Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sémiotique (suite)

À s’arrêter sur ces seuls exemples, on peut voir, en effet, que Poussin* peut caractériser ce fait d’irrepérabilité narrative, et que, dans la prédelle d’Uccello*, la Profanation de l’hostie, le signifiant/la couleur est à peu près occulté par la tradition d’une lecture narrative qui, loin d’offrir une structure, est une des virtualités non entièrement réalisées de l’ensemble des six panneaux.

Le déchiffrement des « textes picturaux » a ceci de particulier que, dans un premier temps, ils n’ont été articulés pour leur décision que sur des textes étrangers, sans que leurs économies signifiantes en fussent mises en évidence, que leurs structures sémantiques ont toujours été importées de façon non systématique (soit pour la lecture iconologique, soit pour l’interprétation) et que les caractéristiques sémiotiques (les signes plastiques, le signifiant pictural) se sont articulés dans un mouvement de substitution subreptice, sur le fond le plus explicite (la langue) de ce qu’ils ne sont pas dans leur structure ni dans leur économie.

Que cette économie soit éminemment substitutive, qu’elle oblige donc à des circuits de lecture — sémantiquement ou lexicalement — difficilement prévisibles, c’est parce que ces systèmes jouent leur économie sur une différenciation du réfèrent. C’est à partir de cela que s’enchaînent les problèmes de lecture, les irrepérables lexicologiques, syntagmatiques, etc., parce que ces systèmes se constituent intégralement comme différence de l’objet déterminé d’une représentation. Le fait même que le réfèrent ait un statut pour le système, celui de son élision, n’implique pas, comme on l’a cru, que la peinture figure toujours, à quelque degré ; cela implique que, dans l’élision économique du seul terme certifié du système (le réfèrent), le signifiant et le signifié ne dénotent pas, en fonction du réinvestissement constant dont ils font l’objet et qui les rend irrepérables, une opposition pertinente simple.

Il ne s’agit donc pas de savoir selon quels éléments ou unités s’effectue la lecture, ni de déplacer la question insoluble des unités en celle des ensembles syntagmatiques, mais de saisir que la lecture n’est pas l’action d’épeler les figures comme des lettres, de parcourir une page et de la construire dans ce parcours pour le discours que cette lecture pourra dire ; cette opération est analytique, elle se produit dans l’espace d’un système de détermination, comme un moment de la représentation ; et par rapport à laquelle le statut de la figuration ne saurait être engagé que comme statut sémiotique, qui doit être préalable à toute « description scientifique », qui n’est justement pas susceptible de reprendre le signifiant comme substance picturale. Le signifiant n’est pas la représentation matérielle du sens ni l’induction du signifié dans une matière : il n’est formulable et repérable que dans une économie dont les termes ne sont pas des unités qu’il s’agit d’échanger pour assurer leur valeur, mais des relations, des rapports d’implication, d’exclusion, de non-contradiction, des substitutions, etc., donc un véritable corps de rapports logiques qui ne peuvent être déduits méthodologiquement des types de résistance opposée par une matière quant à ce qu’elle voudrait dire ; mais, au contraire, en tant que cette « économie » se spécifie toujours dans l’espace de détermination du système, c’est-à-dire comme probabilisation du signifiant à partir de signifiés implicites d’autres systèmes (ce qui s’appelle une économie de représentation), la structure en est donc inductrice ; sa fonction n’est pas d’engendrer du visible, mais de le situer d’un point de vue particulier comme objet de connaissance.


L’objet sémiotique

Le propre de la recherche sémiologique est la détermination d’un objet. L’objet pictural, dans une démarche déjà sous-entendue dans l’iconologie et la sociologie picturale, n’est traité pour sa connaissance que dans le cadre d’un système : donc pour autant qu’il peut être caractérisé par son appartenance à un cadre problématique où il s’informerait. Cela implique une double détermination : 1o une étude des structures propres de caractérisation ; 2o une étude (et une application) des structures informantes (de décision). Cette distinction s’offre à une seconde subdivision : cette étude est menée, a) d’un point de vue paradigmatique (itération, récurrence ou particularité d’un modèle d’organisation) ; b) d’un point de vue génétique, envisageant la détermination d’une structure spécifique dans le sémiotique selon un procès de différenciation entre les systèmes signifiants.

En aucun cas, un geste purement taxinomique (la classification ou l’enregistrement d’un donné) ne suffit à la constitution d’un objet sémiotique ; la détermination d’un objet sémiotique suppose la mise en corrélation (au niveau d’une génétique structurale comme au niveau sémantique) de plusieurs systèmes signifiants ou de plusieurs « langages ».

L’induction d’une structure spécifique ne concerne pas des objets (tableaux, etc.), mais des procès de signification, même si un recouvrement peut s’en effectuer (il s’agit toujours, en fait, d’une transformation d’objet), dont la caractérisation produit un objet second, l’objet sémiotique, duquel on peut soutenir qu’il consiste en l’enregistrement du procès qui transforme un objet donné. Il est constitué de structures intersémiotiques qui délivrent les caractéristiques d’un type signifiant.


Problèmes de méthodologie

Dans ce cadre, la méthodologie est pré-problématique : elle s’organise (sous le modèle de la linguistique, qui ne connaît pas à ce point le problème de l’engendrement et de la détermination de ses objets) en une tactique de la description à partir des éléments codiques pouvant lui servir d’articulation (perspective, figures, codes chromatiques, conventions, etc.). Elle ne peut donc suffire à déterminer la spécificité des structures qu’elle tente de décrire, ni surtout aborder le problème de la signification, dont on sait qu’il appartient à l’engendrement même des systèmes sémiotiques non linguistiques. Le problème qui se joue ici est moins celui d’une description (qui a été l’intérêt constant de toutes les littératures d’art) que celui d’un engendrement d’une structure spécifique (l’objet donné est conçu comme objet théoriquement spécifiable) à partir de la base sémantique la plus large, non pas comme structure caractéristique, mais comme structure de signification, appartenant à un système à économie ouverte (un système qui ne comporte que des taxâmes indexés sur d’autres modes signifiants) ; l’objet engendré l’est donc dans deux sens concurrents : comme objet historique, pris dans un procès de dérivation de structures symboliques, et comme objet intersémiotique. Étant donné que ses taxèmes sont transsémiotiques, il ouvre, plus fortement qu’aucun objet culturel, comme premier effet, à une relativisation des procès de caractérisation, à une évaluation des systèmes symboliques majeurs (des zones d’influence sémiotiques), c’est-à-dire aussi à une étude différenciée des structures d’influence historiques.