Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sémantique (suite)

Cette exclusion du sens hors du domaine de la linguistique explique le caractère tardif d’une sémantique linguistique américaine. En Europe, au contraire, l’enseignement de Saussure peut engager à la naissance d’une sémantique structurale. La lexicologie structurale, étudiant le mot en tant que signe, aura beaucoup plus d’aisance à se couler dans le modèle de Saussure. Cependant, travaillant sur les signifiés et eux seuls (c’est-à-dire sur une seule des composantes du signe de Saussure), la sémantique structurale ne peut exploiter la théorie saussurienne de la valeur comme émanant de l’« union d’un signifié et d’un signifiant ». Cela explique sans doute que la linguistique structurale européenne ait moins développé les recherches sémantiques que les recherches lexicologiques.

La notion de champ sémantique, par exemple, est mise avant tout au service de la lexicologie. Déterminer un champ sémantique, c’est chercher à dégager la structure d’un domaine donné de significations. En général, les champs sémantiques partent d’un domaine conceptuel (l’habitation, les relations de parenté, la vie politique, etc.), et le lexicologue cherche à élaborer les procédures proprement linguistiques permettant la mise en évidence des relations entre les termes retenus comme relevant du domaine conceptuel considéré.

La réserve essentielle qu’on puisse faire à ce type d’étude est son caractère appauvrissant à l’égard de la sémantique : les procédures de la lexicologie appliquées au champ sémantique ne permettent d’étudier que la désignation d’une unité dans un certain système (c’est-à-dire la relation entre le signe et une réalité extralinguistique donnée) ; elles imposent qu’on néglige la polysémie, essentielle au lexique (c’est-à-dire la propriété, partagée par une grande partie des mots, d’avoir plusieurs sens).

L’analyse sémique de Bernard Pottier se voudrait fondatrice d’une sémantique structurale. À cet effet, Pottier calque les unités de l’analyse sémique sur celles de l’analyse phonologique*. Le sème sera le trait minimal de signification, non susceptible d’une réalisation autonome et manifesté uniquement en combinaison avec d’autres sèmes (c’est donc l’équivalent sémantique du trait pertinent en phonologie). Le sémème sera l’ensemble de sèmes, le faisceau sémique résultant d’une combinaison de sèmes (c’est donc l’équivalent sémantique du phonème en phonologie). Enfin, l’archisémème sera l’ensemble des traits pertinents communs à deux ou à plusieurs sémèmes en cas de neutralisation des sèmes en opposition. Par ailleurs, le lexème est le correspondant formel du sémème.

On peut donner, pour illustrer cette terminologie, l’exemple des sièges. Les sémèmes de chaise et de fauteuil possèdent en commun les sèmes (notés ici S1, S2... Sn) :
S1
(avec dossier)

S2
(sur pieds)

S3
(pour une seule personne)

S4
(pour s’asseoir)
— le sémème de chaise sera : (S1 + S2 + S3 + S4) ;
— le sémème de fauteuil sera : (S1 + S2 + S3 + S4 + S5) (où S5 = avec bras).

La sémantique structurale d’Algirdas J. Greimas emprunte en bonne partie sa terminologie à cette théorie. Le système de Greimas est toutefois moins mécaniste et postule que la signification présuppose l’existence de la relation ; c’est l’apparition de la relation entre les termes qui est la condition nécessaire de la signification.

Par ailleurs, la sémantique structurale de Greimas joue un rôle important dans la sémiotique littéraire en voie de constitution.


Sémantique et grammaire générative

Les recherches précédemment évoquées se réclamaient du structuralisme linguistique. Elles travaillent sur les unités immédiatement observables, telles que le mot ou l’unité de signification (mot, mot composé, groupe de mots à valeur sémantique globale).

En revanche, la sémantique contemporaine doit tenir compte de l’horizon conceptuel de la grammaire générative*. Dans ce domaine, l’apport essentiel de N. Chomsky* est la distinction qu’il établit entre structure de surface et structure profonde. Le postulat est que toute phrase réalisée comporte au moins deux structures : la structure de surface, organisation syntaxique de la phrase telle qu’elle se présente, et la structure profonde, organisation (souvent très différente) de cette phrase à un niveau plus abstrait, avant que soient appliquées certaines opérations qui font passer à la structure de surface.

Si l’on tient compte de cet apport conceptuel qu’est l’opposition entre niveau superficiel et niveau profond, toutes les sémantiques que nous allons désormais envisager sont redevables au chomskysme.


La sémantique interprétative

Toutefois, une seule tentative sémantique s’inscrit directement dans le cadre du modèle génératif transformationnel tel que le propose Chomsky : la sémantique interprétative, dont les auteurs principaux sont Jerrold J. Katz, Jerry A. Fodor et Paul M. Postal.

Cette sémantique constitue un complément inattendu à la grammaire de Chomsky, dont l’objectif initial était la mise au point d’une « théorie complètement non sémantique de la structure grammaticale ». La pression de la critique a toutefois amené Chomsky à modifier partiellement ce point de vue d’origine, assez proche des postulats de Bloomfield cités plus haut. En fait, Chomsky découvre vite que, pour caractériser toute la compétence linguistique du locuteur-auditeur, une grammaire doit comprendre des règles sémantiques.

Cependant, le chomskysme n’abandonne pas le postulat du caractère central de la syntaxe : la composante sémantique (c’est-à-dire le mécanisme grammatical qui sera chargé d’assigner un ou plusieurs sens aux énoncés) sera une composante interprétative, c’est-à-dire qu’elle n’engendrera pas de structure, mais ne fera qu’assigner des traits (sémantiques) à une structure qui lui sera fournie. La figure 1 ci-dessous situe la composante sémantique, en indiquant le trajet menant du symbole Σ (symbole abstrait désignant tous les actes de langage susceptibles d’être engendrés par le mécanisme grammatical) à toutes les phrases grammaticales de la langue considérée.