Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Séleucides (suite)

Son frère Séleucos II, qui ne lui survécut guère, fut, bien sûr, débarrassé de sa présence, mais les Séleucides avaient pour longtemps perdu l’Asie Mineure, comme ils étaient en train de céder en Iran du terrain devant les Parthes. L’entrée des Romains dans la vie politique hellénistique favorisa cette tendance aux luttes entre candidats pour un trône pourtant bien affaibli. La mort de Séleucos IV Philopatôr en 175 marqua à cet égard le début d’une période de troubles permanents ; à la nouvelle de son assassinat, Antiochos, son cadet, vivant à Athènes, se précipita pour lui succéder : aidé par le roi de Pergame, il fut aussitôt reconnu par Rome. Ce fut le grand Antiochos IV Épiphane (roi de 175 à 164) qui réussit à vaincre l’Égypte. Néanmoins vivait toujours à Rome son aîné, Démétrios (futur Démétrios Ier Sôter), naguère otage ; celui-ci garantissait au sénat la fidélité de son père, désormais prétendant, qu’il pouvait être utile de garder en réserve pour l’opposer éventuellement au souverain régnant. Antiochos IV voulut laisser son trône à son fils (Antiochos V Eupator) ; c’est alors que Démétrios put s’évader de Rome (à l’aide de quelles complicités ?) et entrer en Syrie. En 162, il faisait assassiner son neveu Antiochos V, mais le sénat, sans doute gêné de ce que ses droits à régner fussent à un tel point légitimes, lui fit attendre jusqu’en 160 sa reconnaissance. L’habitude, néanmoins, des luttes dynastiques était prise ; on suscita contre Démétrios Ier Sôter (roi de 162 à 150) Alexandre Balas, dont le fils luttait encore contre Démétrios II Nikatôr (roi de 143 à 138 et de 129 à 125) ; on vit apparaître alors Alexandre II Zabinas (dont le surnom « l’Acheté » souligne l’infamie) ; un officier commandant la garnison d’Apamée, Diodote, se glissa dans la lutte et régna sous le nom de Tryphon le Magnifique. En 123, Antiochos VIII Gryphos (« l’homme au nez recourbé ») [roi de 125 à 96], fils de Démétrios II, réussit à rétablir l’ordre en tenant Antioche, où il s’empressa de faire assassiner sa mère ; son demi-frère Antiochos IX Kyzikènos (il avait été élevé à « Cyzique ») [roi de 135 à 95] se dressa contre lui. Comme Gryphos laissait cinq fils, il y eut pendant un temps quatre Séleucides à régner simultanément.

On comprend ainsi qu’en 83 les habitants d’Antioche aient pu choisir la sécurité en faisant appel à Tigrane, que Pompée n’ait eu ensuite aucun mal à se saisir d’un royaume complètement décomposé.


L’organisation du royaume

L’État séleucide, comme tous les États du monde hellénistique, est l’union de populations diverses rassemblées par le génie d’un roi capable de faire respecter son autorité. Ainsi, d’une certaine façon, il n’y a pas de royaume, mais un empire dont le seul élément d’unité est la personne même du roi, chaque territoire recevant un traitement particulier. Sur le plan juridique, un terroir avec ses habitants peuvent appartenir à la khôra (le territoire royal) ou à la symmachie (l’alliance du roi). Font partie de la khôra toutes les régions que le roi gouverne par l’intermédiaire de fonctionnaires ; font partie de la symmachie les communautés administrées directement par le roi, qui possèdent, dans le respect des droits du souverain, une large autonomie d’administration interne.

La khôra est, comme sous les Achéménides et Alexandre, divisée en satrapies ; ce sont des stratèges, dotés de tous les pouvoirs civils et militaires, qui administrent ces subdivisions ; ils sont aidés par un bureau de fonctionnaires et placés sous l’autorité directe du roi, qui leur transmet ses instructions par lettre. On a voulu réduire la taille des satrapies pour que la puissance des stratèges ne soit pas trop dangereuse pour le pouvoir royal ; néanmoins, pour que l’administration ait une certaine cohérence, il fallut organiser de grands commandements ; ainsi on connaît un gouverneur des « hautes satrapies » chargé de régir l’Orient, un stratège de l’Asie Mineure qui, de Sardes, coordonne l’ensemble de l’activité administrative, tient le trésor royal et les archives, et un responsable de la Syrie à l’ouest des fleuves désigné pour suppléer le roi lorsqu’il doit quitter sa capitale. La carte administrative reconnaît donc l’incapacité du roi à garantir seul l’unité du royaume : chacune des grandes régions géographiques du royaume est confiée à un homme si puissant qu’il peut y passer pour un vice-roi menant sa politique personnelle (comme Achaios, sous le règne de son neveu Antiochos III, qui porta le titre royal). La satrapie se divise en circonscriptions plus petites, que nos sources désignent sous des noms très variés (hyparchies, toparchies, méridarchies, phylakê, éparchies...) sans que l’on sache si cette multiplicité de désignations correspond seulement à des différences régionales : il est vain, pourtant, d’imaginer que, comme nos départements divisés en cantons et en communes, la satrapie est maillée d’un réseau de circonscriptions plus petites selon un schéma cohérent ; les circonscriptions autres que la satrapie, dont les sources citent le nom, doivent être des zones d’administration différenciée, particulièrement favorisées ou surveillées, sans que nous puissions encore découvrir de quelle façon.

Tout le sol de la khôra appartient en propre au roi, mais celui-ci n’exerce tout son droit de propriété que dans la seule khôra basilikê (domaine royal), dont les basilikoi laoi (serfs royaux) fournissent une grande partie de ses revenus. En dehors du domaine royal, il n’existe pas de vraie propriété privée. Le roi concède à ses sujets un droit d’usage sur le sol, mais lui-même conserve la propriété éminente sur tout le terroir, ce qui oblige un homme qui aliène une terre à prévoir les droits du roi sur le sol (ainsi Mnésimachos, qui donne au temple d’Artémis un domaine, prévoit que, si le roi exerçait son droit de reprise du sol, lui et ses descendants indemniseraient le sanctuaire).

La population se groupe en communautés de type et de statuts divers : villages dont les habitants (laoi) peuvent se fixer au loin, mais qui restent attachés juridiquement au terroir d’origine (c’est le principe de l’idia) ; colonies peuplées de soldats macédoniens, parmi lesquels se recrutent les unités traditionnelles de l’armée, ou de guerriers d’autre nationalité, que l’on charge de pacifier le territoire sur lequel on les installe (ainsi les deux mille familles juives que l’on fait venir en Lydie pour que, vivant dans leurs villages fortifiés, ils puissent calmer une rébellion) ; temples, qui peuvent être en Asie d’immenses centres de peuplement et de production agricole ou artisanale ; cités de type grec aussi, qui obéissent aux ordres des officiers royaux et essayent de leur arracher tel ou tel privilège honorifique ou politique.