Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sémiotique (suite)

À première vue, les rapports entre la sémiotique et la linguistique paraissent simples, cette dernière n’étant qu’un système sémiotique parmi d’autres. Cependant, les langues naturelles, objet de la linguistique, occupent une place privilégiée du fait que les autres systèmes signifiants sont traduisibles en elles et non inversement. Leur caractère prééminent se manifeste aussi par leur capacité de développer dans leur sein des systèmes de signification autonomes, soit en organisant des univers sémiotiques « naturels », tels le droit, la morale, la religion, etc., soit en servant de support et d’instrument à la construction des langages « artificiels » que sont, d’une part, les sciences dans leur ensemble et, d’autre part, des langages se proposant de rendre compte (= des grammaires) ou de valider (= des logiques) les autres langages. La sémiotique linguistique dépasse ainsi largement les préoccupations de la linguistique au sens étroit.


Sémiotiques non linguistiques

La difficulté de situer le projet sémiotique par rapport à la linguistique réapparaît du fait des présupposés philosophiques concernant les relations entre le langage et la pensée que Saussure a voulu exorciser en introduisant la dichotomie du signifiant et du signifié. Le postulat du psychisme indissolublement lié aux articulations des langues naturelles exigeait ainsi pour les systèmes signifiants non linguistiques la médiation d’un signifié articulé linguistiquement et leur conférait le statut de sémiotiques secondaires et dérivées.

Si la valeur des modèles élaborés par la linguistique, seule science humaine ayant un siècle et demi d’activités continues et non contradictoires, est indiscutable, son impérialisme devait être récusé : il était dangereux de réduire, par exemple, la sémiotique picturale à la seule analyse des discours sur la peinture. La tâche de la sémiotique est de rendre compte non seulement des sémantismes articulés linguistiquement, mais aussi des significations non médiatisées telles qu’elles paraissent recouvertes par les expressions comme « le vécu », « le senti », « l’affecté ». Les sémiotiques non linguistiques se constituent donc, non sans peine, en se gardant à la fois de l’emprise linguistique et du formalisme qui transformerait, par exemple, la sémiotique de l’espace ou la sémiotique musicale en pures descriptions du seul signifiant.

C’est dans ces domaines qu’apparaissent les insuffisances des modèles de la théorie de la communication*, qui se trouvent complétés progressivement par ceux de la signification. C’est ici, également, que s’est précisée une nouvelle dimension des recherches adjoignant aux études des systèmes sémiotiques celles des pratiques sémiotiques, c’est-à-dire des comportements somatiques ou gestuels organisés en enchaînements syntagmatiques de type algorithmique, dont le sens orienté apparaît comme une finalité globale, lisible après coup et dont l’analyse suggère une homologation possible avec les structures narratives.


Le champ sémiotique

La diversité des domaines d’intervention de la sémiotique et l’ampleur de ses ambitions rendent difficiles l’évaluation de ses acquis et même la présentation de ses principales articulations.

La sémiotique se désigne d’abord comme une approche méthodologique offrant ses procédures et ses modèles aux autres sciences humaines ; elle intervient parfois plus directement dans certains domaines et cherche à réarticuler les disciplines en quête de nouvelles méthodes (littérature orale et écrite par exemple) ; elle se fait fort, dans d’autres cas, de constituer de nouveaux champs de savoir (dans des domaines aussi frivoles que les jeux, les bandes dessinées, la publicité par exemple). Il n’est pas étonnant qu’elle provoque, dans ses confrontations avec des méthodes et des théories constituées, des conflits épistémologiques, qu’elle subisse elle-même des distorsions idéologiques et qu’elle donne parfois l’impression d’une dispersion excessive et d’inégalités frappantes de degré de son développement. Aussi convient-il mieux de parler, à ce stade de croissance et d’expansion, d’un projet sémiotique plutôt que d’une sémiotique établie.

Une classification satisfaisante des systèmes sémiotiques est impossible à proposer. Les champs du savoir se constituant en fonction des méthodologies en voie d’élaboration et non d’objets visés, seuls les critères internes, structurels, pourraient rendre compte de l’économie globale d’une science. À l’heure actuelle, seuls certains domaines sémiotiques présentent des contours délimités : les langages artificiels, du fait de leur caractère construit et axiomatique ; la sémiotique poétique, qui reconnaît l’articulation parallèle du signifiant et du signifié ; etc. Seule la sémiotique discursive semble disposer d’une configuration conceptuelle vaste et relativement précise.

La classification la plus courante groupe les sémiotiques d’après les canaux de communication ou, ce qui revient au même, d’après les ordres sensoriels servant à la constitution du signifiant. Elle est loin d’être satisfaisante : des ensembles signifiants aussi vastes que le cinéma, le théâtre, l’espace urbain apparaissent comme des lieux d’imbrication de plusieurs langages de manifestation, étroitement mêlés en vue de la production des significations globales. C’est pourquoi la pratique courante, pour regrettable qu’elle soit, se contente de la désignation des domaines d’exploration : sémiotique biblique, sémiotique de l’espace, sémiotique de la publicité, etc.


Sémiotique discursive

Un champ du savoir qui doit son existence à la cohérence méthodologique surmontant la diversité d’objets examinés s’est constitué pourtant en manifestant ainsi l’efficacité du faire sémiotique. Il s’agit du domaine de l’organisation et de la typologie des discours, laissé en friche du fait des préoccupations des linguistes limitées à la syntaxe de la phrase et disponible par l’abandon des méthodes, considérées comme désuètes, de la rhétorique et de la poétique classiques au profit d’une stylistique impressionniste sans envergure.