autorisent les relations rapides avec les autres cités.

À l’échelle des nations, la localisation des ressources primaires perd du poids. Tout s’ordonne en fonction de l’accessibilité aux services, ce qui conduit la population à se masser sur des aires étroites : l’espace paraît trop grand, même s’il est exploité en totalité. Les foyers qui bénéficient de cette redistribution sont les héritiers des grandes villes de l’ère précédente. De plus en plus, on voit aussi prospérer les régions dont le climat est agréable, et le paysage attirant. Les bureaux et les administrations se déplacent vers les zones où se trouvent les aménités, car il est plus facile d’y trouver et d’y garder un personnel exigeant. L’attraction des services explique la concentration, cependant que les consommations directes, celles auxquelles on n’avait accès autrefois qu’à l’occasion des déplacements touristiques, deviennent des éléments décisifs des répartitions.

À l’échelle internationale, une division s’esquisse aussi : les pays industrialisés et développés attirent la majeure partie des services indispensables aux grandes firmes nationales et multinationales qui dominent le marché moderne. Les nations sous-développées sont bien souvent réduites à une position de dépendance accrue par cette évolution, mais elles prennent leur revanche dans le domaine du tourisme : elles offrent des milieux non pollués, des environnements où l’histoire a modelé une diversité qui s’efface du monde avancé, et une main-d’œuvre abondante.

Depuis un siècle, la concentration de la population mondiale sur des aires urbaines est allée de pair avec le développement des activités de services. Rien ne laisse prévoir pour l’avenir immédiat un retournement de la tendance. On peut cependant se demander si l’évolution de la technologie de la communication ne prépare pas une nouvelle géographie des services et de la population, une géographie où l’on redécouvrirait les vertus de la dispersion, et du contact avec des milieux moins profondément humanisés que ceux de nos grandes agglomérations.

P. C.