Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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services (suite)

La théorie des lieux centraux s’est édifiée sur ces postulats. Elle rend assez bien compte des répartitions que l’on observe dans les régions agricoles uniformes : on y note des réseaux de villes géométriquement disposés, avec toute une hiérarchie de centres. L’Allemagne du Sud, qu’étudiait naguère Walter Christaller, la France de l’Ouest, le centre des États-Unis ont des dispositions de ce genre. Depuis quelques années, à la suite notamment des recherches de Brian J. L. Berry, on a appris à compliquer un peu le problème : lorsque les densités sont irrégulières, la hiérarchie des centres subsiste, mais la géométrie des aires est altérée, puisque la surface optimale desservie varie d’une région à l’autre pour un même niveau hiérarchique. Les centres commerciaux planifiés qui se multiplient dans les périphéries des grandes villes s’insèrent dans cette trame et réussissent, dans la mesure où ils se plient à la géométrie nécessaire, à se créer des zones de chalandise.


Services et réseaux urbains

On voit ainsi comment l’analyse des relations de service fait comprendre la trame des réseaux urbains : tant que les villes tirent l’essentiel de leurs ressources de l’administration, du commerce de détail ou de gros, de l’instruction ou de la santé nécessaires aux campagnes, leur répartition est éclairée par la théorie des lieux centraux, telle que nous venons de l’évoquer. Cependant, les hypothèses sur lesquelles repose le raisonnement sont si restrictives qu’il est apparu indispensable de voir ce qui se passe lorsqu’on se situe dans d’autres cas.

Dans notre civilisation, la mobilité individuelle s’est brusquement accrue, si bien que le coût de la distance est moins fortement ressenti. Cela se traduit par une transformation profonde dans les comportements : on cesse de s’adresser au centre le plus proche, on préfère se rendre plus loin si on a la perspective de plus de choix : la crise du commerce traditionnel traduit cette évolution. D’autre part, la population employée dans l’agriculture et dans les industries extractives, dont la localisation est nécessairement liée à celle des ressources, ne représente plus qu’une toute petite fraction de la population active totale, à peine 5 p. 100 dans les sociétés les plus avancées du monde anglo-saxon et guère plus en Allemagne, en Belgique ou aux Pays-Bas. Désormais, les localisations de services commandées par la desserte des actifs obligatoirement dispersés sont peu nombreuses. La position des services et celle de la plus grande partie de la population ne dépendent plus de facteurs externes, si ce n’est de la recherche des aménités. Les emplois sont attirés par les secteurs où les services sont abondants, et, réciproquement, les commerces et les administrations par les zones d’accumulation de la population. Dans un monde où les contraintes physiques de naguère se sont distendues, chacun cherche à bénéficier d’un cadre de vie agréable, d’un accès facile à tous les services, de toutes les nouveautés qui donnent du sel à l’existence, ce qui implique la proximité des réseaux d’information spécialisés les plus efficaces. Pour satisfaire la gamme des besoins exprimés par le plus grand nombre, il n’est cependant pas besoin de concentrations gigantesques : les villes moyennes, de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’habitants, sont parfaitement capables de s’équiper convenablement.

Les firmes ont des exigences différentes. Au fur et à mesure que la taille des entreprises s’accroît, qu’elles deviennent plus puissantes et qu’elles se tournent vers des marchés plus vastes et plus lointains, elles deviennent consommatrices de services plus rares : il leur faut disposer de réseaux commerciaux de correspondants et d’agents ; elles deviennent plus dépendantes des banques qui assurent leur trésorerie. Pour s’informer des désirs de la clientèle, elles commandent des études de marché et s’adressent ensuite à des agences de publicité pour infléchir les goûts et les motivations de l’homme de la rue. La puissance accrue rend plus fréquents et plus nécessaires les rapports avec l’autorité politique. Certains des services dont la firme a besoin peuvent être créés en son sein, et la nature même des organisations administratives permet l’échange facile d’informations, de certains types d’entre elles tout au moins, si bien que les bureaux d’études, les services commerciaux et les ateliers peuvent être implantés en des points différents sans que cela constitue une gêne. Il existe ainsi une certaine liberté dans les implantations de services, ce qui permet aux grandes firmes de pratiquer une politique de décentralisation dont sont incapables les petites entreprises très liées au marché, les industries de mode par exemple, ou, dans un autre domaine, celles de sous-traitance.

L’entreprise industrielle ne peut cependant assurer tous les services dont elle a besoin : elle doit entrer en contact avec des administrations, des banques, des réseaux de distribution qu’elle ne contrôle pas, ou des sociétés de gestion, d’études dont les conseils sont utiles à la bonne marche de l’ensemble. La direction des firmes et leurs services commerciaux sont donc fixés aux lieux où les contacts avec toutes les organisations nécessaires aux affaires sont possibles. Dans ce domaine, les avantages de la concentration géographique sont tels qu’il faut atteindre la dimension des plus grandes agglomérations pour que les déséconomies de congestion les remettent en cause. Depuis le début de la révolution industrielle et commerciale, les quartiers historiques du cœur des villes anciennes et les districts d’affaires qui se sont formés dans celles dont la naissance est récente ont cessé d’être faits pour la relation interindividuelle : ils sont de plus en plus envahis par les bureaux, les banques, les sièges sociaux d’entreprises, et la vie qui les anime n’a rien du désordre gai des cités du monde traditionnel.

Dans beaucoup de pays, l’essentiel des services de niveau très supérieur, indispensables aux entreprises, se trouve concentré dans une ou un très petit nombre de cités. C’est le cas dans la plupart des pays qui essaient de sortir du sous-développement.