Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sensation (suite)

Il s’agit maintenant d’établir le rapport entre la structure du message sensoriel et l’amplitude du potentiel de récepteur. Nous le ferons d’après les études poursuivies sur l’œil de la Limule (fig. 8). Ici, le transcripteur-codeur est de type II, et la microélectrode introduite en G détecte à la fois le potentiel générateur et l’ensemble de potentiels d’action qui forme le message sensoriel. On voit qu’ici l’amplitude se traduit non par la grandeur des potentiels d’action, mais par leur fréquence. Plus la stimulation est élevée, plus les éléments du train d’onde sensoriel sont serrés. Ce type de codage s’est révélé absolument général, encore que la difficulté d’étude des stimulations trop faibles ou trop fortes laisse souvent ignorer les deux extrémités de la courbe représentative de la relation amplitude/fréquence et que les interventions récurrentes des centres nerveux compliquent souvent le phénomène.

Bien entendu, les choses se compliquent lorsqu’une même fibre véhicule les messages issus de plusieurs transducteurs : fibre ramifiée dont chaque branche est un transducteur (toucher) ou forme synapse avec un transducteur distinct. Il faut alors introduire la notion d’unité réceptrice multiple, et celle, capitale, de recrutement : aux faibles intensités stimulantes, un seul transducteur agit sur la fibre nerveuse, et le nombre de transducteurs actifs augmente en même temps que s’amplifie la stimulation. Lorsqu’il existe des connexions latérales, la notion de recrutement peut recouvrir un autre phénomène : c’est alors le nombre des fibres nerveuses parcourues par un message sensoriel qui s’accroît, lui aussi, lorsque la stimulation augmente.

L’évolution de ce recrutement en fonction de l’intensité se traduit par l’intégrale de la courbe normale de probabilité, la courbe en S connue comme « ogive de Galton ». Ainsi, à mesure que l’intensité de la stimulation croît, l’activité de chaque transducteur croît selon la fonction th et le nombre de récepteurs actifs croît selon l’intégrale de la courbe normale de probabilité. L’intervention de ce second phénomène ne modifie guère l’allure de la loi générale : en effet, entre les deux fonctions, le coefficient de corrélation est de 0,997.

• Codage de la spécificité qualitative. La nature de la sensation ou, plus exactement, de l’impression subjective éprouvée par le sujet ne dépend pas du stimulus, mais du nerf stimulé. On doit à Johannes Peter Müller (1801-1858) d’avoir rappelé cette loi fondamentale dans son Handbuch der Physiologie (1833-1840). On peut regretter que Müller ait parlé à ce propos d’« énergie spécifique des nerfs », car l’expression est inexacte. Mais chacun de nous a l’expérience des lumières provoquées par un choc sur le globe oculaire ou, à l’inverse, de la difficulté que l’on éprouve, en face d’une vibration sonore de basse fréquence (25 hertz), à dire si on l’« entend » ou si on la « sent », du fait qu’elle fait naître des messages sensoriels à la fois dans le limaçon de l’oreille et dans certaines terminaisons tactiles. On éprouve la même incertitude avec une radiation électromagnétique de 760 mμ, lumière rouge pour l’œil et chaleur pour la peau.

Des expériences conduites en laboratoire ont même établi que ce qui fonde la nature de la sensation n’était pas le nerf, mais le centre nerveux auquel le nerf aboutit. Une stimulation électrique modérée appliquée au cerveau évoque des sensations visuelles, tactiles ou autres selon la région du cortex intéressée. Mais, dans la vie courante de l’Homme et des animaux, le lien organe sensoriel-sensation définie est pratiquement constant. À cette grossière discrimination initiale s’ajoutent, pour chaque sensation, de nombreuses distinctions de détails : couleurs, odeurs, goûts, hauteur et timbre des sons musicaux, etc. Helmholtz a étendu à ces distinctions la loi de Müller, et la science contemporaine confirme ses vues. Par l’effet des organes de Corti, ce ne sont pas les mêmes fibres qui réagissent aux sons graves et aux sons aigus. Dans l’œil, ce sont des cellules transductrices différentes qui codent pour le rouge, le vert et le bleu (théorie trichromatique de Young). À ce filtrage initial s’ajoutent les effets complexes des interactions latérales, tant dans la rétine, par exemple, qu’au niveau des relais centraux (tubercules quadrijumeaux, etc.).

• Le signe local. Le problème de la localisation des stimuli ne se pose pas, évidemment, lorsque la surface réceptrice code le contact direct (toucher) : une piqûre au doigt met en action les nerfs du doigt, qui informent la petite zone du cortex cérébral où réside l’image tactile de ce doigt. Il se pose à peine lorsqu’une correspondance binaire existe entre la surface sensible et le champ extérieur, comme c’est le cas pour la rétine d’un œil, sur laquelle se peint une image réelle dont l’analyse spatiale en deux dimensions est aisée. Seule, alors, la troisième dimension (profondeur, distance) exige de la part des centres cérébraux un travail de comparaison entre les images fournies par les deux yeux (v. vision). Pour les sons, au contraire, chez l’Homme tout au moins, la comparaison des messages reçus à droite et à gauche est souvent d’un médiocre secours. Il n’en va pas de même chez les Chauves-Souris, avec leur espace ultra-sonore précis (v. écholocation). De toute façon, la finesse de l’analyse spatiale est limitée par la densité des fibres nerveuses sensibles : l’épaule ne saurait analyser les formes tactiles avec autant de précision que le bout des doigts. On ne doit pas, par ailleurs, considérer comme un signe local ce qui permet à tant d’animaux de s’orienter par les odeurs pour remonter à la source dont elles émanent. En effet, l’animal se déplace dans un champ olfactif muni d’un gradient, compare seulement l’intensité des stimuli odorants et se dirige vers les lieux où cette intensité est la plus forte. L’information n’est ni statique ni instantanée.